Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

Grèce : être contre l'austérité, c'est tellement extrême…

Pour ceux qui ont voulu suivre les derniers événements politiques grecs depuis la France, ils ont certainement entendu que les "extrêmes" avaient gagné les dernières élections législatives. En tout cas, c'est à peu près ainsi que les médias français ont résumé le vote grec, la plupart du temps.

Pour ceux qui ont voulu suivre les derniers événements politiques grecs depuis la France, ils ont certainement entendu que les "extrêmes" avaient gagné les dernières élections législatives.

En tout cas, c'est à peu près ainsi que les médias français ont résumé le vote grec, la plupart du temps. En appuyant bien fort sur le fait que le parti d'extrême droite néo-nazi Aube dorée et la formation d'extrême gauche Syriza avaient obtenu de très bons scores et qu'un gouvernement de coalition n'avait pas pu être créé…

Le commentaire de ce reportage d'euronews à lui, l'honnêteté de parler de "gauche radicale", bien que son titre  soit, "Grèce : la percée des extrêmes" :

 

Mais que se passe-t-il vraiment chez le principal fournisseur de féta de la planète ?

Si les élections du 6 mai dernier n'ont pas permis aux socio-démocrates de constituer un gouvernement, ce qui oblige les électeurs héllenes à remettre ça en juin, elles ont par contre changé radicalement la donne politique. Les sondages d'intention de vote donnent désormais Syriza comme premier parti politique avec 24%. Mais qu'est-ce donc que Syriza et son jeune leader de 37 ans ? Des rouges avec des couteaux entre les dents ? D'affreux extrémistes qui veulent appliquer les vieilles idées marxistes du début du XXème siècle ? Ce reportage de l'inénarrable BFMTV, (dont le code d'intégration a été désactivé sur Youtube, allez savoir pourquoi…) essaye de présenter le leader de Syriza sous un jour positif, mais le mot extrême revient quand même, c'est plus fort qu'eux, nécessaire, indispensable : il faut absolument dire extrême, sinon, ça ne marche pas :

http://youtu.be/QbEq8zCphQM

Comme pour la France, la politique grecque se résume médiatiquement à quelques poncifs qu'on rentre dans le crâne des gens de façon récurrente : si la formation politique n'adhère pas à la doxa de la troïka (commission européenne, BCE, FMI) et n'est donc pas prête à suivre les critères budgétaires de Maastricht, appliquer des programmes de réductions des dépenses publiques, elle est "d'extrême quelque chose". Si ce sont des nationalistes anti-immigration c'est  de l'extrême droite (mais même sans leur refus de l'europe, ils en seraient quand même par leur politique nationaliste), si ce sont des partis de gauche, ils sont d'extrême gauche. Parce que la "raison" est au milieu. C'est-à-dire ceux qui ne discutent pas grand chose et font ce qu'on leur dit de faire : sociaux démocrates (toujours prêts à appliquer les politiques libérales européennes) et les partis conservateurs de droite libérale (toujours contents qu'on privatise à tour de bras et qu'on réduise les services publics).

Donc, une formation de gauche, pleinement de gauche, qui n'adhère pas à la doxa émise par la troïka n'est plus de gauche pour les médias. Elle est d'extrême gauche. Allez, parfois ils se mettent à dire de "gauche radicale". Ah bon ? Pourquoi radicale ? Rien à voir avec les partis radicaux du XXème siècle en réalité. Non, il y aurait comme le dit wikipedia, une "acceptation plus contemporaine" de cette terminologie :

Dans une acception plus contemporaine, le terme de « gauche radicale » est utilisé pour désigner des courants se situant à la gauche des partis sociaux-démocrates, le plus souvent d'extrême gauchealtermondialistes ou de la gauche antilibérale (en science politique, en France, l'expression « Gauche radicale » désigne essentiellement les partis de la gauche du Parti socialiste dits parlementaires (PCFParti de gauche) et mouvements liés, auxquels on ajoute souvent l'extrême gauche

Ah ouais, quand même… Ca voudrait dire que si vous n'êtes pas chez les socio-démocrates, cette "gauche libérale", "économiquement à droite et socialement à gauche", que vous ne soutenez pas toute la politique libérale européenne montée depuis 25 ans, vous êtes un rouge, en gros. : " à la gauche des partis sociaux-démocrates, le plus souvent d'extrême gauche". Pourquoi ajouter "souvent" d'extrême gauche à la gauche radicale ? Mystère et boule de gomme. Les seuls qui ont le droit d'être simplement de gauche, sont les partis inscrit à l'Internationale Socialiste, les autres, sont radicaux, donc de l'extrême le plus souvent. Emballé, c'est pesé. Mais revenons aux grecs.

Essayer autre chose : le Front de gauche grec ?

Les grecs n'en peuvent plus des politiques d'austérité à répétition, le pays est exsangue, les injustices sont devenues insupportables pour une population qui n'est pour rien dans les magouilles de ses divers gouvernements et les attaques de la finance internationale à l'encontre de ses obligations d'Etat. Plus la rigueur imposée depuis Bruxelles est appliquée, plus le pays coule économiquement et plus les difficultés sociales croissent. Le constat étant effectué, les électeurs sont désormais prêts à voter pour une formation de 6 partis politiques de gauche, réunis sous l'appellation Syriza (qui signifie Coalition de la Gauche Radicale, justement…) et menée par le jeune et fringuant Aléxis Tsípras. CV irréprochable, belle gueule, l'ingénieur civil qui a permis à cette formation politique de recueillir plus de 16% aux élection législatives anticipées de mai dernier s'est vu confier la lourde tâche de constituer un gouvernement en 72h chrono. Il a échoué, d'où les nouvelles élections.

 

 

Mais ce que l'on ne dit pas c'est que Alexis-belle-gueule est le chef du parti Synaspismós, qui signifie Coalition de la Gauche, des Mouvements et de l’Écologie, et n'est pas à l'heure actuelle un parti d'extrême gauche. Exactement comme le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon en France. Et toujours dans la comparaison, Syriza est une coalition de plusieurs partis de gauche qui ne sont pas pour une sortie de l'UE ou de l'euro comme les partis d'extrême gauche le souhaitent tous.

Voyons un peu de leur programme économique qui permet de vite comprendre que les technocrates de Bruxelles et les dirigeants libéraux européens sont inquiets :

. Refus du plan d’austérité.

. Embauches massives dans la santé, l’éducation et les services sociaux. Programme immédiat de création de 100.000 nouveaux postes de travail (hôpitaux, écoles, organismes liés à la politique sociale). Les 100 000 postes ont disparu du programme depuis, ndlr

. Augmentation des indemnités pour les licenciements; mesures spéciales pour les chômeurs de longue durée ou de plus de 50 ans.

. Salaire minimum porté au niveau moyen des pays de l’UE 15 soit 1300 euros par mois.

. Augmentation des retraites.

. Retour à la propriété publique de tous les services publics et de tous les organismes dans les domaines de l’énergie, des télécommunications, des ressources en eau, des transports, des infrastructures (ports, aéroports, marinas, routes, installations touristiques etc), transparence et contrôle populaire du système d’attribution et d’exécution des grands projets et des politiques foncières.

. Etant précisé que les nationalisations ne concernent pas seulement le titre de propriété mais aussi la modification de la structure des entreprises publiques avec participation des salariés dans la prise de décision et contrôle social, de sorte que les entreprises ne soient pas au service de l’accumulation capitaliste, mais des besoins sociaux.

. Formation d’un pôle d’intervention étatique dans le système bancaire, avec pour pilier la Banque Nationale, la Banque agricole et la banque postale, qui passent sous contrôle public et deviennent propriété publique. Grâce à ce pôle, nouvelle politique sur le crédit, qui encourage la croissance, soutient les PME, les micro-entreprises et l’économie rurale, encourage des politiques sectorielles et renforce les secteurs les plus pauvres.

. Nationalisation de chaque banque incapable de remplir ses obligations et de servir les déposants et qui a besoin du soutien de l’état.

. Refus de la privatisation de la compagnie Olympic ariways, de l’OTE (France telecom grec)de la libéralisation du secteur ferroviaire, des ports du Pirée et de Thessalonique et développement de ces ports ainsi que de celui d’Higoumenitsa.

L'inquiétude principale des dirigeants cités plus haut, quelle est-elle ? Que la Grèce se porte plus mal économiquement qu'aujourd'hui ? Difficile, puisqu'en 2 ans, en appliquant des plans de rigueur les plus drastiques, avec des sauvetages à répétition, la Grèce est à -6% de croissance et a vu sa dette augmenter sans discontinuer… On peut surtout penser que si Syriza gagne les législatives, arrive à créer un gouvernement et applique un tant soit-peu son programme ils donnent un exemple. Parce que les "spécialistes" et autres experts de la crise expliquent sans cesse qu'il faut réduire les dépenses, mais si ceux qui veulent appliquer une autre politique arrivaient à un meilleur résultat ? Le fond du problème européen est celui d'un TINAallemand qui ne fonctionne pas trop mal pour celle-ci mais enfonce les autres, et plus particulièrement les petits pays de la zone euro. Ne pas permettre à un pays souverain, comme l'est la Grèce, d'essayer autre chose, est-ce bien démocratique, et surtout : que se passerait-t-il si avec une politique vraiment de gauche la Grèce se portait moins mal ?

La question doit angoisser en haut-lieu. Il n'en reste pas moins qu'avec une sortie de l'euro ou non (Sizia ne le désire pas mais les conditions laissent penser que cela pourrait devenir une obligation), d'autres propositions que celles de la troïka arrivent peut-être au sommet d'un Etat de la zone euro, et que ça, c'est plutôt intéressant à observer. L'avenir nous dira si les prédicateurs avaient raison ou non. Les Grecs n'ont de toute manière pas grand chose à perdre, vu l'état dans lequel leur pays a été plongé par les politiques européennes…

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée