Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Fabrice Epelboin

Hadopi, l’arbre qui cache la forêt du numérique #2012

Commençons par un point. Hadopi, c’était hier. Même s’il est toujours rigolo de faire du Hadopi bashing, les enjeux politiques relatifs au numérique dans la nation Française s’inscrivent dans un cadre autrement plus large et plus grave. Depuis maintenant près de 10 mois, le printemps arabe a été le terrain d’un conflit très dur entre des populations opprimées et des régimes dictatoriaux, un peu partout au Moyen Orient.

Commençons par un point. Hadopi, c’était hier. Même s’il est toujours rigolo de faire du Hadopi bashing, les enjeux politiques relatifs au numérique dans la nation Française s’inscrivent dans un cadre autrement plus large et plus grave.

Depuis maintenant près de 10 mois, le printemps arabe a été le terrain d’un conflit très dur entre des populations opprimées et des régimes dictatoriaux, un peu partout au Moyen Orient. Que ce soit sur le terrain, où on déplore des morts chaque jour, ou sur les réseaux, l’activisme ou le cyber activisme est de plus en plus réprimé.

Cette répression numérique, un ensemble de technologies permettant la surveillance, la censure et - en fin de compte - le contrôle des internautes à l’échelle d’un pays tout entier, est depuis quelques années un rêve accessible pour tout dictateur disposant de quelques dizaines de million de dollars. L’équivalent de trois mallettes de billets, trois fois rien.

Il s’agit là d’armement destiné exclusivement à la répression des populations, qui se vendent d’ailleurs à l’aide des même intermédiaires, tel le désormais célèbre Takkiedine, qui fut intermédiaire entre la France et la Libye du colonel Kadhafi pour la vente d’équipements informatiques Bull/Amesys. De l’armement, mais numérique. Autre troublante similarités avec les armes : la façon de menacer de mort une rédaction toute entière.

Les récentes révélations du patron de l’Agence Tunisienne de l’Internet indiquent clairement que la Tunisie, et la Libye dans une moindre mesure, ont été le laboratoire de ces technologies de répression.

Gigantesque laboratoire de R&D grandeur nature, peuplé de millions de cybercobayes à la merci d’un dictateur adepte de technologies, de répression et de surveillance, la Tunisie a donc bel et bien été le berceau de l’internet civilisé que beaucoup de politiques de tous bords rêvent d’imposer à la France. Un internet où l’ordre et la loi est censé régner.

Vous noterez l’étrange coincidence de l’abandon de ce terme, «internet civilisé», à l’occasion du premier eG20™, juste après la chute de Ben Ali. Troublant.

Open your eyes and realize

La France est aujourd’hui l’un des grands acteurs du marché des armements numériques, aux cotés des chinois, et bien sûr des américains. Et comme pour l’armement conventionnel, la France a su garder son rang de grand marchand d’arme.

Ces armes, demain, seront déployées sur nos réseaux, vraisemblablement parce qu’elles peuvent également y apporter des services supplémentaires : filtrer le porno pour les gosses, plutôt que de vous creuser la tête à configurer un filtre parental, proposer des abonnements markétés différemment, mieux cibler vos publicités, bloquer les méchants virus, réguler le trafic, et faire le café.

Le potentiel de création d’argent avec ces technologies est colossal. Les technologies de surveillance permettent d’en savoir mille fois plus sur un individu que ce que Google ou Facebook ne pourraient jamais envisager de faire. Qu’il s’agisse de traquer un opposant politique ou un acheteur de Ford Focus pour lui afficher une publicité, ces technologies viseront mieux, et plus efficacement, que tout ce qui a pu être imaginé jusqu’ici.

Ces technologies promettent également de filtrer ce qui n’est pas bien sur le net, de façon efficace : contenus pédophiles et bien sûr contenus copyrightés, mais aussi, comme nous l’a montré Claude Guéant, contenus politiques.

Ces technologies permettent de ralentir certains flux d’informations au profit d’autres, pour en favoriser la diffusion, et reconstruire, en contraignant les internaute, de nouveaux grand carrefour d’audience, ou avantager une technologie plutôt qu’une autre qui lui ferait concurrence.

En cas de trouble sociaux, elles permettront d’identifier rapidement les leaders, les relais, les «influenceurs», d’en réaliser des profils extrêmement détaillés, et bien sur d’interférer dans leurs communications. Elles servent déjà à cela dans pas mal de pays, demandez donc à un Syrien de vous en parler. Demain, elles seront utilisées de la même façon en France, si rien n’est fait aujourd’hui.

Quand je dis aujourd’hui, c’est aujourd’hui. Maintenant. C’est l’enjeux central du numérique pour les présidentielles, caché par un Hadopi qui est bien pratique pour tout le monde.

Ces technologies promettent aujourd’hui des outils de contrôle des peuples à leurs dirigeants, et preuve est faite, à droite comme à gauche pour ce qui est des dirigeants Français, que la tentation du pouvoir sera trop grande à abuser de ces technologies.

Il est temps d’en réguler étroitement l’usage, la vente, et le déploiement, et de s’assurer que jamais elle ne pourront aller à l’encontre de la volonté des peuples. Pour ceux qui souhaitent rester en démocratie, tout du moins.

Il est temps d’exiger des candidats à la présidentielle une réponse claire et nette sur ces enjeux fondamentaux pour le monde de demain.

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