Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Réchauffement climatique : survivre d’amour et d’eau tiède.

Les réponses d’Arthus-Bertrand aux paradoxes environnementaux

Le plus médiatique des photo-écolo-graphes a filmé la terre à hauteur d’hélicoptère pendant des décennies. Décarbonation oblige, Yann Arthus-Bertrand affirme désormais que le seul carburant capable de sauver le monde, c’est l’amour ! Désespérance, grande sagesse ou pieuse abnégation ?

L’exposition -La Mer- au musée maritime de La Rochelle - Reflets

Home en 2009, Planète océan en 2012, Terra en 2015, Legacy en 2021, les documentaires réalisés par Arthur-Bertrand sont à considérer comme des repères patrimoniaux d’une dérive sociétale qui affecte ou affectera la planète de façon irréversible. Toutes ces images sont à la fois magnifiques et insoutenables, captivantes et désolantes. Désolantes, car film après film la société de consommation dont l’éclatante réussite s’avère contraire au bien être de l’humanité s’y retrouve invariablement placée au banc des accusés.

Et là réside sans doute le plus terrible paradoxe des hommes de n’être parvenus à satisfaire leurs besoins sans tenir compte des exigences écologiques planétaires. Arthus-Bertrand considère que cette croissance effrénée mène toujours le bal alors que « Tout le monde dit qu’il faut réduire les énergies fossiles de 5% par an ! Ce ne serait pas difficile d’en importer 5% de moins, mais qui aurait le courage de faire ça ? Qui aurait le courage de mettre son économie en danger pour faire ça ? En fin de compte c’est l’économie qu’on met en danger, ce sont les emplois, le pouvoir d’achat, c’est une civilisation qui s’écroule, il serait temps de s’y préparer, de toute façon la décroissance on va y aller forcément ».

Les paradoxes, Arthus-Bertrand en a lui-même créé quelques uns au fil de sa carrière. Pour mémoire et parmi les antagonismes les plus confondants, rappelons que sa fondation GoodPlanet, reconnue d’utilité publique et sise dans le magnifique domaine de Longchamps du bois de Boulogne Parisien, se voit financièrement épaulée par de très vertes entreprises: Antargaz, Bouygues, Coca-cola, EDF, Pernod-Ricard, Suez…

Activiste à temps plein, l’homme n’en demeure pas moins affairiste si le besoin s’en fait sentir: ainsi n’avait-il pas hésité à demander un petite rallonge à l’état Qatar pour financer son film Home, en échange d’une distribution gratuite dans tous les pays arabes. Une allégeance à dessein qu’il regrettera un peu tardivement, et non sans avoir accepté de soutenir la candidature du Quatar pour la coupe du monde de foot 2022: « C’est une connerie que j’ai faite et j’assume complètement. Je n’aurais pas du le faire surtout que le Qatar est le pays qui a la plus grosse empreinte écologique du monde ». Vu du ciel, le paradoxal est probablement plus difficile à appréhender qu’à ras de terre.

Arthus-Bertrand défend l’idée que les solutions d’avenir ne sont plus à rechercher du côté des politiques ou du gouvernement: « En 2050 la France devrait émettre deux tonnes de carbone, aujourd’hui nous en sommes à douze, exactement comme il y a dix ans. Nous sommes dans un déni, dans un mensonge perpétuel, et pourquoi ? Parce que les hommes politiques n’ont pas le mandat de leurs électeurs pour changer les choses, ils n’ont pas le mandat, l’homme politique est dirigé par ses électeurs, personne n’a envie de changer, donc ce que j’ai envie de vous dire ce soir, c’est quelle est votre mission ? Quel est votre devoir, quel sens voulez-vous donner à votre vie ?».

Photographe, évangéliste ou anarchiste…

YAB en mode Anar sous les regards de l’équipe municipale  - Reflets
YAB en mode Anar sous les regards de l’équipe municipale - Reflets

Ainsi il ne tiendrait qu’à la volonté du bon peuple de faire bouger les choses. Charge reviendrait aux citoyens de donner mandat aux décideurs afin de les obliger à s’occuper de l’avenir du monde. Les politiques, jusqu’à présent insuffisamment armés pour agir, attendraient donc des signes forts de l’homme de la rue qui, lui, profiterait sans l’avouer de la course aux profits et du productivisme mondial. Alors aux armes électeurs, choisissez les moyens, affirmez votre volonté, imposez vos idées, et vous, les jeunes, forcez le destin et faites la grève de l’école ! Fichtre, ôtez-moi d’un doute, notre leader du jour ne serait-il pas en train virer anar en pleine période de remaniement ministériel ?

Jamais durant son allocution inaugurale Arthus-Bertrand n’ordonnera de conseils formels et autoritaires à son auditoire. Prompt à élargir le débat et ouvert au dialogue, il renseigne sagement des pistes à suivre avec une implacable et désarmante simplicité: ne prenez plus l’avion pour partir en vacances, ne mangez plus de viande industrielle, devenez végétarien ou végan, et s’il le faut, roulez en voiture électrique. S’exprimant sur le sujet, et sous couvert de l’usage de sa troisième Renault Zoé, il se dit convaincu de l’avenir de l’automobile branchée. Mais pour autant, au cas vous posséderiez un bon vieux diesel, il préconise en sous-main de le conserver pour éviter les affres d’une inutile surconsommation. Sur ce point précis on peut remarquer que les politiques n’ont pas attendu l’avis des électeurs pour restreindre ou interdire la circulation de ce type de véhicules dans les centres urbains. Comme quoi la bagnole, la politique et les lobbies, ça va, ça vient. Mais selon lui le recyclage des millions de batteries hors d’usage serait même prétexte à offrir de bons et loyaux débouchés aux entreprises spécialisées dans l’économie bas-carbone. Attendons de voir cela avant de se prononcer, si le temps nous est bien sûr seulement donné pour réfléchir à la question.

Intrigué par cette curieuse affaire d’irresponsabilité politicienne nous reviendrons à la charge auprès de ce septuagénaire révolutionnaire. Le rôle et le pouvoir des élus seraient-ils à ce point nuls et désespérés: « je pense que les politiques n’ont pas le mandat des électeurs pour changer, j’en suis persuadé. Un bouquin vient de sortir, écrit par un conseiller au ministère de l’environnement sous Barbara Pompili et François de Rugy (Léo Cohen, 800 jours au ministère de l’impossible. L’écologie au service du pouvoir), et qui dit que même si on mettait Greta Thunberg à l’Élysée on ne pourrait rien changer. Nicolas Hulot disait avoir fait 2.000 réunions au ministère, à chaque réunion il y avait deux heures de discussions derrière, et donc de pressions, des syndicats, des élus, c’est très très difficile de prendre une décision, on le voit bien avec la taxe carbone, c’est très difficile de faire changer les choses. Je pense que les politiques ne savent pas vraiment ce qui est en train de se passer, mais même, je pense qu’ils sont dirigés par les électeurs et ils n’ont pas un grand rôle ».

Pas un grand rôle… On notera cependant que l’auteur du livre cité et sur lequel Arthus-Bertrand attire notre attention, modère parfois ses convictions. En effet, ce dernier à récemment déclaré à la presse : « La nomination d’Elisabeth Borne à Matignon est l’un des meilleurs scénarios possibles pour l’écologie. Elle a une sensibilité sur ce sujet, elle maîtrise ces dossiers et peut anticiper les blocages. Avec son nouveau poste, elle pourra faire des arbitrages en faveur de l’environnement. L’enjeu est d’arriver à faire ruisseler l’écologie sur toutes les politiques sectorielles ». Décidément le ruissellement…

Legacy : les belles images d’un sombre héritage - Reflets
Legacy : les belles images d’un sombre héritage - Reflets

Si Arthus-Bertrand porte un regard lucide et factuel sur les problèmes, son discours semble parfois affecté d’un angélisme contraint. Il se retranche alors derrière la bonté d’âme et prône l’amour de son prochain: « Aujourd’hui on peut se battre pour sauver la vie des gens qu’on aime. Vous savez j’ai passé toute ma vie à aller à la recherche de la beauté du monde, je suis allé voir les plus belles villes du monde, les plus beaux monuments du monde, les plus belles forêts du monde, ma vie a été guidée par ça, comment aller dans les plus beaux endroits du monde, voir les plus beaux animaux, les plus belles plages, les plus belles rivières, mais c’est quoi la beauté du monde enfin de compte, la beauté, c’est ce que l’on fait dans sa vie, c’est ce que vous allez faire dans votre vie, la beauté c’est les gens qui aiment, c’est les gens qui partagent, c’est les gens qui donnent, et cette beauté elle s’appelle comment ? Elle s’appelle l’Amour ! C’est pour cela que je vous dis avec tendresse que je vous aime, merci beaucoup».

Applaudissements.

Larme à l’œil compris, tout ceci est bien évidemment entendu mais ce retour aux sources et aux fondements d’une humanité joyeuse et fraternelle sera-t-il suffisant pour sauver la vraie Good-Planète ? Souhaitons que l’amour avec un grand A devienne avec un grand M le plus généreux Mécène du prochain millénaire.

L'un des voeux pieux  du film Legacy... - Reflets
L'un des voeux pieux du film Legacy... - Reflets

L’ expo –La Mer- s’est installée pour 6 mois au musée maritime de La Rochelle. On y rappelle que des milliards de personnes dépendent du poisson alors que la santé des océans est quotidiennement mise en péril. L’activité humaine y est dénoncée comme la principale source de pollution à grande échelle. L’occasion nous était donnée de rapprocher la photo du port de Shangai signée YAB, au cliché touristique du port de plaisance des Minimes griffé Reflets. Pas de chance, Arthus-Bertrand semble mieux connaître l’impact de l’activité portuaire en Chine que les soucis de pollution locale en Charente-Maritime. Une nouvelle preuve qu’en écologie aussi, nul n’est vraiment prophète en son pays.

L’interview -D’un port à l’autre- de Reflets

Yangshan VS Les Minimes: à qui le pavillon bleu... - Reflets
Yangshan VS Les Minimes: à qui le pavillon bleu... - Reflets

Reflets: Le port des Minimes de La Rochelle est le plus grand site de plaisance Européen: 15 km de pontons, une superficie de 100 hectares et plus de 5300 places. La moyenne horaire de sortie en mer par bateau s’établie à quelques heures par an : douce folie des hommes ou hérésie écologique ?

Yann Arthus-Bertrand: « _Attends, d’abord ce que j’en dis… Shanghai, c’est l’un des plus grands ports du monde. Pendant que je parle il y a 20 millions de conteneurs qui naviguent sur la mer, avec des énormes bateaux qui polluent, et 90% de notre consommation passe par ces conteneurs ; donc ça n’a rien à voir avec les voiliers, c’est une autre échelle. Alors il ne faut pas enlever le plaisir, certainement que cela n’est pas raisonnable d’avoir un voilier si l’on ne fait que 8 heures de navigation par an, ce n’est pas… mais pour moi le combat n’est pas là. Le combat, c’est dire… d’abord j’aime trop la voile, j’aime trop la navigation pour me permettre de la critiquer, ce n’est pas polluant la voile, donc c’est génial, maintenant c’est vrai que certainement ce port qui a été fait il y a quelques années, on ne pourrait plus le faire aujourd’hui, il y a la pression des écolos. Maintenant il est là, il existe. _»

Entre belles voiles et excès de voiliers n’y aurait-il pas un effet de surconsommation des plaisirs.

« Oui, mais tu sais, oui… mais je ne connais pas assez le sujet, moi j’ai une maison à Port-Cros, tu vois je fais les courses en bateau avec un Zodiac parce que je suis sur l’île, je dépense de l’énergie fossile ce n’est pas parfait, j’essaie de faire les courses une fois par semaine mais voilà, sur une île… Mais j’aime la mer, vraiment, donc je vais te dire quand tu habites Paris, que tu es sur le périphérique, c’est encombré, tu vois ces camions tous les jours… à coté tes voiliers, tes trucs, c’est de la rigolade. »

Le combat pour la planète doit-il être mondial ou faut-il agir localement ?

« Il n’y pas de réponse à cela en posant la question tu le sais bien, de toute façon aujourd’hui l’homme politique n’a pas le mandat de ses électeurs pour changer les choses, il n’a pas le mandat, tu sais je dis souvent, quand il y a la marche pour le climat on est 35.000 à Paris, quand il y a la marche contre le Pass sanitaire on est 200.000, à l’arrivée de la coupe du monde on est 2 millions dans la rue ! Quand on sera 2 millions à marcher dans la rue, pour la vie, en fin de compte pas pour le climat, pour la vie des gens qu’on aime, les choses changeront. »

N’est-ce pas un réflexe humain de se diriger vers le plaisir et la joie plutôt que de se retourner sur les problèmes et la douleur ?

« _On ne veut pas croire ce que l’on sait, on le sait mais on a pas envie d’y penser, c’est le monde dans lequel je vis, moi je ne refuse pas ce monde, j’essaie de le faire évoluer, sachant que moi aussi j’y participe à ces… moi j’ai tellement volé en avion, les mécènes de ma fondation vivent de la croissance, toi tu vis de la croissance, je ne sais pas quel est ton métier, on en fait tous de la croissance, alors comment arriver à cette révolution spirituelle tu vois, comment peut-elle arriver cette prise de conscience que –Moi-, moi aussi j’ai un rôle à jouer, moi aussi je peux faire quelque-chose, voilà moi je suis journaliste, toi tu es architecte, toi tu es chauffeur de taxi, toi aussi tu peux savoir ce que tu peux faire, mais je crois… Moi je suis assez angoissé par ce qui nous arrive, parce que je le sais, parce que j’ai confiance dans les scientifiques, et j’ai l’impression que nous ne sommes pas beaucoup à être angoissé par ça. Je parlais avec un vieux copain qui me disait : tu vois tout ce qu’on disait il y a trente ans et bien ça vient d’arriver ! _»

La date de la dernière urgence, c’est pour quand ?

« L’urgence est déjà plus que dépassée, on sait qu’on va vers un dérèglement climatique majeur et il faudra vivre avec ; mais je pense qu’aujourd’hui il faut peut être qu’on apprenne à aimer un peu plus la vie, à aimer un peu plus les jeunes, est-ce qu’on a pas la mission et le devoir, et moi à mon âge (76 ans), de protéger les gens qu’on aime, ses petits enfants, et tout, tout passe par cela ».

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