Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par KheOps

Au fait... On se bat pour quoi ?

En Europe, des manifestations éclatent pour protester contre ACTA. Plusieurs milliers de personnes ont défilé en Pologne et plusieurs villes de France ont vu chacune quelques centaines de personnes défiler. Aux États-Unis, des manifestants ont également foulé le bitume pour protester contre SOPA et ACTA plus récemment.

En Europe, des manifestations éclatent pour protester contre ACTA. Plusieurs milliers de personnes ont défilé en Pologne et plusieurs villes de France ont vu chacune quelques centaines de personnes défiler. Aux États-Unis, des manifestants ont également foulé le bitume pour protester contre SOPA et ACTA plus récemment. Guy Fawkes a fait son apparition au Parlement polonais, signe que ceux qu'on cherche parfois à faire passer pour de dangereux individus sous prétexte qu'ils portent ce masque ne sont finalement que des acteurs de la société cherchant à faire évoluer celle-ci, chacun à son niveau : dans les institutions en place, dans la rue, ou sur Internet. Signe aussi que de plus en plus de gens semblent capables de s'approprier Anonymous et de s'y reconnaître en y associant leur sensibilité propre.

C'est très enthousiasmant : des milliers de personnes se mobilisent contre un texte conçu dans le secret par les représentants de grands pôles de pouvoirs politique et économique. Ils le font sans répondre à l'appel d'un parti politique en particulier, c'est-à-dire d'un autre pôle de pouvoir en place. Étant présent sur certains canaux IRC (Anonops, un truc de terroriste, pour ceux qui connaissent) où s'organisent partiellement ces manifestations, ma perception est que l'organisation vient bien « d'en bas » et que ce sont juste de « bêtes » individus qui ont juste envie de faire « quelque chose ». Tout juste comme moi, d'ailleurs.

C'est entendu, nous nous battons contre ACTA, SOPA, PIPA, la Hadopi, la LOPPSI et plus généralement toute tentative de bloquer les flux de données sur Internet à quelque endroit du globe que ce soit. Telecomix creuse des tunnels pour la Syrie et essaie d'aider à la démocratisation de l'accès à Internet à Cuba. Partout, on se bat contre les blocages, froidement justifiés par des lois locales protégeant soit-disant la société des propos subversifs, du terrorisme ou de la violation de copyright. Nous nous battons contre les censeurs. Contre, contre, toujours contre.

Vu comme ça, nous sommes juste une force de résistance. Jusqu'ici, nous avions un Internet (plutôt) libre, et nous ne voulons pas que cela change. C'est tout ? Nous sommes Anonymous, nous disons « non », et voilà ? Et à part garder quelque chose qu'on avait à peu près déjà, nous ne nous battons pour rien du tout, nous n'avons aucune direction ? Et dans les prochaines manifestations, les badauds qui n'ont jamais entendu parler d'ACTA et d'Anonymous ne devraient donc pas se sentir concernés ? Et les Indignés, à part râler contre la domination de ces fameux 1%, ils veulent quoi ?

On voit bien qu'il manque une brique dans tous ces combats : on sait ce dont on ne veut pas... Mais après, on va où ?

Je pense que beaucoup de lecteurs ont au fond d'eux au moins une réponse partielle à ces questions. Benjamin Bayart l'a dit plusieurs fois : « une société, c'est la somme des interactions entre les individus qui la composent ». Internet révolutionne les interactions entre les individus. La société vit donc également une révolution, où les pôles de pouvoir en place sont remis en question par ces changements d'interaction. Et même Madame Michu, qui n'est pas connectée à Internet, vit au milieu de tout ça et est donc également touchée par cette révolution. Je crois qu'il faudrait ne pas oublier ça, lors des prochaines manifestations en faveur d'un Internet libre. On s'en fout de « Anonymous », ce qu'on défend, c'est un Internet libre et une vision implicite de la société qui y est associé. C'est aussi Madame Michu et le révolutionnaire syrien, qui n'ont pas Internet chez eux mais qui sont concernés et acteurs de la nouvelle tournure que les choses prennent. On peut descendre dans la rue en tant qu'Anonymous, agent Telecomix, drogué à Twitter, blogueur ou Internaute lambda, mais aucune de ces communautés n'a la primauté sur les autres. Cela me semblerait dommage de trop se perdre dans les noms et les logos cryptiques que le tout-venant serait incapable de déchiffrer. Un peu, oui - puis il faut du lulz - mais il faut aussi se concentrer sur les notions de « censure » et de « liberté » qui parlent à tout le monde... Et ce monde va dans une direction et aspire à des choses communes.

Soit dit en passant, je pense que le Printemps arabe, les Indignés et Anonymous ne sont tous que des symptômes de cette évolution globale. Peu importe leur nom, ils me paraissent avoir en commun la lutte contre des formes différentes de soumission économique et politique.

ACTA et compagnie ne sont que des obstacles à cette évolution liée à Internet. Des obstacles conçus par ceux qui n'ont pas compris ou ne veulent pas comprendre ce vers quoi nous nous dirigeons. Tout comme l'apparition de l'écriture, puis de l'imprimerie, ont accompagné des révolutions dont la société avait besoin, Internet a été inventé puis utilisé massivement car la société en a besoin pour évoluer.

Tourner les pages d'un livre n'a aujourd'hui plus rien de compliqué pour personne. Partiticiper  à Internet et échanger tout type de contenu et connaissance sera bientôt tout aussi naturel pour tout le monde. Question de temps. Les dinosaures tenant de la vieille logique s'y accomoderont ou mourront. La notion de propriété intellectuelle va continuer à perdre de son sens avec le temps et les majors continueront de se plaindre pendant des années du « piratage » pour justifier la baisse des ventes de disques, sans vouloir voir les choses en face.

Je suis mal renseigné sur les efforts potentiels de formalisation du nouveau modèle de société qui se construit, mais je suis persuadé qu'il en existe ici et là. J'ai par exemple entendu parler de « démocratie liquide » récemment, mais ce n'est sans doute qu'un concept parmi d'autres. Je conseille aussi vivement la lecture de deux livres récents de Daniel Suarez, « Daemon » et « Freedom(tm) ».

Merci à Benjamin Bayart de m'avoir (inconsciemment) fourni quelques éléments de formalisation, et au Chat noir pour le vin chaud et le chocolat. Le dimanche, c'est un bon jour pour imaginer n'importe quoi !

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