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par Antoine Champagne - kitetoa

La gauche et la droite décomplexées sont dans un bateau...

C'est une sorte d'incontournable depuis 2002 : lorsqu'une élection pointe le bout de son nez, les politiques enfourchent leur cheval de bataille de circonstance, la délinquance. Comme les politiques ne font pas les choses à moitié, les dérives sont généralement bien appuyées. Souvenez-vous, en 2002, deux jours avant l'élection présidentielle, l'affaire "papy Voise". Elle passera en boucle sur toutes les ondes. Plus près de nous, la droite "décomplexée" de Nicolas Sarkozy se lâchait.

C'est une sorte d'incontournable depuis 2002 : lorsqu'une élection pointe le bout de son nez, les politiques enfourchent leur cheval de bataille de circonstance, la délinquance. Comme les politiques ne font pas les choses à moitié, les dérives sont généralement bien appuyées. Souvenez-vous, en 2002, deux jours avant l'élection présidentielle, l'affaire "papy Voise". Elle passera en boucle sur toutes les ondes. Plus près de nous, la droite "décomplexée" de Nicolas Sarkozy se lâchait. Les exemples de dérives sont légion pour cette époque-là. Des tests ADN pour le regroupement familial à la fameuse tirade de Brice Hortefeux : "Quand il y a en a un, ça va... C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes!" en parlant des Arabes, la liste est sans fin.

Quand Brice Hortefeux dérape par lemondefr

Le concept de "droite décomplexée" a été lancé par un groupuscule de l'UMP, "la Droite Libre" fondée notamment par Arnaud Dassier, fils de l'ancien patron de l'information des chaînes du groupe TF1. Ce courant fera office de passerelle entre la droite UMP et l'extrême droite.

Nicolas Sarkozy s'est approprié ce concept de décomplexitude : nous n'avons pas à avoir honte de ce que nous sommes. A tel point qu'il a cru pouvoir récupérer l'électorat FN en s'appropriant ses codes et ses dérives. Sans grand succès sur ce point toutefois. En revanche, il a réussi à banaliser la parole raciste, xénophobe et à enfoncer des coins massifs dans le pacte républicain qui nous unissait.

Il n'est plus "inconcevable" d'entendre un homme politique dire que Hitler n'a pas fini le travail en parlant des Roms. Ou un François Fillon, artisan de la politique de Nicolas Sarkozy, dire sans le dire qu"il pourrait voter FN, soulignant qu'un homme politique du FN pourrait être moins "sectaire" qu'un homme politique du PS...

Tout au plus assiste-t-on à une indignation de façade qui ne dure que le temps de vie médiatique de l'événement. Une fois la presse passée à autre chose (et cela va très vite), plus personne ne s'indigne.

Il n'est plus inconcevable d'entendre un ministre de l'Intérieur de gauche comme Manuel Valls dire, à propos des Roms que «ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation»...

Pourquoi n'est-ce plus inconcevable ? Parce que le pacte républicain est brisé. Auparavant, si un citoyen pouvait concevoir et accepter que tout le monde ne vive pas de la même manière, et le tolérer, ce n'est plus le cas.

Prenons un exemple. Un bourgeois versaillais qui habite un bel hôtel particulier ne vit pas de la même manière qu'un prolétaire du Nord de la France. Est-ce grave ? Cela crée-t-il une "confrontation" ?

Manuel Valls, à gauche (décomplexée), n'est pas seul à désigner les Roms à la vindicte populaire. A droite (décomplexée) Nathalie Kosciusko-Morizet estime que les Roms "harcellent les parisiens". Rejointe également par Jean-François Copé : "On ferme les yeux au gouvernement français sur ce qui est en train de se passer dans le pays, la violence que l'on constate. On le voit à travers les comportements des Roms, par exemple à Paris. C'est extrêmement grave et ça m'amène à vous dire la chose suivante: il est hors de question que la Bulgarie et la Roumanie entrent dans l'espace Schengen tant que ce problème ne sera pas résolu au niveau européen".

Sans l'attendrissement de la viande réalisé par Nicolas Sarkozy, l'acceptation de ces sorties par une majorité de la population, c'est à dire bien au delà des frontière de l'électorat FN, n'aurait pas été possible. Continuer à élargir le cercle des racistes et xénophobes, juste après le déferlement d'homophobie que vient de connaître la France, est irresponsable et profondément coupable. Les votants FN ne voteront ni PS ni UMP sous prétexte qu'ils disent la même chose que les dirigeants du FN. En revanche, le niveau de haine monte. Dangereusement.

Il ne faut pourtant pas pas désigner de coupables. Ce ne sont ni Manuel Valls, ni Jean-François Copé ou l'ineffable Nathalie Kosciusko-Morizet qui sont coupable. Les coupables, ce sont l'ensemble des hommes politiques qui tolèrent ces dérives. Le président de la République en tête, lui qui est garant de la Constitution (La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances, par exemple). C'est aussi l'ensemble de la population qui, par paresse, par faiblesse, accepte ces propos, ne s'en offusque pas au point de descendre dans la rue ou refuser leur vote à ceux qui les profèrent.

Une Maskirovka bien utile

Les Arabes, les Roms, les aliens, tous ces "étrangers", sont un écran de fumée bien utile pour les politiques à la veille d'une élection. La droite instrumentalise les impôts pour préparer les élections ? Sortons une petite polémique qui masquera le désormais fameux "ras-le-bol fiscal" monté en épingle par la presse. Cela masquera aussi la profondeur de la crise économique et financière qui nous réserve encore tant de surprises désagréables.

Prenons les Roms qui angoissent tant nos politiques ces jours-ci. Les Roms (si tant est qu'il s'agisse d'un ensemble cohérent), ce sont 8 à 10 millions de personnes en Europe dont 2% seraient des gens du voyage, nous explique Wikipedia.

En France, où l'on ne peut théoriquement pas créer de fichiers ethniques, on estime le nombre de Roms à environ 1,2 million. Sur ce total, la France, qui fiche les gens du voyage avait délivré 160.000 titres de circulation en 2006. Les gens du voyage n'étant pas, aux yeux de la république, des citoyens comme les autres, elle leur impose de pointer dans les commissariats.

Mais affinons la définition de "Roms" dans l'esprit de nos politiques. Si l'on s'en tient au discours xénophobe de Manuel Valls, il s'agit de Roumains et de Bulgares. Des citoyens européens. Mais de seconde zone, bien entendu. Ces Roms sont estimés, toujours selon Wikipedia à 15.000 personnes.

Donc, le ministre de l'intérieur, les maires, les candidats aux élections variées, la presse, se mobilisent comme des diables pour moins de 15.000 personnes...

Rappelons à nos amis politiques et journalistes qu'il y a au bas mot trois millions de chômeurs dans ce pays. Pas sûr que 15.000 personnes, Roms ou pas, soient leur priorité. Les 1%, en revanche, se portent toujours aussi bien. Merci pour eux.

 

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