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par drapher

Il n'y a pas de crise économique, c'est ballot, non ?

L'économie française se porte bien, malgré les discours gouvernementaux et patronaux  catastrophiques. Si elle ne se portait pas bien, s'il y avait une véritable crise économique qui perdurait, certains indicateurs seraient au plus bas, voire en régression. Et c'est exactement l'inverse. Le seul facteur économique qui stagne — et pas seulement en France, mais dans la plupart des économies de marché avancées — est la croissance du PIB.

L'économie française se porte bien, malgré les discours gouvernementaux et patronaux  catastrophiques. Si elle ne se portait pas bien, s'il y avait une véritable crise économique qui perdurait, certains indicateurs seraient au plus bas, voire en régression. Et c'est exactement l'inverse. Le seul facteur économique qui stagne — et pas seulement en France, mais dans la plupart des économies de marché avancées — est la croissance du PIB. Sauf que l'économie mondiale a changé depuis la grande crise financière de 2008, avec entre autres l'émergence des nouveaux acteurs [géants] des plateformes numérique du tertiaire. Le PIB est particulièrement sensible à la croissance de l'activité des secteurs primaires et secondaires — des secteurs basés sur des productions concrètes et difficiles à camoufler, particulièrement en termes fiscaux. Et le PIB ne calcule que… ce qu'on lui donne à calculer. Pas ce qui est caché ou qui échappe aux services qui le calculent. Alors, pourquoi nous parle-t-on toujours de "crise économique" pour expliquer des problèmes sociaux tels que le chômage, la pauvreté, ou encore la dette publique trop élevée, les déficits budgétaires et les difficultés des entreprises ?

En 1984, c'était déjà la crise…

Les plus jeunes de nos lecteurs n'ont pas dû voir cette émission de TV assez saisissante, présentée par l'acteur de cinéma Yves Montand — anciennement communiste — qui décida soudainement de tourner sa veste et se convertir au libéralisme de marché : "Vive la crise".

L'émission avait pour but d'expliquer aux Français que la "crise" qui leur était vendue à longueur d'articles et de journaux télévisés n'existait pas, ou plutôt, qu'elle était une chance. Parce que oui, déjà à l'époque, une crise économique terrible assaillait la France : la croissance était au plus bas, le chômage avait atteint 2 millions de personnes — un seuil historiquement élevé — et les indicateurs économiques forçaient le gouvernement au "tournant de la rigueur", c'est-à-dire à démanteler lentement "l'Etat providence" par l'établissement d'une austérité budgétaire. En langage clair : commencer à vendre les services publics au privé, réduire la part de l'Etat dans le maximum de domaines possibles, et donc, abaisser la redistribution de la richesse collective.

A cette époque, de "grands analystes", les mêmes qu'aujourd'hui, venaient expliquer à l'antenne dans de prestigieuses émissions, "pourquoi la crise ?", et comment en sortir. C'étaient par exemple Alain Minc et Jacques Attali, ici chez Bernard Pivot :

C'est lors de cette émission que Bernard Pivot découvre, ébahi, que la régulation d'Etat était bien plus forte sous Giscard d'Estaing qu'avec les nouvelles dispositions socialistes de Mitterrand, qui permettaient par exemple aux boursicoteurs de payer nettement moins d'impôts. Ce qui réjouit Alain Minc. Et transcende Jacques Attali, qui ne voit de sortie de crise que par "plus de libéralisme". L'Etat est déjà considéré comme un monstre dirigiste qui accentue les problèmes, tandis que les dépenses sociales "somptueuses" des contribuables sont pointées du doigt, voire deviennent le cœur du problème. C'était il y a 33 ans. Déjà, l'idée d'un libéralisme "ni de droite ni de gauche" émergeait, celui d'un Alain Minc, en l'occurence.

Qui voudrait investir dans un pays en crise ?

Au fur et à mesure du temps, la crise économique française est devenue un serpent de mer qui a autorisé des politiques toujours identiques, qu'elles soient appliquées par des gouvernements dits de gauche (socialistes) ou dits de droite (RPR, puis UMP). Ces politiques ont toutes pratiqué la même ligne qui peut se résumer assez simplement :

— Privatisation totale ou partielle des entreprises publiques et/ou mise en concurrence (les grandes banques et compagnies d'assurance nationales, télécoms, avec Strauss-Kahn sous le gouvernement Jospin, puis les secteurs énergétiques, des transports, etc, avec Chirac, Sarkozy et Hollande)

— Aides aux [grandes] entreprises privées : création et accentuation de niches fiscales, abaissement des cotisations sociales sur les salaires, aides publiques à l'installation, aides  au chantage sur  pour empêcher les délocalisations, à la R&D, etc…)

— Abaissement des prestations sociales d'Etat et augmentation des cotisations des contribuables (CSG, dé-remboursements, baisse des prestations, changement des seuils sociaux, création et augmentation des taxes et impôts indirects)

— Accentuation de la dérégulation financière, abaissement des contrôles sur la fraude financière avec la réduction drastique des inspecteurs du fisc

— Sur-régulation administrative des simples contribuables, assouplissement des règles pour les investisseurs

— Complexification, dématérialisation et accentuation du contrôle des aides sociales

— Changements permanents des seuils d'imposition (aux fins d'augmentation des recettes fiscales ou à l'inverse d'apaisement social), des règles d'exonération, création d'avantages fiscaux récurents en faveur des détenteurs de capital : les 1 à 10% des plus riches

— Baisse des investissements publics, des dotations aux collectivité territoriales

— Incitations aux investisseurs étranger (zones franches, défiscalisations, etc)

Toutes ces politiques économiques ont échoué à endiguer certains phénomènes bien précis : la paupérisation grandissante d'une partie de la population, le chômage, la qualité d'accès aux soins, à une éducation de qualité, et de façon plus globale à accroître le bien-être matériel général. Et pourtant ces politiques sont toutes appliquées avec une rigueur constante depuis 30 ans, sans résultats, avec comme prétexte qu'elle doivent permettre de lutter contre la "crise". Etrangement, dans la cinquième puissance économique du monde, la France, les investissements étrangers continuent de progresser, au point, en 2016, d'avoir battu un "record" :

"Des Espagnols qui affrètent des avions, des Américains qui assemblent des tracteurs ou des Chinois fabricants d'ampoules LED, tous ces groupes internationaux ont choisi la France en 2016. Une année record pour les investissements étrangers, la meilleure en dix ans, avec 1 117 projets."

Bien entendu, l'idée immédiatement mise en avant dans cet article est la baisse du coût du travail afin d'expliquer cet "exploit". Sauf que les années antérieures n'ont pas été catastrophiques du tout, étaient stables et même en augmentation de 8% en 2015. Etrangement, la France est un pays qui reste très attractif et les raisons de cette attractivité ne sont pas contenues particulièrement dans le coût du travail (qui est moins élevé dans de nombreux pays européens voisins), sachant qu'on n'investit pas dans un pays en crise économique…

La crise est sociale… et… sociale

La crise est celle des salariés "moyens" du privé comme du public et des "petits" à leur compte, c'est à dire de 90% de la population. C'est une crise causée par le gel des salaires, du démantèlement des services publics, du détournement de l'argent public au profit des grands groupes privés, causant un affaissement progressif du filet de protection social, tout comme la ponction massive mal redistribuée des entreprises de petite et très petite taille. Dans le même temps, les profits des grands groupes industriels et de service ont augmenté dans des proportions phénoménales doublés d'une évaporation stupéfiantes des recettes fiscales de l'Etat face à ces mêmes entreprise géantes. Le déficit public français est donc une invention, puisqu'il suffit d'empêcher ces fortunes de cacher leur recettes à l'étranger pour le résorber. Ou arrêter de faire des cadeaux fiscaux somptueux aux plus grands groupes. Le calcul du PIB est faussé par ces mêmes évasions fiscales, puisque des parts importantes de nombreuses activités très lucratives ne peuvent être comptabilisées dans la richesse nationale, de par ces évasions.

La France est riche. Très riche. Elle forme des salariés de haut niveau avec l'un des niveaux de productivité les plus élevés au monde, possède une qualité de recherche parmi les meilleures au monde, des infrastructures très modernes : tous ces facteurs incitatifs pour les investissements étrangers sont payés… par une population de plus en plus paupérisée, avec de moins en moins de redistribution publique de leurs taxes et impôts vers la collectivité. A qui l'on explique en permanence que "c'est la crise", et qu'il faut faire des "sacrifices".

C'est donc une forme de détournement de la richesse collective qui a été en réalité opérée, d'une minorité… au détriment de la majorité. Mais la machine économique globale française marche très bien. Même si les décideurs le cachent. Conserver un chômage de masse, des salariés apeurés, en tension sociale, de santé, professionnelle, est le meilleur moyen de les forcer à accepter d'être payés bien en dessous de ce que leur travail vaut. Pourquoi ? Pour que les dividendes des actionnaires continuent — comme aujourd'hui — de croître. Avec deux chiffres. Si demain le chômage baissait fortement, les salaires seraient réévalués vers le haut, les recettes publiques augmenteraient, et il n'y aurait plus de moyen de faire pression vers le bas et forcer la population à accepter toutes de sortes de réformes visant à leur faire perdre leurs droits sociaux et surtout leur capacité à être de simples variables d'ajustements des grands groupes.

En avril 2013 l'actuelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud était directrice des ressources humaines (DRH) de Danone. Alors qu’un plan de départs volontaires frappait 900 salariés cadres du groupe d’agroalimentaire, dont 230 en France Muriel Pénicaud a vendu ses actions de l’entreprise et réalisé un bénéfice de près de 1,13 million d’euros. L'ancienne DRH a touché plus de 4,7 millions d’euros de son employeur entre janvier 2012 et avril 2014, date de son départ de l’entreprise. Cette somme n’inclut pas le pactole des stock-options. (article Le Monde)

Note de la rédaction de Reflets : Un salarié au smic devrait avoir commencé à travailler sous Louis XIII pour accumuler ce montant. Soit depuis 1610.

Pas de crise, juste une guerre remportée

C'est ainsi qu'en 2017 les Français ont mis un ancien ministre de l'économie — adepte des aides aux multinationales visant à creuser le déficit public — ancien banquier, adepte du système financier et prêt à gratter 100 millions d'€ en 2017 sur le dos des plus démunis (tout en promettant des avantages aux plus fortunés), à la tête de l'Etat. La continuation des politiques visant à abaisser la capacité économique des 90% de la population, la baisse de la redistribution de la richesse collective, pour permettre aux 10% de continuer de remporter la mise, et en sus, de ne pas avoir à participer à l'effort collectif (ou si peu) sont inscrites dans le mandat d'Emmanuel Macron. Elles ne sont rien d'autre que la victoire, mondiale, d'une hyperclasse, qui se réunit une ou deux fois par an dans une stationde ski ou dans un lieu interdit aux médias, afin de déterminer les moyens de continuer à leur permettre de se maintenir matériellement bien au dessus et bien au delà de ce que n'importe quel prince de la renaissance ne pouvait rêver à son époque.

Il est possible de trouver cette explication et cette analyse baroque, ou complotiste, voire paranoïaque. Il n'en reste pas moins que les 80 milliards d'évasion fiscale sont réels, tout comme le Forum économique mondial de Davos, ou le Groupe Bilderberg ainsi que la progression des profits des grandes entreprises, le gel et baisse des salaires, le démantèlement des services publics, du système social en cours, les investissements privés étrangers toujours au rendez vous, et au final la très bonne santé de l'économie française malgré tous les discours indiquant le contraire.

Une dernière chose : chacun peut se demander à ce compte là pourquoi le chômage ne baisse pas ? Pour plusieurs raisons, mais dont l'une d'elles est centrale : depuis 20 ans, tous les groupes les plus puissants font des économies d'échelle à grands coups de délocalisation et de plans sociaux. Tandis que le tissu des TPE-PME dont une grande partie sont leurs sous-traitants, souffrent et stagnent, ou partent à la casse. Le but n'est pas de créer de l'emploi. Le but est de faire des profits maximums. Par tous les moyens. Même en trichant.

Tout cela s'appelle gagner une guerre.

Il n'y a pas de crise économique, c'est ballot.

Juste une guerre, qui est terminée pour l'heure.

Il est facile de savoir qui l'a gagnée.

Et surtout qui l'a perdue.

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