Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par bluetouff

Google : 1, presse allemande : 0

Les rapports conflictuels entre Google et les organes de presse européens commencent à faire tâche. Le problème n'est pas franchement nouveau et il dépasse de loin le cantonnement au géant américain. Le nouvel épisode qui avait connu un chapitre français (et le connait toujours),  concerne les médias allemands avec en tête de la fronde le groupe Axel Springer.

Les rapports conflictuels entre Google et les organes de presse européens commencent à faire tâche. Le problème n'est pas franchement nouveau et il dépasse de loin le cantonnement au géant américain. Le nouvel épisode qui avait connu un chapitre français (et le connait toujours),  concerne les médias allemands avec en tête de la fronde le groupe Axel Springer.

Le nerf de la guerre est vieux comme le Net : un producteur de contenus veut à la fois être plus visible que ses concurrents mais il veut qu'on le voit sans que l'on diffuse ses contenus, ou qu'on les diffuse partiellement mais contre rémunération. En face le moteur de recherche indexe les contenus pour y donner accès, sur le site du producteur de contenus. Mais pour faire la promotion d'un contenu, le moteur va indexer des titres, une image et une accroche... ou juste un titre.

Et c'est là que Google lança Google News, pour différencier les résultats "du tout venant", des articles de presse, un investissement pour Google, rendu possible par ses colossaux revenus générés par la publicité... car oui, on a tendance à le perdre de vue, mais Google n'est pas un réseau social, Google n'est pas un fabriquant de téléphones, Google est une régie publicitaire, qui vend de l'espace et de la visibilité à des annonceurs, notamment la presse.

Nous avons donc des moteurs dont le business model est de vendre de la visibilité (de l'espace publicitaire) à des contenus générés par les utilisateurs de ses services pour les utilisateurs de ses services, et de l'autre des producteurs de contenus dont le business model est d'être lu pour vendre plus de pub.

Sur son service Google News, Google n'affiche pas de publicité. Il ne peut donc pas être taxé de "capter de la valeur" en utilisant les contenus de la presse. La stratégie est claire, Google offre l'accès aux contenus, gracieusement, en offrant l'indexation aux médias de leurs contenus pour que les lecteurs puissent les lires sur les sites cibles, c'est à dire les médias qui affichent une grande partie de leurs publicités grâce à cette indexation.

Mais ce n'est un secret pour personne la presse "traditionnelle" opère lentement un virage souvent douloureux du papier aux pixels. Ca n'allait déjà pas très fort avec l'élément maîtrisé, le papier, ça va donc encore moins fort avec l'élément pixélisé dont on saisit assez mal les contours.

Et quand on cherche des sources de revenus pour payer des salaires de journalistes, soit on arrive à trouver un point d'équilibre publicitaire avec ses propres annonceurs et en se plaçant soit même comme annonceur pour être visible, soit on instaure un paywall, c'est à dire un accès payant aux contenus, ce qui a un effet certain sur l'indexation (même s'il y a moyen de le faire plus ou moins bien).  La solution miracle n'existe pas.

Les organes de presse européens, jouant sur un problème réel mais qui n'a pas grand chose à voir avec cette cyber-choucroute, à savoir le goût prononcé de Google pour l'optimisation fiscale, sont parvenus à se placer quelques ministres dans la poche. Des ministres, qui, tout offusqués que Google ne payent pas d'impôt dans leur pays, les ont encouragé à aller demander des sous à Google au motif que ce dernier "captait la valeur" de leurs contenus. Sans vouloir rentrer dans une polémique absurde, il faut également se rendre compte que ces contenus, s'ils sont introuvables, n'ont plus aucune "valeur" : pas de visiteur, pas d'annonceur, pas de revenu publicitaire. La question à se poser est : Est-ce que Google capte de la valeur ou crée de la valeur pour les régies publicitaires des médias qu'il indexe... ma conviction est que dans l'état actuel du web, Google en crée plus qu'il n'en capte.

Mais la presse allemande, après le relatif succès de la presse française qui a obtenu de Google une forme de participation à son virage vers le numérique (moyennant contreparties bien entendu), est arrivée au point de rupture avec Google en demandant une rémunération due au motif que Google News utilise leurs titres, une image miniature, et l'accroche de leurs contenus pour donner accès à ces derniers. En clair, nous avons un média, qui est une régie publicitaire, qui demande à une autre régie publicitaire qui s'applique à ne pas diffuser de publicité pour donner accès à la régie publicitaire des médias...

Un autre point important, c'est que la définition d'un moteur de recherche est de donner accès à tous les contenus. Il n'existe pas de relation contractuelle à priori entre un média et Google. Si un média ne veut pas être indexé par les moteurs de recherche, il a une solution toute simple qu'il ne peut ignorer et que Google explique parfaitement dans sa dangereuse documentation qui peut faire de vous un cybercriminel : le fichier robots.txt qui va dire aux robots d'indexation, d'indexer ou non les contenus.  Cette absence de relation contractuelle "à priori", est probablement elle aussi un levier sur lequel peuvent jouer les médias pour tenter de faire pression (j'en entend déjà certains pouffer de rire à Mountain View) sur Google. Mais cette absence de relation contractuelle est inhérente à Internet, et c'est là probablement le raisonnement qui fait défaut aux médias frondeurs européens : Internet est un réseau public, on PUBLIE des choses sur Internet, ce n'est pas Internet qui vient nous voler nos contenus. Si vous ne voulez pas que vos contenus soient publics, il suffit de ne pas les PUBLIER sur Internet... oui je sais c'est une mécanique sémantique un poil complexe.

Passons maintenant au second niveau, celui de l'accès restreint à des abonnés. C'est évidemment faisable : le média conserve ses contenus à lui en les publiant dans un espace privatif. Mais ce qui est privé, forcément... c'est tout de suite (en théorie), moins visible. La toute puissance de Google, Facebook et dans une moindre mesure de Twitter dans la réalité de la diffusion de l'information, c'est que ces trois acteurs sont en grande partie des réseaux dont le rôle est de pousser le plus de contenus de leurs utilisateurs au public, et c'est justement ce qui fait leur toute puissance.

Plus amusant maintenant, de nombreux "médias frondeurs" sont aussi les premiers clients de Google qui guide les publicités d'annonceurs vers leur espace de diffusion... Là il y a bien une relation contractuelle établie, Google se commissionne comme n'importe quelle régie publicitaire sur les publicités affichées par ces médias qui sont eux aussi rémunérés pour cette diffusion. Ces mêmes médias mesurent leur audience grâce au service gratuit Google Analytics auquel certains sont parfaitement accrocs et qu'ils ont bien entendu rattaché au service Google Adwords faisant l'objet dudit contrat entre Google et eux.

Et PAN! ... dans les dents

A force de réclamer le beurre et l'argent du beurre, est arrivé ce qui devait arriver, et ce sur quoi nous avions déjà alerté... et encore, Google l'a fait de manière soft. La firme de Mountain View a tout simplement décidé de n'afficher que les titres des médias frondeurs :  plus d'accroche, et encore moins de visuel. La sanction aurait pu être bien plus douloureuse puisque certains moteurs n'ont eux pas hésité à désindexer totalement les médias frondeurs.

L'effet est immédiat : les contenus de ces médias ne sont plus mis en valeur, les visiteurs cliquent logiquement moins sur ce qui n'est aujourd'hui plus qu'un titre. Les médias non frondeurs, concurrents, voient leur trafic exploser au détriment des médias frondeurs.... rébellion... répression, schéma classique qui pique au portefeuille : moins de visites, moins de revenus publicitaires, Google dans son bon droit de ne pas avoir à acheter le couteau sous la gorge le droit d'envoyer du trafic aux médias pour que ces derniers vendent plus de publicité.

Conclusion 1  : on ne répond pas à un problème que les services fiscaux européens ont avec Google par un racket organisé maladroitement par une profession qui génèrent les contenus qui passent dans ses tuyaux. Les politiques européens ont leur part de responsabilité dans cette magistrale... disons le mot... branlée... que Google inflige actuellement à la presse allemande.

Et comme on a pu le lire à droite ou à gauche, tout ceci n'a pas grand chose à voir avec la liberté de la presse, Google n'empêche pas la presse d'écrire ou d'être lue mais ce n'est certainement pas à Google de payer pour obtenir le droit d'enrichir les médias. La presse, elle, reste libre de se payer des Google Adwords, de se payer un cluster de serveurs pour monter une instance Piwik (le logiciel libre de statistiques concurrent de Google Analytics)... ou de ne pas le faire.

Conclusion 2 : Google tu l'aimes, ou tu te casses.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée