Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Jacques Crémer a aussi de belles idées sur l'avenir de la presse...

A première vue, on pourrait se dire que tout ça, c’est de la faute de Bluetouff. C’est lui qui m’a incité à lire les articles de Jacques Crémer. En fait, non. La faute est imputable à Jacques Crémer. Car le monsieur est inventif. Visiblement, quand il écrit un article, on frise la merveillitude. Si j’étais tombé sur le billet concernant la nécessaire non protection des données personnelles avant Bluetouff, j’aurais pu le commenter, tant ce sujet m’est cher depuis 1997.

A première vue, on pourrait se dire que tout ça, c’est de la faute de Bluetouff. C’est lui qui m’a incité à lire les articles de Jacques Crémer. En fait, non. La faute est imputable à Jacques Crémer. Car le monsieur est inventif. Visiblement, quand il écrit un article, on frise la merveillitude. Si j’étais tombé sur le billet concernant la nécessaire non protection des données personnelles avant Bluetouff, j’aurais pu le commenter, tant ce sujet m’est cher depuis 1997. Mais non, moi, je suis arrivé après Bluetouff. Ceci dit, en feuilletant les œuvres complètes de Jacques Crémer, je suis tombé sur ce billet passionnantà propos du business model de la presse. C’est un sujet que je connais un peu également puisque la presse, je baigne dedans depuis plus de vingt ans.

Et ce billet mérite également que l’on s’y attarde, tant la perception du monde qui entoure Jacques Crémer est intrigante.

Premier paragraphe, le brillant membre du CNRS aligne quelques chiffres sur la perte de lectorat de la presse. Rien à dire, même s’il ne cite pas plus ses sources que dans le papier sur les données personnelles. Faisons-lui crédit d’avoir été puiser ses informations auprès de l’OJD ou d’un organisme du genre.

Suit une espèce d’analyse sur le fait que la presse n’a toujours pas trouvé de business model pour ses sites internet. Intéressant. Tout le monde sait cela depuis l’arrivée du Web. Ce n’est d’ailleurs pas propre à la France puisque les sites de presse américains ont à peu près tout essayé. Une rédaction dédiée, ou pas. Des abonnements payants pour avoir accès au contenu. Ou pas. Des sites truffés de pub. Ou pas. Des sites participatifs. Ou pas. On en passe.

Ce qui retient mon attention, c’est la « vision » de Jacques Crémer. Les lecteurs sont des « clients ».

Dans la presse, il y a toujours deux têtes. La première tient les cordons de la bourse. C’est le directeur général. L’autre tête gère les journalistes. C’est le directeur de la rédaction. Les objectifs des deux têtes ne sont pas toujours concordants. Celui qui tient les cordons de la bourse a besoin de lecteurs. Pour vendre de la pub.

Il a donc besoin d’un contenu qui intéresse les lecteurs.

Le directeur de la rédaction a besoin de pouvoir payer ses journalistes. Mais son but n’est, « normalement », pas de gagner de l’argent. Son but est de faire produire des articles qui intéressent les lecteurs.

Pourquoi leurs buts sont-ils différents ? Prenons un exemple simple. Si les commerciaux parviennent à vendre deux pages de pub d’une société de luxe, ils auront probablement à cœur de voir deux pages, pas trop éloignées, sur les fantastiques mérites du secteur du luxe qui contribuent à l’économie nationale. Ou, qui est tellement « artisanal », « entourée de rêve » et « aspirationnel ». En revanche, le directeur de la rédaction n’aura peut-être pas du tout envie de faire faire un papier de complaisance de ce type… Dans certains journaux, l'histoire va plus loin puisque le chemin de fer est créé en fonction du programme de pubs prévues dans le journal.

Tout cela pour dire qu’un bon directeur de la rédaction ne voit pas ses lecteurs comme des clients. Mais comme des partenaires qu’il respecte plus que tout. On ne « consomme » pas de l’information comme le dit Jacques Crémer. On lit. On écoute. On se cultive, on apprend, on élargit ses horizons, on est appelé à réfléchir, à s’interroger sur le monde qui nous entoure.

Mais le meilleur est pour la fin. Jacques Crémer sait fignoler ses chutes (c’est comme cela que l’on appelle la fin d’un article).

« Il nous faut en tout cas espérer que journaux et sites d'information trouveront un modèle économique profitable. C'est peut-être un biais d'économiste, mais je préfère une presse dont l'objectif est de générer des revenus en attirant des lecteurs qu'une presse dépendant de la générosité de mécènes qui peuvent être tentés de se servir de leurs journaux pour influencer le débat public. »

Intéressant. Personnellement, je suis assez d’accord avec la première phrase. D’ailleurs, si vous voulez aider Reflets.info à atteindre le montant du budget qui nous est nécessaire pour suivre le rythme actuel, l’accélérer, et développer des fonctionnalités de rêve, vous pouvez faire un don sur la page ad hoc.

C’est la suite qui me pique les yeux très fort.

Bien sûr il faut que la presse attire les lecteurs. Mais ce n’est pas cela qui la rendra profitable. En outre, il faut peut-être essayer de comprendre pourquoi la presse perd régulièrement des lecteurs… La proximité des journalistes avec les milieux économiques et politiques est sans doute une piste intéressante, mais toujours éludée par les responsables du secteur. Les réponses de la presse à cette problématique (hausse du prix de vente, réduction de la pagination et de la taille des articles) n’a pourtant visiblement pas porté ses fruits depuis des dizaines d’années…

A part le Canard Enchaîné qui ne vit pas de la pub (il n’y en a pas dans ce journal), mais uniquement (et très bien) de ses ventes, la presse est en déficit chronique depuis des années. Ne parlons pas des sites Internet (qui dans l’esprit de Jacques Crémer ne sont que des aspirateurs à pub). La presse écrite est en état de mort chronique. La presse, c’est la Grèce, le Portugal et l’Irlande réunis. Elle est soutenue à bouts de bras par l’Etat, la publicité, les entreprises et des patrons d’industrie qui se payent des danseuses.

Pensez-vous que les Echos vont publier un article désagréable sur LVMH, son propriétaire ? Que le Figaro fera un article critique sur le Rafale ? Que TF1 fera une enquête fouillée sur Bouygues ? Etc. Il n’y a qu’une seule exception dans la « grosse » (grande ?) presse : le Canard. Pas la peine de chercher.

Le monde de la presse n’est pas un monde de bisounours dans lequel les journaux font uniquement de la belle information. Il n’existe pas et n’existera pas de journaux –hors le Canard, toujours- qui peuvent vivre sans mécènes, qu’il s’agisse de l’Etat, des entreprises (et de la pub), ou tous ceux-là réunis. Partant, il n’existe pas de presse libre. Elle est liée par mille compromissions.

Réveillez-vous M. Crémer.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée