Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Jacques Duplessy, Antoine Champagne - kitetoa

Pas simple d’être solidaire des migrants en Italie

L'arrivée de l'extrême-droite n'est pas neutre

A Vintimille, de l'autre côté de la frontière les Italiens ne sont pas en reste pour venir en aide aux migrants. Mais les pressions d'un Etat passé aux mains de l'extrême-droite sont fortes.

Vintimille, Italie - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

Côté italien, à Vintimille, les associations continuent à se mobiliser, même si le flot des migrants s’est largement tari. Selon les estimations, il aurait baissé de 95% par rapport au pic de la crise migratoire en 2015. La situation politique italienne a profondément évolué. Le nouveau chef du gouvernement populiste et d’extrême droite, Giuseppe Conte, a verrouillé le pays. Les pays d'origine des migrants ont aussi récemment changé. Longtemps majoritairement en provenance d’Érythrée, du Soudan et du Nigéria, ils viennent désormais principalement d’Afghanistan et d’Irak. C'est dans cet environnement politique difficile et face à quelques centaines de migrants encore présents que les associations côté italien continuent, en coordination avec leurs homologues françaises, d'apporter un soutien matériel et psychologique aux migrants.

Caritas distribue des petits déjeuners et propose des consultations médicales.

La cuisine de l'association Caritas à Vintimille - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
La cuisine de l'association Caritas à Vintimille - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

"Nous avions 600 personnes qui bénéficiaient de notre aide il y a un an. Aujourd'hui, c'est une petite quarantaine", explique Manuela, bénévole de Caritas. L'arrivée de l'extrême droite au pouvoir s'est fait sentir dès la première semaine où les éloignements de migrants ont été multipliés par trois. Désormais, les rafles ont lieu le jeudi. Les migrants sont amenés en bus dans le sud de l'Italie. Ici aussi, les interpellations de bénévoles sont monnaie courante.

A l’écart de la ville, coincé entre les voies de chemin de fer et les autoroutes, un camp de la Croix-Rouge abrite 250 migrants.

Camp de la Croix-Rouge à Vintimille - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
Camp de la Croix-Rouge à Vintimille - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

Pour entrer dans le camp, les réfugiés doivent donner leur empreinte digitale. Ce qui n'est pas évident, puisque c'est justement en donnant leurs empreintes que les réfugiés sont catégorisés dans un pays ou un autre de l'Union européenne. Cela influe sur leur possibilité de demander l'asile. L'empreinte demandée au camp de la Croix-Rouge n'est pas utilisée pour cela, mais cela peut en décourager certains. Le camp est à quelques kilomètres du centre-ville et ferme à horaire fixe.

La vie sous l'autoroute...

Notre visite n'est pas bienvenue et l'on nous demande d'obtenir une autorisation de la préfecture pour une visite du camp. Celle-ci nous propose évidemment le seul jour où nous ne pouvons être là. Les photos sont, elles, interdites...

Entrée du camp de la Croix Rouge - D.R. - D.R.
Entrée du camp de la Croix Rouge - D.R. - D.R.

Bien plus accueillante, l’association We World s’occupe particulièrement des mineurs non-accompagnés. L'association est spécialisée dans le soutien aux femmes victimes de violences et aux enfants qui quittent l'école trop tôt. Vintimille est leur seul lieu d'aide aux migrants, depuis l'été 2016. Dans ce cadre, au plus fort de la crise, We World avait même monté une radio. « En avril 2018, les autorités ont évacué le camp qui s'était formé sous le pont, en ville. Des rafles sont organisées par la police une à deux fois par semaine avec pour seul objectif de les transporter le plus au Sud du pays possible. Il s’agit juste de les embêter, dénonce Giacopo Colomba, un des responsables de We World. Ils mettent parfois trois semaines à revenir, car la plupart ne veulent pas rester en Italie. Certains sont mêmes raflés plusieurs fois. » We World distribue des kits aux femmes et aux enfants.

Giacopo Colomba, de l'organisation We World - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
Giacopo Colomba, de l'organisation We World - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

Pas facile d’être solidaire des migrants en Italie. L’association Info point qui propose un accès à internet, de recharger son téléphone et des vêtements usagés a vu son bail résilié par le propriétaire...

L'association Infopoint en Italie permet aux migrants de recharger leurs téléphones - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
L'association Infopoint en Italie permet aux migrants de recharger leurs téléphones - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

Mais c’est Delia, la propriétaire du bar le Hobbit, qui en a fait l’amère expérience. « En 2015, j’ai vu des femmes et des enfants errer dans les rues, près du bar. Je les ai fait rentrer, je leur ai donné des boissons chaudes, de la nourriture. Et puis j’ai décidé de leur offrir tous les matins un petit-déjeuner gratuit. »

Delia (à droite) dans son bar, le Hobbit - Jacques Duplessy - Reflets - Citation Reflets.info requise
Delia (à droite) dans son bar, le Hobbit - Jacques Duplessy - Reflets - Citation Reflets.info requise

Elle propose aussi une consommation pour un euro et de recharger son téléphone. Très vite, le bar devient un havre de paix pour ceux qui errent dans la rue. « Mais ma clientèle n’a pas apprécié, j’ai reçu des insultes, on m’a boycotté, raconte Delia. Aujourd’hui, il y a très peu d’étrangers, mais mon bar reste déserté. Je vais peut-être devoir mettre la clef sous la porte. »

Delia, derrière le comptoir du Hobbit - Jacques Duplessy - Reflets - Citation Reflets.info requise
Delia, derrière le comptoir du Hobbit - Jacques Duplessy - Reflets - Citation Reflets.info requise

Depuis le début de son engagement humanitaire, Delia a reçu la visite des douanes, de la police, des finances, du contrôle de l'hygière...

Dans les toilettes, de son bar, les femmes peuvent trouver des protections périodiques, une table à langer, des couches pour les enfants. Le boycott de la part de la population locale ? « Pour une bonne part, du racisme, de l'ignorance et surtout un manque d'humanité » concède Delia. « Si les aliens débarquaient sur terre, on serait prêts à les accueillir, mais l'humain que nous avons sous le nez... Il n't a pas de solidarité. »

Cette femme d'apparence fragile explique que si l'on en est là, c'est surtout parce que l'Etat n'a pas fait son boulot. Il n'a pas réagi efficacement à l'arrivée massive de migrants. Il n'y a pas de toilettes publiques. « À la gare, c'est même devenu payant précise-t-elle. Les migrants sont devenus les boucs émissaires en lieu et place de l'administration ». Le maire a interdit de nourrir les migrants et a même fait fermer les fontaines, s'étrangle Delia... Quand on lui demande comment elle voit son avenir, Delia répond dans souffle, avec un sourire triste : « Incertain ».

Une collecte lancée pour la soutenir a déjà permis de récolter 26.000 €. Cela suffira-t-il a éviter la fermeture du Bar ? « Incertain »...

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