Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Yovan Menkevick

Changer la société : le hacking pour modèle

(parce que de nombreux commentaires renvoient une forme d'impuissance, de pessimisme fort compréhensible face aux constats politiques et économiques développés ici-même, il est important d'amener aussi des aspects constructifs et positifs à toute cette histoire. Les crises sont facteurs de création, de liens et d'inventivité puisqu'elles forcent à compenser les difficultés inhérentes qu'elles génèrent.

(parce que de nombreux commentaires renvoient une forme d'impuissance, de pessimisme fort compréhensible face aux constats politiques et économiques développés ici-même, il est important d'amener aussi des aspects constructifs et positifs à toute cette histoire. Les crises sont facteurs de création, de liens et d'inventivité puisqu'elles forcent à compenser les difficultés inhérentes qu'elles génèrent. Il est possible de hacker la société, à son échelle individuelle, et avec un mouvement de ce type de plus en plus partagé par le plus grand nombre, de faire basculer un peu les choses, voir beaucoup.)

Pour les plus jeunes, les moins de 25-30 ans, certains modes de fonctionnement sont quasiment inconnus. Par exemple, les trois ou quatre gugus qui entourent un capot ouvert de voiture avec tout un tas de clés, de tournevis et autres canettes de bière autour et qui passent plusieurs journées à réparer l'engin. Voir à fabriquer une chèvre en bois, installer une chaîne avec une poulie dessus, sortir la bête et l'ouvrir, pour en changer par exemple le disque d'embrayage.

Enfin, bref, il fut une époque où pas mal de monde bidouillait les voitures, mais pas seulement. A une époque pas si lointaine (il y a 20 ans) l'auteur de ces lignes construisait sa maison à partir de matériaux de récupération ou piochés dans la nature : le résultat du hack de l'habitat en question fut un coût de quelques milliers de francs, avec autonomie complète en eau (source), chauffage (bois) et électricité (solaire). Les années passées dans cette maison démontrèrent simplement qu'on pouvait très bien vivre en ne payant rien. Le seul oubli du hacker en question fut de forcer l'ami qui lui avait donné le terrain de lui permettre de demander un permis de construire…

Il est évident que les oligarchies qui tiennent l'économie, et par défaut l'orientation politique du pays, sont très dépendantes du fonctionnement de la population. Si la population se met à contourner certains fonctionnements, à ne plus passer par les "péages" des oligarchies, celles-ci vont se trouver très ennuyées. Voir un peu obligées de changer de registre. Nous parlons là de modèle de société et de mode de vie.

Changer soi-même, avant de vouloir changer le monde

L'attente populaire à chaque élection est symptomatique d'une société adolescente, voir enfantine, qui se fait croire, le temps d'une campagne électorale, que l'alternance politique va "changer leur vie". Il va de soi que lorsqu'on est adulte, on sait qu'on ne peut changer sa vie "que par soi-même". Mais cette élection est intéressante à plusieurs titres parce qu'on sent que les citoyens ne sont plus véritablement dupes et savent pertinemment que leur vie ne changera pas par des décisions politiques venues du haut. En tout cas, les enquêtes à ce sujet le soulignent. Et vis à vis du sujet qui nous occupe, la société et le système qui la régit, seuls 8% des sondés d'une enquête publiée dans le Monde du lundi 2 mars, estiment qu'il faut conserver ses fondamentaux, 33% qu'il faut absolument tout changer, 88% qu'il faut en changer une bonne partie.

Le fond du problème est qu'une société n'est en réalité que la somme d'individus et de leurs fonctionnements. "On a la société qu'on mérite" résume assez bien ce phénomène. Une société composée majoritairement d'individualistes génère une société…individualiste. Une société de frimeurs superficiels, donne une société superficielle et m'as-tu-vu. Des consommateurs compulsifs, une société consumériste. Mais au delà des ces constats un peu basiques, c'est l'aspect quotidien, social et économique qui déterminent les grandes tendances qui elles-mêmes vont orienter les fonctionnements des structures décisionnaires. De façon claire : si les Français commencent à moins acheter  de voitures, les ministres et les PDG des grandes entreprises se déplacent dans les médias, très inquiets. Si les supermarchés, les magasins de fringues de luxe, les points de vente de gadgets numériques commencent à être désertés, les dirigeants des méta-entreprises mondiales qui tiennent ces monopoles de production ont un souci. Et vont venir voir les clients-consommateurs-citoyens pour trouver des solutions…lesquelles seront très différentes fonction du pourquoi les  clients-consommateurs-citoyens ont arrêté d'acheter ces produits.

Oui, mais il ne sert à rien à attendre, encore une fois, que cet aspect des choses devienne réel, même si il commence à se manifester de plus en plus (sauf pour le luxe, mais on sait pourquoi) : parce que le principe d'un hack est basé sur le "do it yourself", pas du "wait for everybody". Parce que hacker la société est tout à fait possible, mais demande à ce que l'on hack soi-même sa propre vie, et donc son propre fonctionnement dans la société. Ce qui est une action toute politique, quotidienne, et qui plus est, peut amener un maximum de "bénéfices" personnels, avant même de parler du bénéfice collectif.

C'est quoi le hacking ?

Parlons du hacking au sens large, et de son principe. Couper quelque chose en tranches, le comprendre, le modifier, l'adapter à ses besoins, le re-fabriquer soi-même :  le principe de hacking est contenu dans ces quelques concepts. Linux est aujourd'hui encensé, il y a 15 ans quand vous en parliez, tout le monde vous regardait avec des yeux comme des billes, et après explications ou démonstrations, pas grand monde ne voyait vraiment l'intérêt de la chose.

Sachant que le système Linux n'existe pas en tant que tel, mais uniquement GNU/Linux. Sans Richard Stallman et son GNU, le noyau monolithique de Linus Torvalds (nommé de façon pédante par son auteur de départ avec son propre prénom modifié du x d'Unix) n'aurait rencontré que les quelques centaines d'applaudissements des membres de l'université d'Helsinki et le "bidule" de Torvalds serait resté confidentiel.

Parce que Stallman, au delà des apports du GNU qui ont permis que le noyau Linux devienne véritablement un OS à part entière, a déclaré des principes politiques, économiques déclinés avec les licences de copyleft bases de l'open-source, du libre et que ces principes fondent désormais le cœur de la communauté mondiale du dit libre et du dit open-source. Stallman est un hacker du MIT qui a débuté son activité de hacker dans les années 70 et a "hacké sa propre vie", et pour autant personne n'a envie de prendre Stallman pour modèle (ce qui serait ridicule). Par contre, des pistes de hack quotidiens, de société sont présentes dans "l'œuvre globale de Stallman", et du hacking en tant que tel.

Hacker c'est faire les choses, pas attendre qu'elles arrivent.

Si tu as un problème avec un appareil, essaye de le résoudre par toi-même, n'attends pas que l'entreprise qui te l'a vendu te le répare ou te le change. Si tu as envie d'un appareil qui n'existe pas dans le commerce, cherche à le fabriquer toi-même, n'écris pas à des entreprises pour qu'elles te le fabriquent et te le vendent ensuite. Si tu as envie d'un logiciel et qu'il n'existe pas ou seulement en version copyright, code-le ou fais-toi aider par d'autres pour le coder.

Tous ces principes, les adeptes du hacking informatique/électronique les connaissent très bien et les appliquent au jour le jour. Mais ils sont applicables à d'autres niveaux ces principes. A tous les niveaux en réalité. Et c'est là que se trouve certainement la piste principale du changement mondial qui a commencé (un peu) à s'opérer l'année dernière avec la révolution tunisienne, puis les mouvements des indignés espagnols, américains, anglais. Ces gens là ont "fait". Ils ont inventé des modes de participations aux débats, de communication avec le gouvernement, avec le reste du monde, créé une émulation etc…

Ce mouvement  n'est pas bien entendu une finalité puisqu'il ne peut être que temporaire et avant tout revendicatif. Mais il contient de nombreux ferments du hack de société possible : dans le mode de participation populaire, des systèmes électifs etc… Sauf qu'il lui manque peut-être le principal : l'action concrète quotidienne face à ceux qui "tiennent les rênes du pouvoir économique et politique". Cette action quotidienne n'a pas besoin d'être revendiquée ou visible, n'a pas besoin de slogans ou de membres déclarés : elle est simplement une manière de fonctionner différente, basée sur une autonomie et une capacité à s'emparer des difficultés pour les contourner au lieu de les subir ou d'attendre d'hypothétiques changements venus d'ailleurs.

Des exemples !

Oui, des exemples valent mieux que de longues théories : vous n'appréciez pas la pseudo-démocratie dans laquelle vous vivez parce qu'à part aller mettre un morceau de papier pour un cravaté aussi franc et sincère qu'un arracheur de dents et ensuite ne plus pouvoir rien faire face aux décisions du cravaté qui affectent votre vie quotidienne, vous ne pouvez rien influencer. Vous n'aimez pas les grandes multinationales qui écrasent tout, les grande boites qui licencient plein de gens pour faire plus de bénéfices, les tarifs qui augmentent et votre salaire qui chaque année fond plus vite, l'impression d'être une vache à lait etc, etc…

Mais la question centrale est : êtes-vous dans une démarche quotidienne de hacking ou  bien une démarche de consommation passive ? Combien filez-vous de thunes aux entreprises géantes que vous détestez ? Un appareil tombe en panne, vous le jetez ou vous le réparez ? Vous avez envie de quelque chose, vous allez consulter un site commercial ou vous cherchez comment le réaliser par vous-même, avec un groupe de passionnés ? La consommation électrique, rien à cirer ou bien des tentatives de la réduire, voire de se passer partiellement ou intégralement d'un fournisseur d'énergie? La nourriture : si vous passez par une structure de type AMAP ou La ruche qui dit oui, ça risque d'embêter Michel Edouard et ses trois ou quatre copains qui s'entendent sur les prix dans leurs hypermarchés, et en plus vous allez arrêtez de manger de la merde. Sans compter les petits producteurs qui peuvent vivre décemment en n'étant plus écrasés par les centrales d'achat des grands groupes agro-alimentaires. La liste est longue du hacking quotidien. Tout ça n'est qu'histoire d'envie, d'intérêt. Et puis surtout : demander le changement sans changer son fonctionnement est absurde. Financer les bourreaux et ensuite leur demander d'être cléments ?

Alors, il va y avoir bien entendu des levées de bouclier, elles sont connues et archi-connues, rabâchées, et totalement has-been, absconses, sans intérêt. Pour gagner du temps, je les cite (imaginez une voix de crécelle avec un ton outré) :

— "Mais ça coûte plus cher (solaire, amap etc), c'est un truc pour les riches, ils font comment les pauvres, hein ?"

Mort de rire : le hacking au sens large ne demande pas de moyens, mais du temps et de l'énergie. Les économies réalisées sont conséquentes une fois la démarche amorcée : les regroupements d'achat, un petit panneau solaire pour deux ou trois équipements permettent d'être au contraire plus autonome, de mieux vivre, moins payer. Arrêter d'acheter des trucs "nouveaux" en recyclant des occases, même punition. En gros tu dépenses moins de thunes, t'es moins dépendant, et au lieu de te payer un écran plat de 245 cm, t'investis dans ton autonomie future et le gros doigt que tu fais aux multinationales.

— "Mais si beaucoup de gens arrêtent de trop consommer, ça va faire perdre des emplois !" Ah ouais ? Vous savez combien d'emplois divers et variés des centres villes ont été perdus avec l'implantation massive des grandes surfaces depuis 15 ans : des millions. Et puis de toute façon, vous le faites pour vous le hack, par pour "les emplois", et en plus on ne sait absolument pas ce que peut générer ces démarches individuelles et/ou collectives d'un point de vue global puisqu'on n'a pas essayé. Par contre la version "je hack rien, je consomme, je jette ", on a testé, et on a le résultat.

— "Mais tout le monde ne peut pas faire du hacking, c'est élitiste quand même !" Ah ouais ? Sans blagues ! Ben c'est bien dommage pour "tout le monde". Mais c'est surtout faux : il y a 40 ans presque tout le monde savait réparer sa voiture, son poste de radio ou sa machine à laver. Et actuellement, avec l'accès à la bibliothèque mondiale numérique c'est encore plus facile. Suffit de savoir lire. Mais bon, si c'est à ce point là…

— "C'est compliqué et surtout j'ai pas le temps". Ben voyons. Comme disait un vieil ami philosophe, il y a fort longtemps à propos de ces prétextes de manque de temps : "dans une journée tu as 24 heures. Si tu "donnes" 8 heures à la société dans un emploi, il te reste 8  heures pour dormir et les 8 heures restantes tu peux faire des milliers de choses. Ce n'est qu'une histoire d'organisation…et de choix."

Voilà, voilà : des groupes se créent depuis plusieurs années, un peu partout : des villages autonomes, des regroupements de consommateurs, des hackerspaces de réparation, de création d'outils, des jardins potagers collectifs, des systèmes citoyens contributifs et participatifs, des Scopes d'anciens employés qui ont racheté leur boite ou créé la leur…

Tous ces hacks au sens large, vis à vis d'un système économique ultra concentrationnaire, monopolistique, anti-social et esclavagiste, loin des idéaux démocratiques peut être hacké à sa propre échelle un tant soi peu, voir beaucoup. Ces hack libèrent, permettent des rencontres, ouvrent d'autres horizons, et en plus, s'ils deviennent de plus en plus nombreux, peuvent changer la donne sociétale, allons savoir…

Pour finir, un hack politique et économique pratiqué en Espagne, à l'échelle d'une petite bourgade, mais qui dure depuis plus de 30 ans : Marinaleda. Intéressez-vous à cette expérience réussie et fascinante, uniquement portée et maintenue par ses habitants : il y a là quelque chose qui peut nous aider à réfléchir autrement. Parce que ce qui est déclaré impossible ou utopique par les élites n'est jamais tenté, à l'inverse de ce qui fonctionne très mal et crée de la souffrance et de l'exclusion. Bizarre, non ? Mais j'oubliais : les hackers, ce sont des pirates, et les pirates, faut les arrêter…

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