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par Isabelle Souquet

Thierry Coste sans foi ni loi, et sans Hulot

Le lobbyiste des chasseurs aurait précipité le départ du ministre

Il est l’homme par qui le scandale serait arrivé. Thierry Coste, 62 ans, lobbyiste assumé. Sa présence à l’Elysée lors d’une réunion sur la chasse aurait précipité la décision de démission que Nicolas Hulot murissait depuis l’été. Portrait de l’homme qui l’aurait fait basculer...

Thierry Coste - Isabelle Souquet - © Reflets

Dans ce café très chic de l’Esplanade des Invalides – nappes blanches en terrasse, tentures de velours bleu canard, serveurs empressés - il est chez lui. Il appelle les serveurs par leur prénom, demande à ce qu’on lui réserve la petite salle pour l’interview, dès qu’elle sera libérée par la réunion d’une ambassade voisine. Ici, à deux pas de l’Assemblée et de son bureau de la rue de Varenne, il est chez lui, comme le sont beaucoup de députés, chefs d’entreprises et de « cabinets d’affaires publiques » - le nom pudique des lobbyistes - dont c’est un repaire habituel. On en croisera un certain nombre, d’ailleurs, le temps de l’interview. Qu’il ne manquera pas de saluer. C’est un des royaumes de l’entre soi.

Thierry Coste, 62 ans, grand sourire et yeux acier, a la poignée de main ferme et franche. Etre interviewé l’amuse visiblement beaucoup. L’homme ne craint ni la lumière, ni le micro, ni l’appareil photo. Le ton est vite donné, et il est cash. « Je suis un mercenaire et je l’assume. Je défends les intérêts de gens qui me payent pour ça ».

Sur ses méthodes aussi l’homme est assez disert, et tout aussi direct. « Mon métier c’est d’abord de faire beaucoup d’investigation, de renseignements et d’en chercher dans les groupes de pression opposés ». Et d’expliquer qu’une de ses spécialités c’est d’infiltrer les organismes qui peuvent « nuire » à ses clients : associations de consommateurs, O.N.G. environnementales, syndicats, en y faisant, si possible, embaucher undercover des gens à lui. L’habitude trotskiste, dit-il dans un rire, d’infiltrer l’ennemi pour mieux le combattre. Ensuite, à lui toute la palette de la communication, de la négociation, du juridique et il avoue ne pas renâcler devant une bonne polémique, si elle fait avancer « son » dossier dans le bon sens. De ce point de vue, il revendique aussi une culture anglo-saxonne, une culture du rapport de force.

L’homme a-t-il une limite…? Là encore, la réponse fuse : « Celle que m’impose la loi ! ». Et Thierry Coste parle très vite, sans rire, du « code d’honneur » qu’il s’applique - peut être, dit-il, parce qu’il est issu d’une famille de militaire où ce mot avait un sens : « Ne jamais pratiquer la corruption, ni les polémiques sur les affaires de sexe et d’argent ». Pour tout le reste « je suis sans foi ni loi. Seul le résultat compte pour moi. Je respecte la loi, mais mon métier n’est pas déontologique, alors je n’ai pas de déontologie. Et je n'ai aucun état d’âme. » Ce qui fait bondir les responsables d’associations professionnelles de lobbyistes (il en existe deux, une pour les cabinets indépendants et une pour les « chargés d’affaires publiques » des entreprises) qui se désolidarisent complètement de ses propos et dénoncent en chœur un atypique dangereux et marginal, qui fait beaucoup de tort à leur profession.

L’ancien agriculteur s’en moque. Depuis 25 ans, il fait de l’influence avec succès. Et sans s’en cacher : il a baptisé son cabinet « Lobbying et stratégie », tout un programme. Ses principaux clients, les plus médiatisés en tout cas, sont les chasseurs, il est « conseiller politique » de la FNC (Fédération Nationale des Chasseurs) ; il représente aussi les utilisateurs d’armes à feu, et surtout les « ruraux, ». C’est son grand dada, il se proclame chantre de la ruralité, grande oubliée selon lui des politiques et dans laquelle il a tissé un solide réseau.
Il est plus discret sur d’autres dossiers, concède s’occuper d’industriels de l’armement militaire, de fonds de pension, de gouvernements étrangers d’Afrique, d’Asie ou du Moyen Orient « qui ne sont pas toujours très réputés pour leur sensibilité aux droits de l’homme, mais ça aussi je l’assume ! ». On peut citer le Tchad où il a conseillé le président Idriss Déby, la Russie ou la Turquie. Lui préfère insister sur les PMI-PME dont il peut se permettre aujourd’hui de s’occuper – sous entendu pour un prix bien moindre qu’à son accoutumée – son « nouveau challenge, dans un pays où on ne sait pas les défendre ».

En France, il côtoie depuis longtemps les hommes politiques de tout bord et a ses entrées à l’Assemblée Nationale où il chasse en solitaire. On le trouve déjà conseiller « feux de forêt » auprès de Pierre Joxe à la fin des années 80.

Petit coup de froid en 2012, où il se fait mettre dehors de l’Assemblée par Bernard Accoyer, alors au perchoir, parce qu’il circule inlassablement dans les couloirs avec un badge de « collaborateur bénévole », un passe-droit fourni à l’époque par un député UMP – et chasseur – Jérôme Bignon, selon Les Jours. Mais il y a bien d’autres lieux ou son influence trouve à s’exercer.

Il s’est toujours placé auprès des candidats à la présidentielle, sans grand succès les premières fois (Jean Saint-Josse en 2002, Philippe de Villiers en 2007), avec davantage de bonheur ensuite puisqu’il conseillera Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy en 2012 … et Emmanuel Macron. Pendant la dernière campagne présidentielle, c’est François Patriat, ex PS, chef de file des sénateurs LREM – et grand chasseur lui même - qui le présente au futur président. Entre les deux hommes, le courant passe tout de suite. Il devient son conseiller officieux en matière de chasse. En mars 2017, alors que tous les candidats à la présidentielle défilent devant un parterre de chasseurs, les deux hommes se tutoient et se font la bise. A la sortie, on voit Emmanuel Macron, face caméra, dire de Thierry Coste que c’est « quelqu’un dont il écoute toujours le conseil ». Le lobbyiste, lui, dit qu’il « devait être macroniste avant l’heure car il adore la vision politique » du futur président « qui a compris l’âme française ». Il le dépeindra ensuite avec gourmandise comme un « rural » : originaire de la Somme, une grand mère des Hautes Pyrénées… bref, un homme qui sait donc parler aux ruraux, son fonds de commerce de prédilection.

Le président élu l’inclura dans un cercle encore un peu plus proche, celui des invités de son quarantième anniversaire, à Chambord, en décembre dernier. Et à la veille de la démission de Nicolas Hulot, il accompagnait à l’Elysée une délégation de chasseurs qui a remporté avec lui une nouvelle victoire : obtenir la diminution de moitié du prix du permis et l’autorisation de chasser six nouvelles espèces d’oiseaux.

Et l’homme qui n’a pas froid aux yeux – qu’il a très bleus – se paie enfin le luxe de dénoncer, sans les nommer, certains parlementaires organisateurs de colloques un peu trop orientés (surtout ceux qui vont contre l’intérêt de ses clients), et pêle-mêle, le manque de transparence des experts appointés par les commissions parlementaires, les associations de consommateurs ou les syndicats qui font du lobbying, ou encore les attachés parlementaires qui travaillent aussi dans des cabinets d’affaires publiques. Chacun son métier, quoi. C’est quelqu’un de bien placé pour en parler qui vous le dit. Un homme qui avoue aussi, toujours souriant, « aimer manipuler les journalistes ».

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