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par Jet Lambda

La Golf qui cache la forêt

Ah ! "Le scandale Volkswagen" ! "L'affaire VW" ! Bientôt, le "VWGate" ! Enfin un nouveau buzz pour faire vibrer la presse éco, le feuilleton business qui va faire couler l'encre et la sueur…

Ah ! "Le scandale Volkswagen" ! "L'affaire VW" ! Bientôt, le "VWGate" ! Enfin un nouveau buzz pour faire vibrer la presse éco, le feuilleton business qui va faire couler l'encre et la sueur… Et les autres constructeurs qui jouent les vierges effarouchées, n'osant pas trop enfoncer leur concurrent-mais-néanmoins-confrère, craignant sans doute que les patrouilles anti-fraude iront fouiller dans leurs propres recettes pour vendre leurs bagnoles bouffeurs de pétrole comme des machines roulant à l'eau claire.

Franchement, faut avouer que ce concert de trémolos plus ou moins improvisées ressemble beaucoup aux affaires de dopage qui ont frappé le cyclisme ou l’athlétisme dans le sport de haut niveau. C'est pas moi, c'est l'autre – mais bon, n'accablons pas les copains, ça pourrait nous retomber un jour sur le coin de la gueule.

Ça fait des décennies que les vendeurs de bagnoles nous font le coup de l'innovation qui tue, de la recherche-développement top-secrète pour sortir le "moteur propre" ultime – et ainsi perpétuer le règne de la voiture individuelle dans la société occidentale. A quelques mois de la fameuse conférence sur le climat (COP21) – corruption sémantique qui évite de nommer la raison du malaise, à savoir la course à l'énergie comme moteur fou du capitalisme –, il est certain que cette tricherie aux normes anti-pollution du n°1 mondial Wolkswagen tombe plutôt bien pour faire diversion et voler la vedette aux problèmes de fond qui ravagent la planète et les rapports sociaux des laissés pour compte de la croissance à tout prix.

VW triche sur ses émissions de gaz d'échappement? Mais les "innovations" des groupes PSA et Renault, vrai-faux concurrents dans l'arène des plus gros bouffeurs de carbone, ont tout misé sur les pots dits "catalytiques" qui ont permis d'imposer les saloperies de moteurs diesel dans toutes les catégories de véhicules. Tout comme les soi-disant "biocarburants" – de bien vicieux sous-produits agricoles qui ont enrichi un certain Xavier Beulin, boss de la FNSEA et roi de Sofiprotéol (rebaptisé "groupe Avril", ça fait plus printanier) – ont servi de cache-sexe à une industrie qui a transformé l'atmosphère en poison violent.

Alors oui, le scandale VW n'est qu'un écran de fumée et de particules fines – sans doute alimenté par quelques concurrents aux dents acérées, façon guerre Airbus-Boeing – mais cela me permet d'en raconter une bien bonne dans le registre ancien combattant. Ça me rappelle mes premières années de journalisme, quand j'ai participé à un voyage de presse aux petits oignons, au début des années 90. VW France avait affrété des jets privés, au départ de l'aéroport du Bourget, pour offrir aux magaziniers de la presse une "visite" de l'usine de Wolfsburg, siège historique du groupe situé en Basse-Saxe (et non en ex-RDA! - cf commentaires), sans s’appesantir sur l'Histoire plus ancienne, à savoir l'amour du Fürher pour la "voiture du peuple" – comme la Fiat 500 mussolinienne, ou même la Ford T trente ans plus tôt, le petit-bolide-pas-cher-pour-populo conçu pour faire avaler aux prolétaires américains leur salaire de misère à trimer dix heures par jour sur des chaînes de montage singées par Chaplin dans Les temps modernes.

Enfin, passons – nous allâmes donc, en rang serré, accompagnés par les soldats du service de presse de Volkswagen France, admirer le cœur industriel du groupe allemand, revigoré par l'unité est-ouest. Cette année-là (ce devait être 91, ou 92), la vedette des produits VW, c'était l'Öko Golf. Un "concept car" (qui ne fut pas commercialisée à l'époque), qui vantait pour la première fois à l'époque de "moteur hybride" (électrique-essence), avec de grosses batteries au plomb intégrées, et un bouton magique dans le tableau de bord (cf photo) pour passer instantanément du mode "pétrole" au mode "flower power".

La "Golf écolo" n'a donc pas fait long feu. C'était un "produit d'appel", specimen publicitaire d'un monde qui changeait, signe que la voiture pouvait être compatible avec le sustainable development – alors que les premières caisses aux moteurs hybrides ne seront réellement vendues en masse que vingt ans plus tard.

On parlait à l'époque de "zero emissions vehicles" (ZEVs), la Californie d'avant-Schwarzenneger venait de voter une loi pour que chaque constructeur, à l'horizon 2000, doive respecte un quota de ventes annuel de ZEVs, sinon dehors. Le tout-électrique était la vertu numéro une à moyen terme pour l'industrie automobile. Oubliant d'insister sur l'origine de cette énergie, qui provenait majoritairement soit du nucléaire – zéro émissions de carbone, kilotonnes de rejets radioactifs – soit des centrales à gaz, pétrole ou surtout charbon. En Allemagne, le charbon du peuple, c'est le lignite, une bien belle saloperie pour l'atmosphère (cause notamment des "pluies acides"). Ce même lignite – ironie de l'histoire automobile – qui est exploité à donf en Allemagne en ce moment même, suite à l'"abandon" partiel du programme nucléaire outre-Rhin. Témoin, la mégamine de Hambach, en Rhénanie, près de Cologne, une zone éventrée de 85 km2 qui permet aux centrales électriques de tourner à plein régime et de cracher leurs fumées grises aux saveurs cancérigènes.

En 1992, Nicolas Hayek, le fondateur des montres Swatch avait proposé à Volkswagen de se lancer réellement dans la voiture "zéro émission". Une "Swatchmobile" au moteur électrique qui devait être fabriquée à partir de matériaux recyclés, du beau plastoc mais refondu et réutilisable. VW avait décliné l'offre de Hayek – trop tôt, pas assez bankable, sans doute. Un projet qui sera finalement fourgué à Mercedes pour créer la "Smart" (Swatch Mercedes Art), qui s’avérera – au grand dam de son inventeur – une voiture comme une autre, un peu plus riquiqui, et sans moteur électrique – la première Smart électrique sera sur le marché en… 2012! Et toujours pas la moindre trace de Smart au moteur hybride.

Dans ma petite collection de bibelots, on peut trouver un modèle réduit de cette Öko Golf de 1992, qui faisait partie du paquet cadeau remis à tous les journalistes méritanst qui avaient fait le voyage à Volksburg. Perfide, je l'ai placé à coté d'un autre modèle réduit, dont l'échelle est encore plus cruelle pour Volkswagen: vous reconnaîtrez la fameuse Trabant, moteur 2 temps, la "caisse à savon" en plastique qui faisait la fierté de la RDA, la petite voiture du peuple de la "République démocratique" – surtout réputée par son très haut niveau de pollution, sonore comme atmosphérique.

Comparaison cruelle, par les temps qui courent, pour le fabricant de la Golf.

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