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par Antoine Champagne - kitetoa

e-G8 : avec le Deep Packet Inspection, l'univers des possibles s’agrandit chaque jour devant nous

En ouvrant l’e-G8, le président français, Nicolas Sarkozy a donné le ton : « Les rêves d’hier sont devenus réalités et l’univers des possibles s’agrandit chaque jour devant nous. ».  La première phrase de son discours n’est pas anodine. Tout est désormais possible. Y compris une surveillance généralisée de la population.

En ouvrant l’e-G8, le président français, Nicolas Sarkozy a donné le ton : « Les rêves d’hier sont devenus réalités et l’univers des possibles s’agrandit chaque jour devant nous. ».  La première phrase de son discours n’est pas anodine. Tout est désormais possible. Y compris une surveillance généralisée de la population. S’il ne comprend rien à la technologie qui sous-tend ce réseau, l’ancien premier flic de France, fan de vidéo-surveillance, de fichiers policiers,  appréhende parfaitement les usages qui pourraient être faits d’Internet pour faciliter le travail des surveillants.

Le Canard Enchaîné a maintes fois (voir en bas de cet article) épinglé le locataire de l’Elysée à propos de son goût pour les interceptions judiciaires (ou pas). Dernier article en date, un décompte du nombre de ces interceptions qui atteint le demi-million, contre 12 684 pour l’Allemagne…

Il y a quelques temps, Le Figaro glissait deux "informations" dans un article sur ces sujets.

La première concernait les technologies permettant de surveiller les internautes. Technologies dont disposerait un pays particulièrement démocratique de l’autre côté de la Méditerranée. Le Figaro sous-entendait que ces technologies avaient été développées par une entreprise française et qu'elles seraient étendues en France d'ici peu. La seconde est véhiculée par le titre de l’article : la France n’aurait pas les moyens d’enquêter sur le Net

Premier point, les services de police spécialisés, qu’il s’agisse de la Police Nationale ou de la Gendarmerie, sont très performants. Deuxième point, les FAI font peu obstacle aux demandes « amiables » et donc hors d’une procédure judiciaire de plusieurs services. Il n’y a donc pas le début d’une information vérifiée dans ce titre du Figaro. En revanche, il prépare les esprits aux « possibles » évoqués à demi-mot par Nicolas Sarkozy.

En outre, le DPI, très utile pour surveiller les populations, est un merveilleux outil pour (mieux) faire du business. Explication…

Lors d’un discours remarqué il y a peu, Nicolas Sarkozy a estimé que l’Hadopi, telle qu’on la connaissait, n’était peut-être optimale. Et toute la presse de conclure qu’il allait revenir sur le concept même.

Pas le moins du monde. Nicolas Sarkozy est visionnaire : « Les rêves d’hier sont devenus réalités et l’univers des possibles s’agrandit chaque jour devant nous. ». En clair, la surveillance du P2P ne donne pas entière satisfaction.

Les politiques ne comprenant rien aux technologies Internet ont fait une loi qui se concentre sur une technologie : le Peer to Peer. Or dans ce domaine, les technologies évoluent plus vite que leur ombre. Les députés ont failli à leur rôle, qui est de faire des lois suffisamment généralistes pour ne pas être applicables que dans un cas très particulier.

Comprenant que les internautes se sont détournés du P2P, les ayants-droits, et en ligne de front, Nicolas Sarkozy, veulent mettre en place les outils qui permettraient de dire que M. Michu a téléchargé un contenu soumis à des droits d’auteurs. Quel que soit le moyen utilisé.

Savoir que M. Michu utilise un VPN deviendrait même un indice d’une activité douteuse. Dans l’esprit des ayants-droits ou de Nicolas Sarkozy. Car bien entendu, il ne leur viendrait pas à l’idée que M. Michu se connecte au réseau de son employeur avec un VPN.

Or détecter l’usage d’un VPN, savoir que M. Michu a téléchargé tel ou tel document via Usenet, qu’il a regardé un film en streaming, et lequel, le DPI le permet. C’est à cela que Nicolas Sarkozy pensait lorsqu’il a parlé d’une amélioration possible du système Hadopi.

Les projets sont nombreux de mise en place d’un « filtrage » (entendre « moyen de surveillance ») chez les FAI. Ils contiennent tous du DPI. Y compris en Europe...

Droits de l’Homme (d’être un consommateur)

Le DPI permet en outre de faire du ciblage très fin, de compiler des milliers d’informations sur tel ou tel « prospect ». Nicolas Sarkozy ne s’y trompe pas. S’il évoque l’accès aux savoirs qu’Internet permet, sa force pour rendre les Etats plus transparents (il aurait dû inviter Wikileaks pour en parler au e-G8...), s’il parle de renforcement de la démocratie et des droits de l’Homme dans le deuxième paragraphe de son discours d’ouverture du e-G8, c’est pour les oublier aussi vite.

Les quatre paragraphes suivants n’évoquent que l’aspect commercial du réseau : le grand supermarché. Un « écosystème » (un mot d’ailleurs emprunté au jargon de Microsoft qui l’applique à lui-même et aux entreprises qui gravitent autours de ses technologies).

« Que vous soyez entrepreneurs, chefs d’entreprise, ingénieur, penseur, journaliste, blogueur ou tout simplement utilisateur, je vous invite dans la plus pure tradition ascendante d’Internet à proposer, échanger et discuter pour enrichir la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du G8 de votre expérience et de votre vision. Pendant ces deux jours de travaux, vous allez contribuer au rapprochement de deux mondes. »

Là, on frise le ridicule. Qui sont les invités officiels de ce e-G8 ? Des entrepreneurs, des chefs d’entreprise. Mais d’ingénieurs, de penseurs, de journalistes, de blogueurs, d'utilisateurs, on n’en trouve pas trace.

Cherchez par exemple les penseurs, les journalistes, les blogueurs, les utilisateurs dans cette table ronde sur « Internet et la société » :

Tom Glocer,Andrew Mason (Founder and CEO, Groupon),Stéphane Richard (CEO France Telecom - Orange),Sheryl Sandberg (Chief Operating Officer, Facebook),Klaus Schwab (Founder and Executive Chairman World Economic Forum),Jimmy Wales (Founder Wikipedia),Moderator: Maurice Lévy (Chairman & CEO Publicis Groupe)

Peut-on savoir, les propositions devant être faites pour le G8, elles, seront issues de ces plénières ? Quelle place sera donnée à la masse des intervenants d'Internet au quotidien, ceux qui ne sont pas introduits en bourse ?

Autre exemple amusant, pour parler d’éducation, l’e-G8 laisse la parole à Rupert Murdoch. On va donc éduquer les masses à base de Foxitude. Résultat garanti.

Au mieux, trouve-t-on parmi les participants à l’e-G8 quelques responsables de media de masse, comme Fox, le Financial Times, Wired, Bertelsmann… Mais tous ont, avant tout, en tête la meilleure diffusion de leurs flux. Pas le moins du monde une bonne diffusion de l’information afin que les peuples soient mieux informés et puissent s’auto-déterminer. Là encore, le DPI vient au secours des diffuseurs.

Comment assurer que le flux vidéo de telle chaîne de télévision sera livré à M. Michu sans pertes de données, avec un débit suffisant pour que la qualité soit parfaite, sans à-coups, sans coupures ? Le DPI. Comment facturer ce service au plus juste ? Le DPI. Comment éviter que M. Michu ne télécharge telle ou telle émission gratuitement alors qu’elle est disponible en VOD ? Le DPI. Comment mesurer les usages qui sont faits de la télévision via les BiduleBox ? Le DPI.

Il a raison, notre président... Tout est désormais possible. Le printemps arabe l'a montré. Le mouvement en Espagne le démontre à ceux qui pensaient que le vent ne traverserait pas la mer. Ce réseau est une somme infinie des savoirs. Et quels que soient les outils de surveillance mis en place, les utilisateurs trouveront une parade. Car ce réseau n'est pas figé. Il évolue, se transforme à chaque instant. Les plus jeunes d'entre nous ne s'en souviennent pas, mais dans le temps, les outils de cryptographie étaient considérés en France (ou aux Etats-Unis) comme une arme de guerre. C'était à la fin du siècle dernier. Et pour s'exporter, le code source de PGP avait été même été imprimé sous la forme d'un livre qui pouvait être scanné (OCR). Pour ce qui est de l'évolution d'Internet, tout est en effet possible, M. Sarkozy. Même vos cauchemars.

 

 


La loi sur les écoutes trafiquée à Matignon

(Le Canard Enchaîné du 29 septembre 2010, Page 3)

Sarko reprend en main les "Grandes Oreilles" de la République

(Le Canard Enchaîné du 3 mars 2010, Page 4)

Le “secret-défense” à la rescousse des écoutes illégales

(Le Canard Enchaîné du 6 octobre 2010, page 3)

Les Grandes Oreilles se branchent aussi sur les ordinateurs

(Le Canard Enchaîné du 24 novembre 2010, page 4)

La conspiration de l'Elysée contre la loi sur les écoutes

(Le Canard Enchaîné du 10 novembre 2010, Page 3)
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