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Dossier
par shaman

Migrants : réquisitions solidaires

Dans la lignée de notre reportage dans la vallée de la Roya, photo-reportage dans un lieu réquisitionné pour l’accueil des migrants.

Immigration illégale, coût de l’accueil des migrants ... ces mots sont aujourd'hui au cœur de l'agenda politique français. Cheval de bataille d'une droite extrême à la conquête du pouvoir, ces pauvres venus d'ailleurs seraient venus "voler l'argent destiné à nos enfants".

La première réquisition / squat de l'association "Solidarité partagée" : le château

Ces éléments de langage sont repris ostensiblement par la droite espérant ainsi siphonner un peu d’électorat à sa frontière droite avant l'extrême... Et ils transparaissent en filigrane des discours macroniens, car tout ce qui pourra renforcer l’extrême droite favorisera une réélection, la fameuse carte "barrage à l’extrême droite". Mais cette ultra présence du baratin médiatique occulte la réalité du terrain. Reflets était déjà allé à la rencontre des passeurs d'humanité de la vallée de la Roya pour vous montrer la réalité du contrôle aux frontières. Nous repartons aujourd'hui sur le terrain pour explorer un nouveau volet de la réalité vécue par les migrants : la problématique du logement. Cap sur Montpellier.

Il existe aujourd'hui plusieurs réquisitions à but social à Montpellier. Le plus ancien répond au nom du "Paquebot" ou "Utopia 003". Ce lieu a été ouvert à l'initiative du collectif Utopia qui n'en est pas à son coup d'essai. Dès 2014, le collectif réquisitionne un bâtiment appartenant à l'ordre des avocats pour organiser un lieu d’accueil inconditionnel des personnes à la rue. Utopia 001 va tenir cinq mois avant d'être expulsé par les forces de l'ordre. Un mois plus tard, le collectif remet le couvert et réquisitionne les locaux de l’ancienne direction départementale des affaires sanitaires et sociales : Utopia 002 est né. Cette fois-ci, le lieu tiendra onze mois. Il sera de nouveau expulsé. Mais le collectif n'a pas dit son dernier mot. Durant l'hiver 2016, un nouveau lieu d'hébergement est ouvert, cette fois dans les anciennes archives départementales. Ce lieu, bien qu'expulsable tient encore aujourd'hui et accueille approximativement 250 personnes. Plus récemment, trois autres lieux ont été réquisitionné par d'autres structures.

Aujourd'hui focus sur l'un d'entre eux, ouvert par l'association "Solidarité partagée". Laissons la parole à un de ses membre les plus actifs :

"J'ai eu envie de faire ce lieu alternatif avec les réfugiés à Montpellier. Ce que j'ai vu c'est qu'ils n'avaient rien, le contact avec les gens ne passe pas dans les squats, ils sont très peu accueillis. Personne n'agit sur le fait qu'ils aient envie de rester dans cette ville. Je ne sait pas si au début j'avais comme idée que finalement ça aboutisse au fait qu'il y ai plein de réfugiés qui aient envie de venir à Montpellier, mais maintenant c'est ça. En se préoccupant de leur condition dans cette ville, on va faire qu'ils s’arrêtent, qu'ils ne continuent pas leur route vers Paris ou une autre grande ville et qu'ils se retrouvent en galère dans ces grandes métropoles. L’état devrait les prendre en charge et ne le fait pas. Le minimum qu'on leur doit au moins, c'est ça. C'est de s'occuper d'eux et pas de les laisser dans la rue sans rien.".

La première réquisition est effectuée durant l'hiver 2017. Le lieu appartient à la SNCF et sera surnommé "Le château". Elle a précédé la création de l'association "Solidarité partagée", en août 2018.

"Le château était un endroit abandonné depuis 6 à 8 ans. Moi je recherchais un lieu depuis un mois et demi, j'avais trouvé deux autres endroits mais finalement c'étaient des mauvais plan. Celui-là je l'ai repéré et je me suis dit que c’était ça, en plein centre de Montpellier. Une fois que j'ai réussi à rentrer dedans ... il y avait tellement de choses à faire. Il y avait eu plusieurs squats avant où des personnes se droguaient. Il a jamais été nettoyé. Le proprio, c'est ce qu'ils ont fait en abandonnant ce lieu, en laissant des squats se faire pour que l'endroit se dégrade et un jour, ils peuvent le détruire, construire leur immeuble dessus et se faire plein de fric. Parce qu'il est classé. [...] _Tout ce qu'ils veulent c'est le détruire pour faire des trucs qui leur rapportent du fric. C’était ça le château. Apres j'ai travaillé pendant 2 mois caché dedans jusqu'au moment, à peu près vers Noël, où je lance le truc. Du coup je l'ouvre et j'attend l'huissier et le proprio qui savaient que j'était déjà là ... _"

La première réquisition de l'association "Solidarité partagée" : le château
La première réquisition de l'association "Solidarité partagée" : le château

"Tout le temps où on était au château on était dans des mauvaise conditions. Il y avait 100 personnes environ au château dans 500 m2. 5 m2 par personne.Il y avait des rats partout dans cet endroit là. On a vécu un an comme ça mais on a pu aider plein de personnes qui seraient restées à la rue à Paris ou à Marseille. Les Montpellierains n'auraient rien vu."
"Tout le temps où on était au château on était dans des mauvaise conditions. Il y avait 100 personnes environ au château dans 500 m2. 5 m2 par personne.Il y avait des rats partout dans cet endroit là. On a vécu un an comme ça mais on a pu aider plein de personnes qui seraient restées à la rue à Paris ou à Marseille. Les Montpellierains n'auraient rien vu."

"Au début on a ouvert les deux petites maisons, les dépendances jusqu'au moment où on a été prêts pour ouvrir la grande, quatre mois après. Ça a été le chantier pour retaper des pièces qui n'avaient jamais été faites depuis 15 ans. Même les squatteurs ne les habitaient pas. Il fallait qu'on retape chaque pièce les unes après les autres avec ceux qui voulaient participer. J'ai ramassé 650 litres de seringues dans cet endroit qu'ils ont re-barricadés comme ça dans l’état en faisant travailler les gens sur des sacs poubelle plein de seringues. On a fait un super jardin aussi. Mais la priorité c'était de faire les espaces. Après on s'est penché sur leurs démarches. Une fois qu'on a fini de s'occuper de leur condition de vie, on s'occupe de leurs papiers."

Cours de français au château - Solidarité Partagée
Cours de français au château - Solidarité Partagée

"On a demandé 6 mois avec mon avocat, en sachant qu'on allait obtenir la prochaine trêve hivernale. C'est ce qu'on a obtenu, puisqu'on a contré tous les arguments. Ils disaient des choses que je n'avais pas faite, j'ai pu prouver que c’était pas moi, j'avait tout prévu, j'avais pris des photos. Du coup, ça a pas marché leur délire, on a gagné 6 mois. Et on a tenu 1 an. Ils ont failli nous expulser en plein hiver car ils nous ont enlevé cette trêve hivernale qu'on pensait avoir dès le départ. Pour ça, ils disent que l'endroit est dangereux, sur une expertise de 2014. Il y a un an, on a fait les travaux à l’intérieur pour aménager l'endroit et consolider une charpente, refaire les murs et ils ont pas été pris en compte. On a pas payé des centaines d'euros et un expert pour qu'il vienne dire "oui votre truc est habitable" alors qu'on sait très bien que c'est habitable. Ya des charpentiers qui passaient, personne ne nous disait "allez vous-en !" "ca va tomber !". Pourtant la justice a dit que cet endroit était dangereux."

Un espace intérieur du château après l'expulsion
Un espace intérieur du château après l'expulsion

"A partir du moment où on a eu des menaces d'expulsion par un huissier, on s'est affolé. On ne savait pas comment s'y prendre. Avec la préfecture on a essayé plein de façons pour qu'ils fassent un geste et ils n'ont rien fait. On leur a proposé de nous trouver des locaux puisqu'ils veulent qu'on parte, ils disent qu'il n'y en a pas. On en trouve pour eux et ils ne nous laissent pas faire. On trouve des locaux qui appartiennent à une entreprise, un centre de vacances qu'ils voulaient nous prêter pendant tout l'hiver. La préfecture n'avait qu'à signer un papier et ils ne l'ont pas fait. Ils n'ont aucunement l'intention de les aider. Et ils avaient l'intention de nous expulser. Ils nous ont demandé de leur donner une liste de toutes les procédures en cours parce qu'ils savent qu'on s'occupe de tout le monde. On a donné cette liste, ils en ont pris en charge une trentaine. Mais pendant les trois mois qu'ils ont mis à prendre en charge les 30 personnes sur les 40 qu'on leur a donné, il y en a eu 30 autres qui sont arrivées et puis ça n'a rien changé. Il y avait toujours 100 personnes au château et si on se faisait expulser il fallait un autre endroit. Tous les arguments on les a sur papier, on leur a tout proposé."

Midi Libre du 26 novembre 2018
Midi Libre du 26 novembre 2018

Au pied du mur, l'association recherche un nouveau lieu pour poursuivre son action. Après quelques tentatives infructueuses, un nouveau lieu est réquisitionné le 18 février 2019. Il appartient à la fondation Buisson Bertrand et sera surnommé "L’hôpital éphémère". Reflets était sur place pour suivre l’événement.

"Et puis on trouve un lieu, celui-là il leur appartient pas directement. Il y a un truc assez spécial avec cet endroit à disposition de l'Etat qui l'a mis à disposition de la gendarmerie et des pompiers. Du coup ça leur appartient pas tout à fait mais ils auraient pu faire quelque chose à cet endroit, toutes ces années. Je ne sais pas depuis combien de temps ils ont cette convention. Quelqu'un me dit qu'ils viennent une fois par an. Mais tout ça on s'en fiche, la priorité pour l’état c'est pas de faire des entraînements pour les pompiers et les gendarmes. C'est de l'enfumage. La priorité c'est de loger les gens qui sont à la rue."

Ce nouveau squat sera nommé : "L’hôpital éphémère" - Solidarité Partagée
Ce nouveau squat sera nommé : "L’hôpital éphémère" - Solidarité Partagée

Debriefing avant d'ouvrir le nouveau squat. France 3 région est là pour filmer l’événement.
Debriefing avant d'ouvrir le nouveau squat. France 3 région est là pour filmer l’événement.

La nouvelle cible, un ancien centre de vaccination appartenant à une fondation, l'institut "Buisson Bertrand"
La nouvelle cible, un ancien centre de vaccination appartenant à une fondation, l'institut "Buisson Bertrand"

L'équipe, les soutiens et plusieurs migrants investissent les lieux
L'équipe, les soutiens et plusieurs migrants investissent les lieux

Le nouveau lieu d’accueil est investi par une fenêtre
Le nouveau lieu d’accueil est investi par une fenêtre

"Quand on a repéré cet endroit, il y avait des mauvaises herbes partout, des portes extérieures cassées avec juste des planches en bois. Ils disent qu'ils entretenaient le lieu mais ils ont déménagé tout ce qui leur appartenait. Finalement ce qu'on voit ici c'est qu'ils s'en fichent, ils ont laissé des machines qui valent beaucoup d'argent, ils les récupéreront pas. Tout ce qui compte, c'est qu'ils ont envie de détruire cet endroit. Détruire ? Pourquoi ? Alors qu'on pourrait tout faire à cet endroit. Ils veulent récupérer une surface au sol, on a un champ accolé à ce bâtiment, il y a une surface énorme et c'est ça qu'ils voient : le profit. Le champ, des étages, des milliers et des milliers de mètres carrés : tout est constructible. Ce bâtiment qui vaut des millions, ils s'en fichent royalement. C'est pas à eux de choisir les endroits où ils vont faire de la thune pendant que des gens crèvent dehors."

Une salle est transformée pour créer trois chambres
Une salle est transformée pour créer trois chambres

Le patio
Le patio

Les démarches à effectuer dont le fameux "de-dublinage" du nom des "accords de Dublin" ne laissant pas au migrants le choix de s'enregistrer en France s'ils ont enregistré leur entrée dans la zone euro dans un autre pays.
Les démarches à effectuer dont le fameux "de-dublinage" du nom des "accords de Dublin" ne laissant pas au migrants le choix de s'enregistrer en France s'ils ont enregistré leur entrée dans la zone euro dans un autre pays.

"C'est les réfugiés qui disent ça . Mais c'est pas un squats ici, c'est un hôtel. Parce que c'est tellement bien."
"C'est les réfugiés qui disent ça . Mais c'est pas un squats ici, c'est un hôtel. Parce que c'est tellement bien."

L'atelier
L'atelier

"En deux semaines, il y a des choses superbes, c'est génial ce qui est en train de se passer, on va casser cet  a-priori qu'ont les gens des squats. Qui disent que les squats c'est sale. Alors que là, on a des images qui prouvent exactement le contraire."
"En deux semaines, il y a des choses superbes, c'est génial ce qui est en train de se passer, on va casser cet a-priori qu'ont les gens des squats. Qui disent que les squats c'est sale. Alors que là, on a des images qui prouvent exactement le contraire."

Le champs accolé au bâtiment
Le champs accolé au bâtiment

"Le but c'est de créer une activité aux réfugiés pour permettre à certains d'entre eux qui sont laissés sans argent, d'avoir un petit quelque chose via une association qu'on a créée. On essaye d'agir à tous les niveaux. Pas simplement de leur trouver un hébergement, un lit et de les laisser galérer sans argent, alors que tout le monde en a besoin. Ça les pousse à faire des tas de choses pour 5 euros. En les laissant à la rue, ils les poussent à l'erreur au niveau de leur démarches. Du coup c'est ça un lieux alternatif, c'est créer un activité via une association. Et le délire ça serait de faire totalement gratuit, les mettre dans la position où c'est eux qui aident les gens. Et on aurait reçu des dons. L'activité, au château, la surface nous a pas permis de le faire. Ici on a toujours la même idée, on va pas en laisser certains sans argent, sans rien faire et on va essayer de créer une activité. Laquelle, on ne sait pas encore."

Pièces rassemblées par l'association en vue du procès de ce nouveau lieu qui s'est tenu le 20 février 2019.
Pièces rassemblées par l'association en vue du procès de ce nouveau lieu qui s'est tenu le 20 février 2019.

Le juge a rendu son verdict sur ce nouveau lieu le 27 février 2019 : Expulsion dans 6 mois et 600 euros mensuelles d'indemnité à payer. 
L'association compte faire appel.
Le juge a rendu son verdict sur ce nouveau lieu le 27 février 2019 : Expulsion dans 6 mois et 600 euros mensuelles d'indemnité à payer. L'association compte faire appel.

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