Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

High Frequency Trading : les gendarmes de la bourse pédalent dans la semoule

Le 6 mai dernier 2010, Wall Street enregistrait en cours de séance et en l’espace de quelques minutes, une chute de 9%. « Une première » en termes de vitesse et de violence, expliquait la SEC dans un rapport de 150 pages consacré à cet événement. Le gendarme de la bourse ne lésinait pas sur les pistes de réflexion possibles. Pour autant, elle se montrait particulièrement pudique à propos du rôle qu’ont pu jouer le High Frequency Trading et ses acteurs le 6 mai.

Le 6 mai dernier 2010, Wall Street enregistrait en cours de séance et en l’espace de quelques minutes, une chute de 9%. « Une première » en termes de vitesse et de violence, expliquait la SEC dans un rapport de 150 pages consacré à cet événement. Le gendarme de la bourse ne lésinait pas sur les pistes de réflexion possibles. Pour autant, elle se montrait particulièrement pudique à propos du rôle qu’ont pu jouer le High Frequency Trading et ses acteurs le 6 mai.

Le 2 juin, la SEC avait réuni une tripotée d’experts pour parler, entre autres choses, du High Frequency Trading. La patronne du gendarme des bourses américaines, Mary Schapiro, confirmait que la SEC continuait de rechercher les causes du plongeon du 6 mai, mais affirmait qu’elles n’étaient toujours pas identifiées. Un mois après, cela avait quelque chose de très inquiétant… La SEC n’impliquait donc toujours pas le HFT, alors que depuis le 6 mai, les voix se multipliaient pour mettre en cause ces stratégies. « Avec une telle structure de marchés, un flash-krach comme celui-là devait arriver, la seule question était : quand ? », avait pourtant expliqué Richard Rosenblatt, l’un des traders auditionné.

 

En revanche, l’AMF, le gendarme des marchés français s’inquiétait relativement ouvertement –dans un autre rapport- (sans dire ce qu’elle allait faire à ce sujet) des risques induits par le HFT : cette pratique menace « l'intégrité du marché dès lors que les stratégies de trading sont détournées de leur objectif initial pour être utilisées à des fins de manipulation de marché. (…) « Le trading haute fréquence fournit (...) des outils susceptibles d'être détournés de leur usage légal. Ces outils sont de nature à faciliter la mise en oeuvre de stratégies manipulatoires ou contraires aux intérêts des clients (front running). (…) « De fait, dans un contexte d’automatisation des techniques de gestion et de traitement des ordres, les risques opérationnels revêtent probablement une importance croissante et, le cas échéant, systémique ». On ne peut être plus clair.

Contrôle impossible

Autre point inquiétant, tant l’AMF que la SEC reconnaissaient clairement qu’elles n’ont plus les moyens de surveiller les marchés. Le gendarme français expliquait qu’« Il convient d’ajouter que les stratégies HFT compliquent considérablement la surveillance des marchés, car elles démultiplient les volumes de données à traiter et brouillent la lecture du carnet d’ordres en amplifiant certains mouvements de titres. Ceci requiert donc que le régulateur se dote des moyens nécessaires pour documenter et analyser les pratiques et, dans un contexte où le secret est la règle, obtienne des données et informations précises sur les algorithmes mis en œuvre ». Analyse qui n’est pas sans rappeler l’étonnante consultation du Committe of European Securities Regulators (CESR). Consultation de laquelle il ressortait que l’institution n’avait aucune idée du volume et des stratégies de HFT…

La SEC, dans son rapport, soulignait que les volumes de données à traiter ne lui permettaient pas de dresser un bilan de la journée du 6 mai dans l’immédiat. Mieux, dans une déclaration postérieure, l’autorité des marchés soulignait qu’il était impératif de créer au plus vite un système d’audit des transactions. Trop de données, trop de sources, trop de formats, trop de marchés (dont les dark pools) et donc, une impossibilité de surveiller efficacement les échanges.

Si la SEC expliquait dès la première page de son document tirant un bilan du 6 mai que l’on peut soupçonner un petit souci de liquidité, en l’occurrence, un manque de volume d’acteurs actifs sur le marché au moment du plongeon, elle se contentait de quelques vagues paragraphes pour évoquer le HFT. Celui-ci représente tout de même un peu plus de 70 % du volume des transactions sur les marchés américains, selon les dernières études. La SEC était toutefois visiblement incapable de fournir un chiffre précis et semblait même obligée d’aller chercher des données dans les articles de la presse financière (note 88, page 93 du rapport).

Le fantôme Goldman

Si la SEC convenait que le retrait soudain d’acteurs importants du HFT « pourrait » avoir accéléré la baisse, elle n’évoquait à aucun moment le statut très particulier de Goldman Sachs. La banque a réalisé un premier trimestre 2010 sans un seul jour dans le rouge pour ses activités de marché. Et plus de 35 jours au dessus de 100 millions de dollars de gains. Interrogé sur Goldman, le NYSE n’a pas répondu à une question simple : quelle a été l’activité de Goldman pour compte propre le 6 mai ? Plus précisément, le porte-parôle français du marché à répondu que ce « ne sont pas des informations que l’on peut diffuser ». Dommage pour le sacro-saint concept de « transparence des marchés ».

 

Mais surtout, Goldman est devenu en quelques temps le principal acteur du marché. La part de Goldman Sachs dans l’activité pour compte propre réalisée sur le NYSE (actions) est passée de 27% au troisième trimestre 2008 à plus de 50% au premier trimestre 2009. Cette particularité s’explique facilement. Après la chute de Lehman Brothers, le NYSE faisait preuve, justement, d’un manque de liquidités. Pour contrer ce mauvais pas, le marché a créé un statut sur mesure pour les gros acteurs comme Goldman. L’institution est devenue « Supplemental Liquidity Provider ». A partir de cet instant, la part d’activité pour compte propre de Goldman explose. En clair, le marché américain propose à Goldman un rabais sur les coûts de transactions passés, notamment, grâce au HFT en échange d’une forte présence. Ce statut créé en octobre 2008 devait durer six mois. Il perdure aujourd’hui. Seul deux acteurs l’ont obtenu. Avec un Goldman Sachs qui représente 20 % du HFT chaque jour sur les marchés américains et plus de 50 % de l’activité pour compte propre sur les actions au sein du NYSE, ni le marché ni la SEC ne semblent s’inquiéter de ce qui pourrait arriver dans le cas où Goldman disparaissait. « Too big to fail » ?

Pendant les affaires, les affaires continuent

Et comme si le 6 mai n’avait jamais existé, le NYSE annonçait il y a quelques mois, triomphalement, bien entendu, l’ouverture d’un nouveau centre de collocation en Europe, près de Londres. L’idée était de proposer aux acteurs du HFT de venir placer leurs ordinateurs et leurs algorithmes au cœur même des systèmes de la place, histoire de gagner encore quelques microsecondes.

Pour cette occasion, le NYSE organisait une conférence en ligne sur Internet et réunissait 77 participants à travers le monde. Il faut dire que le marché européen est prometteur. Comme le disait Tariq Rashid, du NYSE au cours de la conférence, « l’Europe a trois ans de retard sur les Etats-Unis dans ce domaine ». Ce qui finalement est peut-être une chance ?

Cette mainmise des machines et des algorithmes sur les transactions est la résultante d’une course aux armements, comme la définissent eux-mêmes les banquiers. Le but est d’avoir l’infrastructure la plus puissante, la plus rapide, les meilleurs algorithmes pour gagner quelques microsecondes sur les concurrents.

A tel point que le marché des puces qui font tourner les ordinateurs en est affecté, dit-on.

Les microsecondes se gagnent désormais en implantant son infrastructure de HFT au cœur des systèmes informatiques des marchés.

Reste à savoir l’intérêt que représentera le HFT, lorsque tous les gros acteurs auront atteint le même niveau d’armement. Ils doivent juste espérer deux choses : qu’un méga flash-krach ne surviendra pas et qu’il y aura toujours assez de gogos pour pouvoir continuer à gagner de l’argent sur leur dos.

De fait, cette course aux armements a quelques répercussions intéressantes. D’une part, elle ne concerne que les gros acteurs, car le coût d’entrée est très important. En salaires pour ceux qui pondent les algorithmes, en matériel, en location d’espace au sein des marchés. Ceci exclut bien entendu les petits intervenants. En outre, les acteurs du HFT bénéficient de rabais pour les coûts de transaction. Dont ne bénéficient pas les petits. Pire, les acteurs du HFT peuvent déclencher des ordres massifs d’achat ou de vente et les annuler en quelques microsecondes, ce qui a une répercussion évidente sur les cours. Dans ce cas, les acteurs traditionnels n’ont pas le temps de réagir. Et comme les marchés sont censés être « à somme nulle », quand quelqu’un gagne, c’est que quelqu’un perd. En l’occurrence, ceux qui perdent sont désormais toujours les mêmes. Comme le prouvent les résultats de Goldman Sachs au premier trimestre…

Le concept de transparence des marchés, à peu près aussi foireux que celui de la main invisible ou des conditions égales d’accès au marché, en prend un coup.

Et pendant ce temps là, Christine Laboulette Lagarde, la voix de son maître, continuait de fanfaronner sur l’impact du contrôle des bonus des traders…

Depuis le 6 mai 2010, les autorités de marché, notamment américaines et françaises ont évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'encadrer le HFT. Elles ne l'ont jamais fait. Il vaut mieux parler de bonus des traders, ça fait plaisir à Paulo, qui en parle beaucoup au Bar des Amis, et ça ne fâche pas le secteur de la finance.

 

 

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée