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Édito
par Yovan Menkevick

Ce n'est peut-être pas le capitalisme le problème…

(…mais comment et par qui il est appliqué. Le capitalisme a des origines anciennes, il est même le système d'organisation économique qui a le plus souvent prédominé dans les sociétés occidentales. Pour autant, c'est son application politique, ses objectifs qui posent problème, pas son fonctionnement intrinsèque détourné au profit d'une minorité depuis longtemps.

(…mais comment et par qui il est appliqué. Le capitalisme a des origines anciennes, il est même le système d'organisation économique qui a le plus souvent prédominé dans les sociétés occidentales. Pour autant, c'est son application politique, ses objectifs qui posent problème, pas son fonctionnement intrinsèque détourné au profit d'une minorité depuis longtemps.)

Il y en avait un en 2009 qui parlait de "moraliser le capitalisme", et chacun d'essayer de comprendre ce que voulait dire véritablement cette phrase un peu étrange. Comme si le système capitaliste était pourvu d'une "morale". Dans le même cadre de questionnement on pourrait se poser la question : "mon lave-linge ira-t-il au paradis, si Dieu existe ?". Ou bien encore : "l'argent est-il mauvais ou bon ?". Parce que réfléchir le capitalisme sur une base morale est absurde : ce mode de fonctionnement économique est basé sur quelques paradigmes très simples et il s'affranchit de toute empreinte philosophique en tant que tel. Il peut aussi bien servir le "bien du plus grand nombre", réduire les inégalités, qu'appauvrir une grande partie de l'humanité au détriment d'une petite élite, produire du mieux-être ou détruire les biens humains essentiels.

Cette réflexion est très importante parce qu'elle évite de tomber dans une sorte de facilité intellectuelle qui tend à pointer tous les maux de l'humanité sur un seul fonctionnement économique (qui n'induit pas qu'un seul type de politique) afin de dire qu'un autre, meilleur, nous permettrait de "mieux fonctionner". En tout cas de façon plus juste, plus équilibrée, avec une meilleur répartition des richesses. Les anti-capitalistes, majoritairement d'obédience trotskistes, sont à côté du sujet et ne produisent qu'une seule chose depuis des années : durcir les politiques libérales (nous parlerons de cette métamorphose du capitalisme plus loin). Les anti-capitalistes veulent appliquer des vieilles recettes du XXème siècle, celle du socialisme réel, recettes qui ne seront jamais acceptées dans le monde occidental et qui donc, ne servent plus à rien. [Pour les lettre d'insultes écrire à : hate@reflets.info.]

Petite histoire du capitalisme

Cette frise temporelle, qui bien entendu ne contient pas tous les éléments constitutifs du capitalisme, mais à le mérite (espérons-le) d'exister, permet de mieux embrasser son évolution au cours du temps et quelques uns de ses effets majeurs.

Ce qu'il faut retenir se résume en quelques points centraux : le système capitaliste s'est créé dans un monde excessivement pyramidal (les monarchies), de la rareté, avec une minorité de la population éduquée. Les système bancaires, puis boursiers ont pu se créer sans aucune contestation des populations, ils étaient une facilitation organisationnelle des possédants ainsi qu'un moyen pour les Etats de se garantir des fonds, d'optimiser le commerce. Les peuples ont soutenu ce système à partir du début du XXème siècle puisque la promesse de progrès technique et d'accès au confort du plus grand nombre en étaient les chevaux de bataille et qu'ils se sont concrétisés. La tentative en Russie de fonder un autre système s'est avérée une catastrophe politique, les occidentaux pouvant ainsi renforcer et soutenir la validité de leur propre système en comparaison du système soviétique. Malgré des crises, comme celle de 1929, les guerres mondiales, dont la seconde particulièrement traumatisante pour tout le monde mais aussi pour les ténors du système, le système a perduré mais a quand même dû se modifier : l'Allemagne d'Hitler s'est créée à cause de la crise économique et des politiques monétaires…

D'où les changements de règles économiques à partir des accords de Bretton-woods en 1944 et la fameuse période d'âge d'or du capitalisme nommée les trente glorieuses. Si vous avez lu les articles sur les origines de la crise, vous savez que le système capitaliste se modifie profondément à partir du début des années 70, pour basculer dans un nouveau fonctionnement jusqu'alors inconnu à la fin des années 80, ce que l'on nomme aujourd'hui libéralisme, et qui en réalité est devenu le néo-libéralisme. Ce système est un système en crise quasi permanente, une sorte de casino géant à l'échelle de la planète.

Le capitalisme, en soi, est-ce si mal ?

Provocateur, isn't it ? Nous sommes aujourd'hui dans un monde de la profusion mais aussi de la finitude : profusion de connaissances, de biens et de services, mais limitation des énergies fossiles, disparition d'une partie de l'éco-système, de l'eau potable etc, etc. Si jusqu'à il y a peu, le problème était de produire toujours plus de tout et d'engranger toujours plus de bénéfices en estimant que tout ça aidait de toute manière aussi un peu les plus démunis, que le capitalisme allait toujours vers une modernisation, donc une amélioration, rien n'est plus faux aujourd'hui. Les populations les plus pauvres le sont encore plus qu'il y a 20 ans : accès à l'eau potable amoindri, terres arables plus réduites, autonomie alimentaire au plus bas : les africains, par exemple, sont équipés en grand nombre de téléphone portables mais leurs conditions de vie ont baissé dramatiquement en l'espace de quelques décennies. Les écarts de richesses en France n'ont jamais été aussi importants depuis 30 ou 40 ans.

Mais alors comment penser que le capitalisme puisse être un système "pas si mal" et qui peut même nous permettre de tous bien vivre ? Parce que son caractère libertaire est une bonne chose. Son aspect inventif, adaptatif aussi. Ce qui pose problème n'est pas la production et la propriété privé, ni le fait de vendre au plus offrant, de s'enrichir personnellement, concepts qui font partie des fondamentaux capitalistes. Le problème est comment ? Avec quelles règles ? Jusqu'où ? Et au détriment de qui ? Un capitalisme décroissant est-il envisageable ?

le libéralisme, le néo-libéralisme ne sont pas le capitalisme. Le néo-libéralisme est avant toute chose la financiarisation de l'économie capitaliste basée sur la plus grande dérégulation des flux de capitaux possible. C'est un capitalisme de la finance hypertrophiée. Le capitalisme s'est vu détourné de ses bases par ce néo-libéralisme, tout comme le communisme s'est vu capturé par les staliniens et n'a jamais pu mettre en œuvre ce pour quoi il avait été pensé. Si le communisme soviétique a tué le communisme et vu l'effondrement de ce système, il en est de même pour le néo-libéralisme avec le capitalisme. Mais comme il n'y a pas de système de rechange, l'écroulement provoqué par ce néo-libéralisme risque d'orienter le capitalisme dans des extrémités, le faire plonger dans des "procédés étranges et difficiles". Parce qu'au fond, ce qui pose problème est l'utilisation politique d'un système économique d'échanges de biens et de valeurs qui en soi n'est ni "mauvais" ou "bon". La République de Chine pratique le néo-libéralisme économique avec un système politique dictatorial calqué sur l'Union soviétique. Et pour autant, Il n'y a pratiquement pas de chômage dans les pays démocrates du nord de l'Europe comme la Suède et la Norvège : les revenus minimum d'existence y existent depuis 35 ans, la corruption y est la plus faible au monde, la transparence y est généralisée…

Alors ?

On peut toujours critiquer les fondamentaux du capitalisme en éructant sur les théories d'accumulation du capital au détriment du travail, sur la création de la rareté pour accumuler du capital, mais au final c'est un système dans lequel les moyens de productions sont détenus par des particuliers. Pas plus, pas moins. Orienté depuis longtemps au détriment du plus grand nombre, c'est vrai. Et le fait que le capitalisme ait été un moyen de domination des uns sur les autres depuis le départ ne fait aucun doute, qu'il ait permis l'impérialisme , c'est un fait, mais pour autant au XXIème siècle il pourrait être recadré, ré-orienté pour permettre de trouver une issue aux crises sans commune mesure qui touchent la planète entière. Parce qu'imaginer qu'en donnant à l'Etat le pouvoir de gérer les moyens de production au détriment des particuliers résoudrait nos problèmes est une vaste farce : l'Etat n'est qu'un corps administratif sans âme et sans fantaisie qui ne peut que dramatiquement écraser l'inventivité, la liberté s'il devient le centre de la production économique. Tout comme la domination sans partage des grandes multinationale et de la finance internationale entravent la liberté des individus et font de même qu'un Etat tout puissant.

Le fond du problème, et qui n'est pas souvent discuté, n'est donc pas de savoir si le capitalisme est "bien" ou "pas bien", mais de savoir comment nous pourrions nous servir de ce qu'il a d'intéressant, (ce qui nous a permis de créer des choses fabuleuses  comme les ordinateurs et le réseau qui vous permet de lire cet article), pour que politiquement et socialement la société dans son ensemble se porte mieux. Mais ce n'est pas "mettre plus de social" ou de "justice" qui est en jeu, comme tentent de le faire croire les sociaux démocrates. Ce qui est en jeu c'est de radicalement transformer l'organisation politique, sociale et inventer des règles économique "autres" pour essayer, tout en conservant des fondamentaux capitalistes (propriété privée, structures de production publique et  privées, investissements etc…) d'organiser le "vivre ensemble" différemment. Ce qui nous entrave encore aujourd'hui est le règne de l'idéologie, et le siècle des idéologies est le XXème dont de nombreux penseurs politiques sont issus et qu'une incapacité à "penser sans entraves" caractérise. Il y a de nombreuses pistes à suivre, à créer pour adapter le système actuel à une dynamique adaptée aux enjeux et surtout aux capacités des populations.

Reprendre le pouvoir

A qui appartiennent les richesses ? Si vous vous posez honnêtement cette question, vous verrez qu'elle ne peut être résolue avec une seule réponse. Certains vont dire "aux investisseurs", d'autres vont dire "aux travailleurs", d'autres "à la nation". En réalité, la richesse d'un pays, si l'on accepte cette notion de "pays" qui est très variable, est l'addition de toutes ces parties. Et sur plusieurs générations. Cette richesse est donc la nôtre, pas moins ou plus que certains, et nos parents, grands-parents y ont participé, comme nous y participons. Tous, puisque le simple fait de payer de la TVA enrichit les caisses de l'Etat qui nous "accueille". Sans compter tous ceux qui font sans être rétribués mais qui participent à la richesse au sens large de la société : associatifs, artistes, bloggers, hackers etc…Un article du site Fhimt intitulé "Le capitalisme peut-il survivre à l’économie de l’abondance née du partage ?" pose de très intéressantes questions sur l'économie open-source et du partage des richesses dans une économie de marché capitaliste basée, encore aujourd'hui, sur la (création artificielle) de rareté. La première chose qui pourrait être faite en France au XXIème siècle (5ème économie au monde) avec ette richesse commune,  devrait être d'en redistribuer une partie à tous les citoyens sans conditions d'âge, de ressources, de revenus, de biens par le biais d'une allocation ou revenu universel d'existence proche du smic.

En Allemagne, selon le modèle de l'ancien président du conseil des ministres de Thuringe, Dieter Althaus (CDU), l'allocation universelle coûterait annuellement à l’État 583 milliards d'euros, mais ce système est alors conçu comme venant en remplacement de l'actuel système d'aide sociale, qui coûte 735 milliards. Donc l'allocation universelle selon le modèle « althausien » serait moins coûteuse pour les finances publiques que le système actuel

Sachant qu'il manque chaque année entre 50 et 80 milliards d'euros dans les caisses avec l'évasion et la fraude fiscale des plus grandes fortunes et des grandes entreprises.

Ces 600 milliards qui manquent à la France.

Parce que le capitalisme n'a pas besoin d'une compétition permanente entre les individus pour fonctionner puisque ce mode de compétition n'est pas intrinsèque au principe de création de valeurs et de production privée. Et si il n'était pas possible de se passer de cette notion, de ce fonctionnement jusqu'à il y a peu, les choses ont évolué. Les capacités des populations des pays riches ont explosé à tous les niveaux : le niveau de connaissances, d'agissements possibles des citoyens est désormais démultiplié par le réseau mondial, l'appétence pour une participation plus active aux prises de décisions, à l'engagement concret dans la production, sont réelles. Les mouvements des indignés le démontrent d'un point de vue de la manifestation, comme de nombreux groupe "d'agissants" : filières alimentaires directes, associations de récupération, structures de réinsertions, coopératives de travailleurs, villages autonomes, la liste est longue mais prouve que la population n'est pas aussi passive qu'on veut bien le dire.

Ce qu'il manque n'est donc qu'une seule chose : que le système politique (et économique), soit un tant soit peu rendu aux citoyens. Parce que pour l'heure, le capitalisme, son économie, son fonctionnement institutionnel, ont été capturés par une bande de malfrats en costard cravate et tailleur de luxe. Si demain les kidnappeurs sont mis à la porte, et que l'on demande au peuple les règles et le fonctionnement qu'il désire instituer, il est probable que ce soient de très bonnes solutions, justes et équilibrées, qui soient retenues. Une refondation du capitalisme par la volonté des peuples est-elle possible ?

Certainement, mais si on n'essaye pas, rien ne sert d'attendre quoi que ce soit : Marx avait raison sur un point précis : la lutte des classes est au cœur du problème capitaliste, à nous, au XXIème siècle, d'en sortir. Et par le haut. Peut-être grâce à l'écroulement en cours du système néo-libéral en Europe ?

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