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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

La démocratie, ce n'est plus ce que c'était, ma bonne dame...

Oh, je sais... Le temps passe et l'on oublie. Je me souviens, moi, d'un homme. Il s'appelle Robert Badinter. Cet homme, est l'artisan de l'abolition de la peine de mort en France. C'était le 30 septembre 1981. Une paye. Depuis, le monde a changé. Doucement. D'abord imperceptiblement. Puis, de plus en plus clairement. Jusqu'à ce que la majorité soit assez décomplexée pour assumer une nouvelle vision. Un nouveau mode de fonctionnement.

Oh, je sais... Le temps passe et l'on oublie.

Je me souviens, moi, d'un homme. Il s'appelle Robert Badinter. Cet homme, est l'artisan de l'abolition de la peine de mort en France. C'était le 30 septembre 1981. Une paye. Depuis, le monde a changé. Doucement. D'abord imperceptiblement. Puis, de plus en plus clairement. Jusqu'à ce que la majorité soit assez décomplexée pour assumer une nouvelle vision. Un nouveau mode de fonctionnement. Un mode dans lequel on applique des peines automatiques, un monde dans lequel on veut ficher les enfants à partir de trois ans. Un monde du chacun chez soi et tant pis pour ceux qui sont nés du mauvais côté du mur. Un monde où l'on renvoie des clandestins dans un pays en guerre. Un monde où la peur, l'incertitude et le doute sont magnifiés par les dirigeants. N'ayez pas peur disait l'ancien pape. Non, n'ayez pas peur. Mais surtout, faites leur peur. Il est temps.

Ce monde a changé avec le règne de George Bush. Oussama ben Laden a bon dos. Noam Chomsky explique dans son billet en réaction à sa mort, que jusqu'ici, personne n'a pu prouver avec certitude, pas même les autorités américaines, qu'Oussama ben Laden était responsable de la tragédie du 11 septembre. Mais quel intérêt ? Il fallait un responsable. Celui-ci faisait l'affaire.

C'est tout ce qui a suivi qui laisse songeur. En quelques années, l'équipe de George Bush s'est affranchie de tous les garde-fous que la démocratie impose pour ne pas basculer, pour ne pas devenir autre chose...

En quelques années, les Etats-Unis ont rendu légale la torture. Ce n'est pas Reflets qui vous le dit, mais le Sénat américain. Encore aujourd'hui, des gens dont personne ne sait s'ils sont coupables de quelque chose, sont détenus à Guantanamo, totalement isolés, sans aucune perspective. Sortiront-ils un jour ? Sauront-ils ce qu'on leur reproche ? Sauront-ils ce que leur famille est devenue ? Les disparus reviendront-ils des trous noirs où la CIA les a enterrés ?

Dans les camps mis en place pour interroger des gens qui parfois n'étaient rien d'autre que des bergers Afghans, on a érigé l'arbitraire en règle absolue. Gagnons ici notre point Godwin, ce sera fait. Ce qui inquiète le plus lorsque l'on lit les récits sur Auschwitz, ou que l'on visite ce qu'il en reste, c'est justement ça. Un monde de l'arbitraire. Des gens qui peuvent vous interner sans perspective de sortie selon leur bon vouloir. Et une fois que vous y êtes, plus personne pour vous venir en aide. Jamais.

J'ai croisé il y a quelques jours Karol Pila, un homme qui était l'un des très rares enfants du camp. Je lui ai demandé comment on fait pour supporter cette horreur au quotidien, mais aussi cet arbitraire complet lorsque l'on est un enfant si jeune. De sa réponse, j'ai compris qu'il était heureux que je lui ai posé cette question.

Pour basculer de la démocratie à l'arbitraire, il faut peu de choses. Diffuser un fort sentiment de peur dans la population. Et que celle-ci l'adopte, l'embrasse, fasse sienne, pleinement, cette peur.

Ce délire généralisé au sein de la population, déclenché par George Bush, le film V. pour Vendetta, l'a résumé dans le discours que V. fait à l'adresse de la population de Londres. Notez que ce discours n'existe pas dans la bande dessinée originelle.

Good evening, London. Allow me first to apologize for this interruption. I do, like many of you, appreciate the comforts of every day routine — the security of the familiar, the tranquility of repetition. I enjoy them as much as any bloke. But in the spirit of commemoration, whereby those important events of the past, usually associated with someone's death or the end of some awful bloody struggle, are celebrated with a nice holiday, I thought we could mark this November the 5th, a day that is sadly no longer remembered, by taking some time out of our daily lives to sit down and have a little chat. There are of course those who do not want us to speak. I suspect even now, orders are being shouted into telephones, and men with guns will soon be on their way. Why? Because while the truncheon may be used in lieu of conversation, words will always retain their power. Words offer the means to meaning, and for those who will listen, the enunciation of truth. And the truth is, there is something terribly wrong with this country, isn't there? Cruelty and injustice, intolerance and oppression. And where once you had the freedom to object, to think and speak as you saw fit, you now have censors and systems of surveillance coercing your conformity and soliciting your submission. How did this happen? Who's to blame? Well certainly there are those more responsible than others, and they will be held accountable, but again truth be told, if you're looking for the guilty, you need only look into a mirror. I know why you did it. I know you were afraid. Who wouldn't be? War, terror, disease. There were a myriad of problems which conspired to corrupt your reason and rob you of your common sense. Fear got the best of you, and in your panic you turned to the now high chancellor, Adam Sutler. He promised you order, he promised you peace, and all he demanded in return was your silent, obedient consent. Last night I sought to end that silence. Last night I destroyed the Old Bailey, to remind this country of what it has forgotten. More than 400 years ago a great citizen wished to embed the fifth of November forever in our memory. His hope was to remind the world that fairness, justice, and freedom are more than words, they are perspectives. So if you've seen nothing, if the crimes of this government remain unknown to you then I would suggest that you allow the fifth of November to pass unmarked. But if you see what I see, if you feel as I feel, and if you would seek as I seek, then I ask you to stand beside me one year from tonight, outside the gates of Parliament, and together we shall give them a fifth of November that shall never, ever be forgot.

Mais revenons à Robert Badinter. Une démocratie éclairée abolit la peine de mort. Elle ne l'applique pas, même contre ses pires ennemis. C'est ce qui fait sa différence avec eux, sa force.

On ne pend pas les gens, on ne leur coupe pas la tête, on ne les électrocute pas, on ne les fusille pas.

Or, avec la mort d'Oussama ben Laden, on a assisté à un concert étonnant de félicitations. Tout le monde, de droite comme de gauche se réjouissait de la mort de l'ennemi juré.

« Cet accomplissement capital est une victoire pour l’Amérique, pour les peuples épris de paix et pour tous ceux qui ont perdu des proches le 11 septembre 2001″ (George Bush)

Un « triomphe retentissant pour la justice, la liberté et les valeurs partagées par tous les pays démocratiques qui luttent côte à côte dans leur détermination contre le terrorisme » (Benjamin Netanyahu)

Un « grand soulagement pour les peuples dans le monde » (David Cameron)

La « victoire de toutes les démocraties qui se battent contre ce fléau abominable qu’est le terrorisme ». « La France, les Etats-Unis comme d’autres pays européens coopèrent étroitement pour lutter contre le terrorisme. C’est donc une nouvelle qui me réjouit profondément ». (Alain Juppé)

« On ne peut que se féliciter de ce qui s’est passé cette nuit », « Ce sera pour ce pays une façon de cicatriser une blessure ouverte depuis le 11 septembre » (Christine Lagarde)

Peut-on raisonnablement se réjouir de la mort d'un homme ? La question n'est pas de savoir si l'on préfère le voir mort ou vivant. La question est de savoir si l'on assume que ceux à qui l'on a délégué notre pouvoir donnent la mort en notre nom à cet homme.

Peut-on accepter la légalisation de la torture, peut-on accepter la banalisation de la peine de mort, peut-on accepter la mise en place de prisons fantômes, d'enlèvements et de meurtres extra-judiciaires ? Des assassinats extra-judiciaires ? Peut-on dire que tout cela se fait pour "préserver la démocratie" ?

Cela ne la préserve pas, cela l'affaiblit, la détruit à petit feu. Si l'on accepte cela aujourd'hui, qu'acceptera-t-on demain ?

 

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