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par Jet Lambda

David Cameron part en guerre contre le gang des Blackberry

Les gesticulations politiques de David Cameron sont pathétiques. Le Prime Minister de Sa Majesté trouve donc que les soulèvements qui éclatent dans les principales villes britanniques depuis quelques jours, suite à la mort d'un jeune londonien sous les balles de la police, ont quelque chose à voir avec les réseaux sociaux et les textos échangés par Blackberry.

Les gesticulations politiques de David Cameron sont pathétiques. Le Prime Minister de Sa Majesté trouve donc que les soulèvements qui éclatent dans les principales villes britanniques depuis quelques jours, suite à la mort d'un jeune londonien sous les balles de la police, ont quelque chose à voir avec les réseaux sociaux et les textos échangés par Blackberry. Cette stupide déclaration de Cameron, la voici:

Nous travaillons avec la police, les services de renseignements (sic) et les industriels, à chercher s'il serait envisageable d'empêcher les gens de communiquer avec ces sites web (resic) et ces services lorsque nous savons qu'ils préparent des actes de violence, du désordre et du crime.

Stupide, car elle reprend quasiment les mêmes termes employés il y a tout juste un an, en aout 2010, par le très démocratique gouvernement de Sa Majesté... saoudienne.

La dictature pétrolière, tout comme celle des Émirats Arabes Unis, venait de verrouiller ce type de communication pour ne pas trop donner envie à ses sujets de se rebeller. On l'a vu par la suite, tout va encore pour le mieux dans le royaume de Riyad, c'est plus à l'ouest que les médias sociaux ont fait trembler les dictatures.

Le discours résolument thatchérien de Cameron ne peut pas non plus surprendre. C'est le chef du Parti Conservateur, élu en mai 2010 grâce à un "ticket" avec les Libéraux démocrates, et comme son alter ego français, il sait que lors de violences urbaines il vaut toujours mieux jouer au roquet sécuritaire qu'au libéral éclairé.

Il est d'autant plus délicieux de rappeler aussi que lors de leur prise de pouvoir il y a plus d'un an, Cameron et son vice-PM Nick Clegg, s'étaient évertués à apparaître, après les ravages sécuritaires de Tony Blair et consorts, comme de valeureux chevaliers prêts à terrasser l'horrible "société de surveillance" britannique, l'une des plus structurées au monde.

C'était d'ailleurs Clegg, chef du LibDem, qui s'était collé à ce discours d'anthologie que l'on peut encore retrouver ici. Promis-juré-craché, reprenant les valeurs des défenseurs des libertés civiles, Clegg disait notamment:

Il est outrageant que des gens honnêtes soient traité régulièrement comme s'ils avaient quelque chose à cacher. Cela doit s'arrêter. [It has to stop].

Et de réciter qu'il n'y aurait pas de projet de carte d'identité nationale, pas de seconde génération de passeports biométriques — alors que sur ce point comme tant d'autres, le gouvernement britannique ne peut pas passer outre les engagements pris devant l'OACI, l'organisation de l'aviation civile internationale, qui a imposé les passeports biométriques un peu partout dans le monde, — qu'il n'y aurait plus de rétention préventive du trafic Internet et téléphonique — faux, la directive européenne s'applique toujours au Royaume-Uni, — que la vidéosurveillance serait "proprement régulée" — alors que les soi-disantes "émeutes" du moment seront sans nul doute un argument de plus pour la renforcer —, et enfin que la base de données ADN serait revue pour ne cibler "aucune personne innocente".

Ironie du sort, sur ce dernier point aussi, Nick Clegg a tout faux. Car si le fichage génétique à la sauce britannique s'était fait voler dans les plumes par la Cour européenne des droits de l'Homme en décembre 2008, la très droitière Chambre des Lords vient tout récemment de le contredire, comme l'ont rapporté fin juillet mes alter ego de Privacy International.

Clegg s'engageait aussi à supprimer une énorme base de données, ContactPoint, destinée à prévenir la violence et la maltraitance des enfants. Manque de bol, quelques semaines plus tard cette belle promesse cachait d'autres plans pas vraiment conformes à la nouvelle ligne...

Bref, la posture d'Homme de Fer de David Cameron ne changera rien au problème. Si les messages instantanés échangés par Blackberry sont chiffrés, comme cela devrait l'être par défaut dans tout réseau similaire — cherchez l'erreur... —, rendant soi-disant difficile pour Scotland Yard de les intercepter, cela fait longtemps que les clés de déchiffrage sont entre les mains du gouvernement. Le Premier Ministre le sait cruellement — lui qui sort justement d'un scandale lié aux écoutes clandestines des fouilles-merdes des journaux de Rupert Murdock —, les lois locales sur les écoutes téléphoniques (le Rip Act de 2000 notamment, renforcé après les attentats de 2001 et de ceux de Londres et Madrid en 2004), imposent à tout opérateur de faciliter les écoutes a priori. C'est donc le cas de RIM, le fabricant canadien du Blackberry et exploitant du réseau de communication ad hoc visé ces derniers jours.

D'ailleurs, tout est prêt pour que cette loi soit renforcée, comme l'a écrit, de manière quelque peu prémonitoire, Simon Davies, le fondateur de Privacy International, dès le mardi 9 août, soit bien avant que Cameron ne fasse sa sortie guerrière devant le Parlement:

La technologie comme les médias sociaux et les réseaux mobiles vont être condamnés pour avoir facilité le chaos. Et il faut s'attendre à de nouvelles tentatives d'imposer des mesures de surveillance et de répression.(...) Par exemple, le Programme de modernisation des interceptions du ministère de l'Intérieur [Home Office's Interception Modernisation Programme - rebaptisé "Communications Capabilities Development Programme”], sera sans doute présenté comme un outil crucial pour la prévention des crimes. Ce projet a pour but d'infiltrer les réseaux sociaux à une large échelle, mais jusqu'à présent, il a été abandonné à la lueur des engagements de la coalition au pouvoir quant à limiter la société de surveillance. Le Home Office va sans aucun doute argumenter que ce programme doit être appliqué et étendu.

 

Toute cette triste affaire — sans parler de la couverture médiatique exécrable, qui évoque les "émeutes" sans jamais parler de "violences policières", cf le billet de Kitetoa de cette semaine — me fait penser aux... Tractions avant.

Ces belles bagnoles de Citroën, construites à partir de 1934, étaient les plus rapides et les plus maniables du marché. Elles devinrent célèbres car les malfrats en étaient friands, au point qu'un "Gang des tractions avant" vit le jour, utilisant surtout les modèles quinze chevaux 15-Six-D. Ce qui ne manqua pas de déclencher dans la maréchaussée des appels démagos à interdire ou à brider ces berlines qui semaient celles de la police. Avant que celle-ci puisse en acquérir, bien évidemment.

D'après ce site de collectionneurs, un savoureux slogan apparut à l'époque : "Traction avant, police derrière"...


Image de Une : reproduction Norev (source).

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