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par drapher

Au Portugal, on sort de la crise par le mieux-disant social

En octobre, l'auteur de ces lignes vous envoie des nouvelles fraîches depuis Lisbonne. Vérifier si les cocktails sont bons du haut d'un toit de terrasse portugais… En l'espace de 2 ans, le nouveau gouvernement socialiste soutenu par les communistes, des radicaux de gauche et des écologistes, a retourné toutes les tendances économiques et sociales du Portugal.

En octobre, l'auteur de ces lignes vous envoie des nouvelles fraîches depuis Lisbonne. Vérifier si les cocktails sont bons du haut d'un toit de terrasse portugais…

En l'espace de 2 ans, le nouveau gouvernement socialiste soutenu par les communistes, des radicaux de gauche et des écologistes, a retourné toutes les tendances économiques et sociales du Portugal. La Commission européenne, très fâchée par ces politiques — parfaitement antinomiques avec celles qu'elle-même préconise — est malgré tout obligée de reconnaître aujourd'hui les résultats du pays sur le front du déficit, de la croissance et du chômage.

L'anti-macronisme : ça marche très bien

Qu'ont donc fait les socialistes portugais que n'auraient pas fait les Espagnols, les Italiens ou les Français ? Ont-ils réformé le marché du travail en abaissant les droits des salariés ? Ont-ils abaissé les prestations sociales, donné les coudées franches aux entreprises, demandé des sacrifices à leur population ? Non. Exactement le contraire.

Le parti socialiste portugais ne pouvait pas gagner les élections sans passer des accords avec des partis bien plus à gauche que lui. Ce qu'il a fait en publiant un programme anti-austérité qui a convaincu les électeurs. Ce programme n'était pas une simple feuille de chou que le PS a déchiré dès son arrivée au pouvoir — comme en France avec Hollande — mais au contraire, a été une feuille de route mise en application. Le SMIC portugais a été augmenté en 2016, puis en 2017, en échange de très petites baisses sur les cotisations sociales (1% sur 2 ans). Les allocations familiales, les pensions de retraite ont été elles aussi augmentées. Le droit salarial a été renforcé, des projets de privatisation de certains secteurs publics ont été stoppés (particulièrement dans les transports). Les salaires des fonctionnaires ne sont plus gelés, le retour aux 35 heures de travail hebdomadaire pour les agents du service public est en cours.

N'importe quel responsable politique ou cadre administratif européen, à la vue de telles politiques, hurle au scandale. Ce que n'a pas manqué de faire la Commission, estimant dès le printemps 2016 que ces réformes à rebours de celles qu'elle préconise allaient être un désastre. Pas de chance, c'est l'inverse exacte qui s'est passé.

Le chômage à 12,2% fin 2015 au moment de l'alternance politique est passé 11,1% en 2016, et a atteint le record de 8,8% au premier trimestre, 2017 avec une projection à 9,4% en fin d'année, peut-être moins. Et le déficit budgétaire me direz-vous, ce sacro-saint déficit ? Il baisse. Mais pas qu'un peu, puisqu'il est largement en dessous des 3% requis par Bruxelles : 2,1% de déficit en 2016 et 1,5% prévu en 2017 au Portugal. Dans le pays voisin, l'Espagne, qui a appliqué des réformes du travail à la Hollande-Macron depuis 2013 et qui suit avec une rigueur toute bruxelloise l'austérité européenne, le déficit est toujours à 4,5%. La France compte sur 3,3% : elle ne sera pas dans les clous, encore une fois, pas de chance.

Mais, mais, mais, c'est pas normal !

Bruxelles est verte de rage. Moscovici s'est pointé cet été au Portugal et a été forcé de reconnaître que les chiffres de croissance et de déficit étaient bien ceux renvoyés par le gouvernement, mais n'a pas pu se retenir de faire la leçon en indiquant, en gros, qu'il fallait quand même consolider le bazar, et qu'il fallait mieux intégrer les chômeurs de longue durée.

"La réduction du déficit au Portugal est durable, la croissance sera probablement supérieure à 2,5% en 2017. sur le plan du marché du travail, il faudra veiller à mieux intégrer les chômeurs de longue durée." (Pierre Moscovici, juillet 2017)

Oui, Mosco, mais en France, en Italie, en Espagne, ce serait bien d'aller leur dire aussi, parce que chez eux, le chômage est plus élevé qu'au Portugal. Avec des politiques opposées∞

Donc, cette histoire du redressement économique et social portugais n'est pas normale pour les chantres de l'Europe libérale et austéritaire. Une politique de gauche qui augmente les prestations sociales au lieu de les baisser, augmente le SMIC et les pensions, au lieu de les geler, accroît les droits des salariés au lieu de les amoindrir, ça devrait créer de la dépense publique, faire fuir les entreprises, augmenter le chômage écrouler la croissance, que diable ! Mais ça fait l'inverse. La croissance est l'une des plus hautes de la zone euro, prévue à plus de 2,5%, peut-être 2,9% en 2017. Les investisseurs affluent, des usines ouvrent, les Portugais dépensent dans l'économie du pays. C'est dingue, on dirait une relance par la demande. Un truc à éviter à tout prix si vous êtes un libéral, et qui ne doit surtout pas être tenté sous peine de démasquer l'échec total des politiques inverses, celles de l'offre (qui avantagent les entreprises et sont en cours depuis 20 ans).

Et tout ne vient pas du tourisme, comme aimeraient le faire croire certains, même si c'est une ressource importante. Les analyses macro économiques du petit pays spécialiste de la chaussure, des textiles, de la construction automobile et de la morue ne fait pas que recevoir des européens en bermudas pour rentrer du cash. Le gouvernement portugais a déclaré qu'ils voulaient désormais faire dans la "qualité", et c'est ainsi que quantité de firmes installées dans les pays de l'est s'implantent au Portugal. Des chantiers sont lancées avec comme slogan : le haut de gamme.

Résultat : les gens sont mieux, mais on s'en fout ailleurs

Pour résumer la situation : la population portugaise se porte de mieux en mieux, retrouve le sourire, les toits des immeubles à Lisbonne renaissent en installant des terrasses de café, en organisant des projections de cinéma. Les gens commencent à sortir la tête de l'eau au niveau économique, retrouvent du boulot, et les plus fragiles s'en sortent mieux. Et pendant ce temps là, tout autour, dans les pays voisins, personne ne veut en parler. Non, autour du Portugal, on explique que la précarité avec un salaire de 400€ en Allemagne c'est quand même mieux qu'être au chômage et qu'il s'agit du modèle à imiter : appliquer du moins-disant social. Essorer les salariés, ne plus distribuer d'aides ou les diminuer drastiquement, donner le maximum d'avantages aux entreprises aux détriments de leurs employés. Baisser drastiquement les dépenses publiques, tout privatiser. Mais à part l'Allemagne — qui exporte comme une malade en demandant à sa population de la fermer et écrase tous les autres en Europe — qui s'en sort bien ? L'Italie ? Non, le chômage est encore à plus de 11%, malgré des réformes identiques à celles d'El Khomri et des ordonnances de Macron. L'Espagne ? Non plus : 18,7% de chômage en 2017. La Grèce ? La France ? Non plus, puisque si ça allait bien, Macron ne ferait pas autant de moulinets pour casser le droit du travail sous prétexte de relancer l'économie et de faire baisser le chômage.

Non, en réalité, il y a le Portugal, mais son exemple démontre quelque chose de très dérangeant, opposé aux idéologues de la droite libérale qui persistent à vouloir imposer le démantèlement de l'Etat providence sans succès : une politique sociale, de relance, basée sur la demande, fonctionne très bien. Le mieux-disant social permet même, au contraire, une sortie de crise économique et sociale. Si les gens sont mieux portants, ont plus d'aides, sont moins fragilisés, les entreprises sont attirées, les caisses de l'Etat se remplissent plus, l'ensemble du système fonctionne mieux.

Le pire étant que ce petit pays n'est pas franchement aidé pour emprunter et réduire sa dette, même si depuis que le pays se redresse, ça s'améliore :

"Depuis quelques semaines, la dette publique portugaise est, en effet, prisée des investisseurs. Résultat : les taux d’emprunt baissent (plus la demande pour un titre est forte, plus les taux diminuent). Lundi 5 juin, les obligations à dix ans du pays s’échangeaient à un taux de 3,03 % sur le marché secondaire, où circulent les dettes déjà émises. En février, lorsque les marchés redoutaient qu’une victoire du Front national en France mette à mal l’intégration de la zone euro, ces taux avaient grimpé jusqu’à 4,24 %. En 2012, au plus fort de la crise des dettes souveraines, ils culminaient à plus de 15 %…"

La France, elle, emprunte à moins de 1%, à 0,66% (!) par exemple fin 2016, pour des obligations à 10 ans. Au point que le magazine Capital s'inquiète d'une "flambée" à 1,11% en ce début année. Quand on compare avec le Portugal, il y a comme une anomalie…

Il faudrait dans tous les cas que quelqu'un aille parler de la réussite du Portugal à Macron. Ce serait amusant de savoir ce qu'il en pense… Ah, mais non, on me dit dans l'oreillette que le modèle de Macron c'est la Suède et sa flexsécurité. C'est ballot ça. Surtout qu'en Suède, 80% des salariés sont syndiqués et que le pays n'est pas intégré à la zone euro. Bon, et bien, on aura juste le flexi alors. Et le mieux-disant social portugais avec une relance par la demande ? Non. Il paraît que c'est "mal" et qu'en plus c'est incompatible avec la santé mentale de Gattaz.

Ok.

Mais il va falloir suivre quand même ce qu'il se passe au Portugal. Au passage, Reflets vous en parle dans un mois puisque l'auteur de ces lignes y sera en octobre… au Portugal.

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