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par drapher

Attention : manager un pays comme une entreprise peut nuire

Cela fait moins d'un mois que le plus jeune président français de tous les temps a été élu. Une fois passé l'instant clip-promotionnel de la pyramide du Louvre — basé sur une longue procession pédestre d'un dirigeant politique déguisé en James Bond républicain s'avançant face-caméra, l'air grave et empreint d'une morgue toute présidentielle — la population-téléspectatrice française se retrouve un peu désœuvrée.

Cela fait moins d'un mois que le plus jeune président français de tous les temps a été élu. Une fois passé l'instant clip-promotionnel de la pyramide du Louvre — basé sur une longue procession pédestre d'un dirigeant politique déguisé en James Bond républicain s'avançant face-caméra, l'air grave et empreint d'une morgue toute présidentielle — la population-téléspectatrice française se retrouve un peu désœuvrée. La télé-réalité politique a les défauts de ses qualités : il lui faut des nouveaux rebondissements sans quoi, elle devient fade et un peu ennuyeuse. Avec des conséquences diverses, dont l'une peut être une forme d'addiction au vide. Le vide du loft qui filme des gens en train de dormir ou de se passer le sel. Mais dans le même temps, il y a cet apaisement que procure un programme creux, sans beaucoup de saveur, qui sait bercer le téléspectateur tout en stimulant suffisamment son attention pour qu'il tienne bon jusqu'à la prochaine tranche de pub. Les contours du règne [télévisuel] de Macron 1er commencent donc à se dessiner, et il semble que ce règne sera managérial. Une méthode qui pourrait déstabiliser ses opposants politiques, anesthésier les "forces sociales", et peut-être bien créer un nouveau rapport entre les électeurs et leur dirigeant ?

Le rôle d'Emmanuel

Emmanuel Macron et ses équipes de communicants ont particulièrement travaillé une part non négligeable de l'exercice du pouvoir de leur champion, celle de l'apparence et surtout, de la création d'un personnage. Le rôle : celui d'Emmanuel. Il est beau (pour un politique, entendons-nous bien), il est jeune, il a le teint frais, le cheveu brillant, la peau lisse, il est svelte, ses yeux pétillent presque de malice, reflètent une intelligence supérieure, une culture hors-pair, ses mains sont fines et il porte des costumes que Sean Connery en son temps n'auraient pas reniés.

Une fois passé le saisissement — bien naturel — face à cette créature d'un genre nouveau — totalement antinomique avec les anciennes bestioles politiques, le plus souvent grasses et molles, archaïques ou vulgaires, agitées ou rances, vieille France et évanescentes — chacun peut alors se demander : "Mais que veut-il, que fait-il, qui est-il vraiment, comment fait-il pour être toujours aussi frais, égal à lui-même, aussi absent tout en étant autant présent ?"

Car c'est là que se joue entièrement le règne de Macron 1er, puisque ses équipes ont tout misé sur quelques facteurs cruciaux pour lui assurer à la fois, de la durée de vie, une notoriété stable et une capacité à flinguer tout ce qui s'opposera à lui sans avoir besoin de bouger un petit doigt : l'apparence parfaitement étudiée, le rôle entièrement écrit et joué à la perfection. Tout ça avec une méthode de gestion politique bien rodée : celle qui s'applique dans l'entreprise, la grande entreprise.

Le patron, on ne le voit pas souvent…

Quand on touche 2 ou 3 millions d'euros de salaire fixe par an pour être à la tête d'une multinationale cotée en bourse, on ne s'amuse pas à faire des blagues dans les couloirs des locaux de la maison-mère ou des filiales avec les employés. On ne va pas déjeuner non plus avec les salariés de la cafétéria, et le plus souvent on est absent. Le chef d'entreprise française de grand groupe est donc un être absent, et personne ne sait ce qu'il fait de ses journées. Souvent en déplacements, il vit dans un bureau quasi mythique, toujours situé au dernier étage d'un building, laissant la pyramide de l'échelle sociale se créer en dessous de lui. Pyramide qui fait, que plus on monte dans les étages, plus on est payé et respecté.

C'est cette "capacité à la distance" du PDG français qui lui confère toute sa splendeur et sa durée de règne : moins on est là, plus on existe. Par l'absence. La rareté des apparitions confère alors du poids à la fonction, comme celle de la prise de parole, qui devient une forme de prêche messianique. Le patron trouve sa puissance dans une forme de règne monarchique, et le petit peuple de l'entreprise ne peut qu'y voir une forme de supériorité à la fois enviée et impressionnante.

Dans le même temps, l'idée centrale et suprême du management moderne est basée sur la déshumanisation. La prise de décision ne peut être que fonctionnelle, savamment calculée, orientée, pour le bien "de l'entreprise", jamais autre chose. L'entreprise est un mot clef de ce management désincarné qui n'a pour souci central qu'une seule chose : la performance. Et c'est précisément cette orientation managériale qu'Emmanuel Macron a choisie, pour gouverner la cinquième (ou sixième c'est selon) puissance mondiale.

Le management c'est maintenant !

Macron 1er a compris quelque chose qui a totalement échappé à François Hollande. Ce dernier pensait s'attirer les sympathies des foules en jouant au dirigeant "proche des gens", misant sur un effet de contraste avec son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, l'excité arrogant et mégalomane. Le président normal s'est — au final — délité au fur et à mesure qu'il cochait les cases des feuilles de route des lobbies technocratiques au service des firmes transnationales, venant raconter ses histoires sur la courbe du chômage en conférence de presse, avec l'air un peu contrit du mauvais élève de la classe. Hollande parlait trop, promettait trop, justifiait trop, et se reniait trop. Le faux-nez de la gauche socialiste pris en flagrant délit de démontage du modèle social prétendait faire l'inverse. Le mensonge et la mauvaise foi n'ont pas du tout plu aux électeurs. Ce qu'Emmanuel, bien au chaud dans son ministère a observé et parfaitement… assimilé.

Il est donc temps de "faire autrement" pour ce président d'une nouvelle trempe : monarchique dans la stature, hype dans le style, managérial dans la méthode et l'action. Il y a fort à parier que Macron 1er va continuer à se faire rare, n'intervenant que pour des déclarations de haute importance, requérant une hauteur que seul le monarque peut endosser. Ou le patron. Et c'est là que toute la mécanique communicationnelle macronienne prendra son essor et testera la capacité populaire à plébisciter ou non cette nouvelle formule républicaine. Car Macron 1er va manager la France, et comme tout bon manager moderne, son objectif va être d'optimiser l'entreprise hexagonale. En taillant dans les dépenses, en virant tout ce qui ne lui semble pas assez performatif, en "modernisant". Il y aura donc des réformes visant à améliorer l'entreprise, avec ses plans sociaux, ses mises en œuvre de démarche qualité, de management par les process, d'évaluations, et d'atteinte d'objectifs. Plein de réformes. Pour le bien de l'entreprise France.

Car, oui, Emmanuel a des objectifs a atteindre. Comme tout bon manager qui se respecte. Et dans 5 ans, il ira rendre compte à ses supérieurs de l'atteinte de ces objectifs. Entre temps, il y aura eu de la casse. Parce que manager un pays comme un entreprise peut nuire. A la santé de ses habitants… Mais ça, qui s'en soucie encore ?

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