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Édito
par epimae

Indécences et pudeurs de la guerre

L’être humain est un animal social, doué de moyens de communication qu’aucune autre espèce vivante ne possède. Pourtant, son histoire est marquée par sa capacité à créer des conflits violents, des génocides ahurissants, des armes de plus en plus meurtrières. Ainsi, tout autour de la planète, des gens meurent, souffrent, pour des causes qui les dépassent.

L’être humain est un animal social, doué de moyens de communication qu’aucune autre espèce vivante ne possède. Pourtant, son histoire est marquée par sa capacité à créer des conflits violents, des génocides ahurissants, des armes de plus en plus meurtrières. Ainsi, tout autour de la planète, des gens meurent, souffrent, pour des causes qui les dépassent.

La photographie de reportage s’est intéressée à ces évènements et encore maintenant, elle tente de ramener au monde des images choquantes destinées à nous rappeler que la violence est présente, là, pas très loin de chez nous. Les images de guerre ne sont pas prises par pur voyeurisme mais bel et bien pour nous sortir de notre petit confort, pour nous arracher à notre cécité égoiste et naïve.

Durant ces dernières décennies, alors qu’on pensait que la seconde guerre mondiale avait marqué au fer rouge nos consciences, nous empêchant ainsi de reproduire les mêmes erreurs, de nombreux conflits internes ou extérieurs ont fait l’objet de l’intérêt des photoreporters. L’Irak, L’afghanistan, le Rwanda, plus récemment la Syrie, évitent l’oubli grâce au travail courageux de nombreux photographes qui vivent en plein cœur du conflit et qui, parfois, y meurent comme récemment Remi Ochlik en Syrie.

 

La photographie de guerre, une vieille dame

Les premières photographies de guerre semblent dater de 1855, lors de la guerre de Crimée. On peut imaginer la difficulté de l’époque pour capturer des images sur une surface sensible alors que les photographes devaient avoir à faire avec des temps de pose très longs, et des techniques de développement pointues et fragiles.

Puis au fil du temps, la technique s’améliorant, de nombreux conflits sont couverts par des captureurs de lumière restés désormais dans l’histoire : Mathew Brady (guerre de Secession), les frères Casasola (révolution mexicaine),  Joseph Sudek (la guerre de 14/18) qui profite de l’invention du Kodak pour perfectionner les clichés, et bien d’autres encore…

On ne peut parler de reportage de guerre sans parler de Robert Capa qui a su capturer la guerre dans tout ce qu’elle comporte de violence, de drame mais aussi de futilité. Le Japon, Israël, la guerre d’Espagne, la seconde guerre mondiale, l’Indochine… autant de conflits que de photos différentes témoignant de la spécificité de chacun de ces évènements.

Depuis Capa, se sont succédés de nombreux voleurs de lumière dont se distingue actuellement un jeune espagnol, primé par deux fois au WorldPress Photo : Samuel Aranda.

Venu du pays des Indignés, un photographe au coeur de l'indignité

La guerre est probablement une des choses les plus difficiles à photographier. Cette pratique demande à la fois une grande maîtrise technique, un sens de l'à propos, une grande humilité, une pudeur immense et bien sûr du courage, beaucoup de courage. Comment montrer une violence inouïe sans en faire l'apologie? comment révéler au monde la souffrance d'une mère penchée sur le corps de son enfant mort sans tomber dans le voyeurisme? comment éviter le piège de l'indécence pour le prix d'une photo choc? Comment saisir l'idiotie humaine avec recul et sensibilité? C'est ces qualités qui ont fait de Samuel Aranda un photographe authentique, témoin de l'histoire contemporaine.

Samuel Aranda est né à Barcelone. Très rapidement, il décide de capturer dans ses objectifs le conflit humain dans toute son absurdité et sa violence. Dans les années 2000, alors que le conflit israëlo-palestinien se perdait dans un deuxième intifada, Samuel Aranda pointe son appareil photo sur les enfants et les femmes de la Bande de Gaza. C'est à travers leurs yeux et son objectif, qu'il ramène des clichés saisissants de réalisme, permettant de prendre conscience des à côtés de la guerre. C'est grâce à cette première expérience qu'il devient alors photographe de l'AFP, puis du New York Times.

Samuel Aranda commence alors à parcourir la planète dans tous les sens pour partager son indignation avec nous : l'immigration, la guerre, les Révolutions arabes, la mort, la souffrance, l'enfance perdue... Ses nombreux clichés sont là pour témoigner des milliers de vies humaines oubliées au fin fond des débris de villes dévastées.

L'immigration, à la recherche des rêves perdus

Samuel Aranda travaille fréquemment sur la transhumance humaine, cette recherche de l'Eldorado qui se termine souvent au coeur de bidonvilles improvisés. C'est là, à côté de chez lui, au coeur d'une Barcelone exhubérante, qu'il part à la recherche de témoignages photographiques. Il capture ainsi des dizaines de photos de migrants africains et tunisiens errant au hasard des rafles de police, dormant dans des squares et pourtant continuant de croire en leur chance d'être là, dans un pays "développé".

Samuel Aranda travaille en numérique quand il travaille en couleur. Il réalise alors des clichés colorés, réalistes, sans aucun artifice inutile. Ce qui l'intéresse c'est le message, la vérité, la brutalité de ses images. Le mouvement fait partie intégrante de ses choix photographiques. Ainsi, il invite le spectateur à assister en direct à la détresse de cet homme effectuant un travail difficile dans une banlieue espagnole en échange de quelques gouttes d'eau pour lui et sa famille. il capture la lumière de façon brutale, ne l'édulcore pas, et grâce à des vitesses de prise de vue rapides, saisit l'effort et la dureté du travail de ce jeune homme.

Passant énormément de temps avec ses sujets, il rentre en relation avec eux, partage leur quotidien, ainsi il ne vole rien. Tous les clichés sont consentis et il n'est pas de ceux qui jouent à piéger la réalité pour la vendre ensuite à l'insu du principal intéressé. Ses clichés sont vrais, vécus, aucune mise en scène, aucune volonté de choquer, Samuel Aranda vit ce qu'il photographie, faisant de la lumière sa complice et son assistante.

Capturer des images de vie sous-entend également voler des images de mort, Samuel Aranda sait le faire aussi.

Ce corps échoué sur une plage espagnole raconte toute la misère et le désespoir qui ont mené ce jeune homme vers un destin mortel, loin de chez lui. Le captureur de lumière se doit aussi de montrer la face cachée de l'immigration, celle dont on ne parle quasiment jamais, ces vies perdues pour un Eldorado jamais trouvé. Les débris témoignent discrètement de la violence du choc, l'absence quasi totale de couleur souligne cette mort discrète, cachée du monde entier, ce corps abandonné temoignant de l'égoisme de l'humanité toute entière.

Une scène du Yemen ou d'ailleurs...

Cette photographie a fait le tour du Monde depuis la victoire de son captureur au WorldPress Photo. Prise au Yemen, lors de la Révolution de 2011, elle témoigne des dessous de la dite Révolution et des sacrifices que la population a dû faire pour réclamer sa liberté.

Une mère et son fils, image d'Epinal qui n'est pas sans rappeler l'iconographie religieuse de la vierge portant son fils descendu de la croix, sur ses genoux. Hasard ou volonté du photographe? est-ce une manière de rappeler que l'histoire se répète sans relâche et qu'il faut des sacrifiés, des mères éplorées pour que l'Humanité évolue? On peut également y voir la douloureuse réalité de la guerre si justifiée soit-elle, cette évidence qui fait passer la vie en second plan. Le fils se réconforte auprès de sa mère. Fils blessé, mère emprisonnée dans une burkah... Fils mis à nu par une volonté de liberté, mère cachée... Plus qu'un symbole, cette photo dit mieux que les mots les enjeux des Révolutions arabes, enjeux que les occidentaux peinent à comprendre.

Samuel Aranda a encore une fois capté la scène avec la pudeur qui lui est propre. Un cadrage parfait sur ce moment intime appelle au silence et à la réflexion. Aucun artifice, aucune prouesse technique... La vérité, rien que la vérité...

La photographie, révélatrice du champ de tous les possibles

Samuel Aranda travaille actuellement sur les possibles et les impossibles des Révolutions arabes. L'équipe de Reflets est très mobilisée sur ces évènements, et nombre d'articles traitent de ces évènements, analysent, émettent des hypothèses et c'est très bien. Il est des moments où les faits priment sur les discours et ce sont des photographes comme Samuel Aranda qui nous permettent de mesurer ces actions, d'envisager le courage quotidien qu'il faut à ces populations pour se rebeller et s'affirmer. Laissons ces images parler d'elles mêmes.

 

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