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par shaman

#FueraBullrich : Il n'y a pas que le soleil qui chauffe en Argentine

En Argentine c'est l'été. Mais le peuple ne semble pas très intéressé par la plage. Depuis quelques jours, des milliers de manifestants sont dans les rues pour dénoncer la politique ultra-libérale du gouvernement Macri. Ils font face à une répression sauvage qui ne fait que souder le mouvement. Petit retour sur des évènements qui n'ont pas fini de faire trembler l'Argentine. Et qui ont un arrière-goût bien de chez nous  !

L'Argentine prête à s'ouvrir au monde ultra libéral ?

Il y a quelques jours les Français ont reçu une belle médaille décernée par The Economist : en élisant Emmanuel Macron à la présidence de la république, la France est devenue, pour le journal libéral, le pays de l'année 2017. Nous avons "défié toutes les attentes", "le jour de gloire est arrivé", c'est un "renversement stupéfiant". Hosanna ! Et Le Monde de poursuivre : "pourtant un Tel sacre n'était pas acquis". En effet, The Economist avait "hésité à adouber l’Argentine de Mauricio Macri, en plein tournant réformiste et libéral". Après quelques années de recul, cette hésitation était pourtant fort hors de propos !

Mauricio Macri remporte la présidence de la nation Argentine le 22 novembre 2015 suite à un scrutin serré, en ballottage (second tour), face au candidat péroniste Daniel Scioli. Il met ainsi fin à cent ans de gouvernance péroniste ou radicale. Et à douze ans de pouvoir de la dynastie Kirchner qui avait vu le retour de l'état providence, des nationalisations, et d'une forte croissance (9 % entre 2003 et 2011). Alors pourquoi ce changement de cap ? Car tout n'est pas rose chez les Kirchner ! La présidente sortante fait polémique avec en toile de fond, populisme et soupçon de corruption. L'inflation et le marché noir

s'envolent. Et l'Argentine reste au ban des marchés financiers, suite à un défaut de paiement lors de la grave crise de 2001. En 2005, les Kirchner avaient essayé de restructurer cette dette illégitime : une décote de 60 à 70% avait été acceptée par 93% des créanciers du pays. Mais les 7 % restants, communément appelés "Fonds vautours", avaient refusé la décote et entamé des procédures judiciaires, bloquant toute capacité de l'Argentine de lever des fonds sur les marchés financiers mondiaux. Une situation non acceptable pour un libéral comme Macri.

Dès son élection, Macri s'attelle à reconnecter l'Argentine à l'économie globale et à la communauté mondiale. Il met fin au contrôle du peso argentin alors sur-évalué. Il annule les quotas d'exportation et le contrôle des prix sur le soja et le blé, les deux ressources les plus lucratives à l'export. Il met fin aux subventions et au contrôle du prix de l'électricité, du gaz et de l'eau pour favoriser les investissements dans ces secteurs qui en avaient fort besoin. Il en résulte une forte hausse des prix de ces services, provoquant une grogne sociale. La cour suprême gèlera finalement la flambée des prix de ces services pour les particuliers, une décision accueillie avec soulagement par la société. Enfin, il accepte de payer les fonds spéculatifs vautours, un geste validé par le Congrès argentin, re-connectant ainsi l'Argentine aux marchés financiers mondiaux. Un éloignement du Venezuela et un rapprochement avec les États-Unis plus tard, et voilà notre Argentine redevenue une bonne élève de l'école néo-libérale !

Barack Obama dira :

"Je suis impressionné, parce qu’il a avancé rapidement sur tellement de réformes promises, pour créer une croissance durable et inclusive [...]".

Obama en visite à la "Maison rose", siège du pouvoir exécutif argentin
Obama en visite à la "Maison rose", siège du pouvoir exécutif argentin

Mais il faut croire que les investisseurs étrangers écoutent plus volontiers The Economist que "Barack Obama". L’escomptée "pluie de dollars" tarde à venir. L'inflation explose (40 % en 2016), le chômage enfle et la fragile industrie locale souffre durement face aux nouveaux produits autorisés à l'importation . Au diable ces timides réformes, il faut aller plus loin ! L'occasion lui en sera donnée en octobre 2017. Les élections législatives ont lieu le 22 octobre avec en ligne de mire le remplacement de la moitié du parlement et d'un tiers du sénat. Le résultat est interprété comme une grande victoire pour le parti au pouvoir. Sans obtenir la majorité absolue, Cambiemos (Changeons) sort renforcé et le péronisme perd son hégémonie dans les deux chambres. Macri affirmera à cette occasion : "Aujourd’hui, la certitude que nous pouvons changer l’histoire a gagné ". Il ajoutera : "Tout cela ne fait que commencer". Quelques jours plus tard devant un parterre d'entrepreneurs, il promettra une nouvelle salve de réformes : réforme fiscale, du le droit du travail et des retraites.

Macri et Macron sont dans le même bateau, qui va tomber à l'eau ?

Macri s'est-il inspiré de l'exemple français ? Ou a-t-il pensé qu'en visant en premier lieu les plus vulnérables de la société, il prenait moins de risques ? Sa première réforme sera celle des retraites ! Mise en scène... 

 Le système de retraite Argentin, initialement basé en grande partie sur le secteur privé, avait été durement touché par la crise de 2001 : perte de 13 % du pouvoir d'achat des retraités, forte augmentation de la population non couverte. La crise des subprime finira de l'achever avec la perte de toute la capitalisation engrangée pendant l'année en cours. La situation était devenue intenable. En 2008, les Kirchner vont profondément réformer le système en le nationalisant, garantissant ainsi une meilleure gestion, une meilleure transparence et augmentant de 86 % la part de population couverte. Un rapport de la Banque Mondiale datant de 2015 notera que le système de retraite argentin est le meilleur de toute l’Amérique latine. Encore un os dans la gorge de notre néo-libéral président Argentin !

Comment faire passer une réforme potentiellement impopulaire ? Les ingrédients de la recette sont bien connus. D'abord changer la méthode de calcul et d'indexation de la protection sociale visée, ce sera la première ligne de défense ("Mais non, ne vous inquiétez pas, cela ne va fondamentalement rien changer"). Puis, restreindre le panel des bénéficiaires en augmentant l'âge de départ à la retraite (de 65 à 70 ans pour les hommes et de 60 à 63 ans pour les femmes). Puis encore, passer la réforme en plein cœur de l'été et pendant les fêtes de fin d'année. Enfin, comme chez le voisin brésilien, présenter cette réforme comme étant un moyen de combattre les privilèges. Les argentins ne vont pas l'entendre de cette oreille !

Voir la vidéo "Tango for Resistance" 14 décembre : Face à l'ampleur de la réaction populaire le gouvernement tâtonne. Les députés en viennent aux mains à l’intérieur même du Parlement. Les débats sont finalement ajournés sans vote et donc sans l'obtention du quorum nécessaire au lancement du processus institutionnel. Le gouvernement se réunit dans l'urgence, des rumeurs font état de la possible utilisation d'un décret d'urgence (le 49-3 local). Devant la réaction des alliés du parti au pouvoir et des forces d'opposition, le gouvernement recule. La menace d'une grève générale de 24 heures est alors repoussée.

18 décembre : Cette fois le gouvernement a confiance. Une réunion avec les gouverneurs des provinces a eu lieu et ils lui ont réaffirmé leur soutien. Ceux-ci seront en effet les grands bénéficiaires de la réforme avec un transfert d'une partie de l'argent économisé vers ces dernières. Les gouverneurs obtiennent aussi des promesses d'une plus grande autonomie de leurs régions. Enfin décidés, les syndicats lancent une grève générale de 24 heures. Avant même que la session parlementaire eut commencé, des violences éclatent hors du parlement. Finalement, après 17 heures de débats, des affrontements qui se sont poursuivis durant la nuit et un pays qui a résonné au son des cacerolazos (concerts de casseroles), la réforme est finalement approuvée. 127 voix pour, 117 contre et 2 abstentions. Un beau travail accompli !

[%youtube:vFFpnSlYfE%] Suite aux évènements , Macri affirme : "Nous avançons bien, nous sommes sur la bonne voie_". Et quelle belle voie ! Sur le plan humain, on déplore plus de 70 arrestations et plus de 130 blessés (police et manifestants compris) dont 26 journalistes. Lors d'une conférence de presse tenue dans les locaux de SERPAJ fondé par le prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel, les organisations humanitaires affirment :

"Dans une ville militarisée, tous les manifestants ont souffert pendant des heures de gaz lacrymogènes toxiques, de balles en caoutchouc, d'attaques de camions à eau, aux mains d'une force de police chargée de décharger toute sa brutalité contre le peuple[...] Par la suite, ils ont déclenché une chasse à l'homme dans le centre de la ville, avec plus de 130 détenus sur lesquels pèsent des accusations criminelles graves [...]. Pour arrêter la mobilisation populaire, le gouvernement a également réprimé les "cacerolazos" spontanés de milliers et de milliers de personnes. [...] Le gouvernement national a mis en place un véritable état d'urgence, suspendant effectivement les garanties constitutionnelles sans déclarer l'état d'urgence". 

Dans un rapport publié quelques jours après la répression, Maria del Carmen Verdu de la "coordination contre la répression policière et institutionnelle" (Correpi) estime que :

"L'argentine traverse son pic de répression le plus violent depuis 1983".

Le "Movement of Clases Clasistas" (MAC), ayant piloté la mobilisation populaire, dénonce lui la collusion des grands syndicats et de certains partis politiques qui ont permis au gouvernement de passer cette réforme rejetée par une majorité d'Argentins. Pour eux, le combat contre la réforme des retraites aurait pu être gagné. Ils appellent à préparer le combat contre les deux autres grandes réformes promises par le gouvernement : la réforme du code du travail et la réforme fiscale. Ils concluent : "Il faut que nous nous préparions à gagner !"

Presque dix ans après la "vague rose", ayant vu l'arrivée au pouvoir de Lula, Chavez, Evo Morales, et autres José Mujica, l’Amérique latine a récemment connu une succession de revers par les urnes subis par ces gouvernements de gauche. De nombreux gouvernements progressistes voient leurs politiques remise en question. Les Sud-américains se sont-ils lassés des politiques de gauche ? L'exemple Argentin montre que ce basculement est plutôt à attribuer aux déceptions provoquées par les errements politiques des partis au pouvoir : corruption, acquis préservés pour les hautes classes sociales, populisme, scandales... Mais lorsque cela s'avère nécessaire, le peuple est plus que jamais prêt à se mobiliser, hors des structures et partis habituels. Et en émergent de nouvelles formes d'organisation prêtes à prendre le relais. Avec Macri, l'Argentine a été le premier pays à basculer à droite, sera-t-il celui qui préfigurera les nouvelles formes de mobilisations sud-américaines de demain ?

Le mouvement social en Argentine n'est pas près de s'éteindre. Tout comme la répression qui risque de l'accompagner.

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