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Édito
par epimae

La photo au féminin

La photographie est une technique de reproduction de la réalité inventée par des hommes et expérimentée par ces derniers. Portraitistes, reporters, photographes sociaux, sportifs, très rapidement cette expression lumineuse a envahi les différentes strates sociales. Petit à petit, l'art photographique se met au service de la femme et de ses courbes corporelles mises en valeur de différentes façons par la gente masculine.

La photographie est une technique de reproduction de la réalité inventée par des hommes et expérimentée par ces derniers. Portraitistes, reporters, photographes sociaux, sportifs, très rapidement cette expression lumineuse a envahi les différentes strates sociales. Petit à petit, l'art photographique se met au service de la femme et de ses courbes corporelles mises en valeur de différentes façons par la gente masculine. On retient particulièrement les clichés des stars telles que Brigitte Bardot, Marlène Dietrich et bien d'autres encore. Bien qu'elles semblent prédestinées à s'exposer devant l'objectif, nombreuses sont celles qui ont osé l'impensable : glisser leur regard derrière un appareil photo.

Si il est difficile de déterminer quelle est la première voleuse de lumière, on peut avec certitude citer quelques unes de ces femmes qui ont marqué, chacune à leur manière la photographie par leur regard subtil et leur sensibilité toute particulière.

Diane Arbus, New York et ses bizarreries

C'est par son mari, que cette jeune new yorkaise des années 20 apprend la photographie à 14 ans. D'abord styliste, elle n'osera explorer cet art que dans les années 60. Fascinée par l'étrangeté de cette société américaine pudiquement débridée, Diane capture ses concitoyens au travers de portraits intimistes et souvent dérangeants. Elle noue avec ses modèles une proximité extrême qui lui permet alors de prendre des images saisissantes d'authenticité. Proximité si intense qu'elle n'hésite pas à coucher avec ses modèles attrapant moult maladies sexuelles qui ont failli l'emporter à trépas plusieurs fois. Handicap, transexualité, homosexualité, nanisme, et autres bizarreries de la nature humaine nourrissent la production de cette femme sensible et dépressive. Elle dresse ainsi un tableau saisissant et troublant de sa société urbaine.

En 1967, elle vole l'image de ces deux jumelles qui inspireront quelques années plus tard le cinéaste Stanley Kubrick pour son film Shining.

Diane Arbus est une des maîtres du noir et blanc. Un fort contraste, des noirs tranchés, un cadrage très serré, un décor inexistant font de ses prises de vue une scène perturbante où l'observateur se trouve embarqué dans un autre temps, dans un autre monde, dans un étrange voyage vers ce que l'humanité aimerait cacher. Elle tient à maîtriser le travail graphique dans son entièreté. Ainsi, elle développe elle-même ses propres clichés.

Mais Diane est une femme fragile, elle mettra fin à ses jours en 1971, noyant à jamais une oeuvre considérable dans une overdose de barbituriques.

Gisèle Freund, un regard sur les têtes pensantes

Gisèle Freund est une fugitive de l'Allemagne nazie. Adolescente, elle apprend la photographie et se passionne pour cet art. C'est au travers d'une vie riche en voyages et en rencontres qu'elle devient le témoin de la vie intellectuelle des années après guerre, jusqu'en 1981 où elle fera le cliché officiel de François Mitterand.

Très rapidement, Gisèle se mettra à l'agfacolor. Ainsi, elle sera une des premières à réaliser des portraits couleurs de ses modèles. Les prises de vue, telles que celle ci de Virginia Woolf, se déroulent lors d'une conversation, de manière naturelle. Le modèle est comme pris à son insu, donnant une sensation de discussion de salon et de proximité de la personne. C'est cette intimité qui frappe chez cette voleuse de lumière, cette impression d'avoir toujours connu la personne.

André Gide, Sartre, Simone de Beauvoir, Samuel Beckett, André malraux, Cocteau.. peu échapperont au regard acéré de la portraitiste. Elle se pose ainsi comme le véritable témoin d'une réalité sociale de l'époque où la pensée, la philosophie et l'existentialisme occupaient les terrasses de café de Paris et d'ailleurs.

Gisèle ose parfois de légères mises en scène. Ainsi, on voit Jean Cocteau allongé près d'une main sculptée, clope à la main, dans une attitude douloureusement pensive, les lèvres légèrement maquillées, mettant en valeur la personnalité énigmatique de cet homme de lettres. Gisèle Freund est une amie avant d'être une voleuse d'images et c'est cette complicité qui rend ses clichés plus intimistes encore.

Bettina Rheims, la nudité vue par une femme

Bettina Rheims est une des femmes ayant osé photographier la nudité de la façon la plus crue et la plus incorrecte. Les mêmes clichés pris par des hommes auraient sûrement été vulgaires mais elle a su rajouter ce zest de pudeur qui fait de ses prises de vue une scène délicate et troublante.

Cette photo issue de la série "chambre close" capture des images de jeunes modèles jouant un rôle de prostituées, et ce dans des espaces très confinés, colorés mettant nos sens à la limite de l'overdose.Cette photographe française aime photographier l'incorrect, la nudité, la pauvreté sexuelle voire la soumission. La scandaleuse n'a pas peur des paradoxes en capturant tantôt des nudités provocantes, tantôt des hommes politiques voire des présidents (Jacques Chirac).

Bettina est une voleuse d'images "dans le vent", et c'est grâce à Paris Match entre autres, qu'elle a pu photographier les stars de la musique, du cinéma... Elle réalise ainsi des prises de vue subtiles, très colorées et où il n'est plus question d'intimité, de moments volés mais bel et bien de starification et de strass.

On perçoit son génie en observant sa facilité pour restituer la personnalité publique de ses modèles. Tantôt elle saisit une Madonna sexy et allumeuse, tantôt une Juliette Binoche délicate et réservée.

Alexandra Boulat, le reportage au féminin

Fille du célèbre photo reporter pierre Boulat, cette voleuse d'images , morte d'une rupture d'anévrisme en plein reportage en Cisjordanie, a vécu sa vie entière au service du reportage de guerre. Elle est l'une des rares à avoir su allier la photographie artistique et le reportage au travers de prises de vues saisissantes de réalisme et de douleur. Alexandra s'est évertuée à photographier les femmes au sein de la guerre : mortes, en deuil, en prison... c'est la douleur qui règne en maître sur ses images. Une douleur solitaire, intense qui donne à voir une réalité des coulisses de la guerre, réalité bien plus angoissante que celle des armes.

Mieux qu'un commentaire, laissons nous pénétrer de ces images.

Alexandra Boulat arpente les dessous des guerres et prend ses clichés au hasard d'une prière

d'une manifestation

Cette photographe a bel et bien réinventé le photo reportage, elle a su capturer de belles images, fortes et angoissantes.

Liz Hingley, une jeune anglaise au service de la photographie sociale et familiale

Le concours de la femme photographe, le prix Virginia a vu sa première édition s'achever il y a quelques jours. Cette chronique ne peut s'achever sans en mentionner la lauréate, une jeune anglaise qui saisit des images familiales avec une procédure bien à elle. C'est en vivant quelques mois au sein de familles défavorisées de Londres qu'elle ramène des séries de vie, et comme elle aime le dire elle même, des scènes d'amour familial, cet amour qui perdure au delà de toute adversité et qui lie les humains entre eux au hasard des rencontres et des naissances.

Liz Hingley est pour l'instant peu connue du public. Elle photographie avec simplicité, spontanéité et franchise. Cette photographie sans fioritures, sans ambages, sans faux semblants, semble marquer notre XXI ème siècle.

 

Le monde de la photographie ne peut plus faire sans les femmes. Elles ne sont malheureusement que peu présentes sur les listes de lauréats des grands prix photo et c'est dommage. Leur regard amène un vent nouveau fait de finesse et de subtilité. Les voleuses d'image s'attachent particulièrement au détail, celui qu'on ne voit pas ou qu'on préfère ignorer. La guerre, la nudité, la souffrance, la pauvreté... rien ne fait peur aux captureuses de lumière, elles veulent être là, témoins implacables de nos réalités sociales, elles remplissent ainsi nos silences d'images lumineuses.

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