Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Le sort de Wikileaks et de Julian Assange est visiblement en train de se jouer

La presse en arbitre qui se cache

L'Equateur a retiré sa protection diplomatique à Julian Assange, réfugié dans son ambassade à Londres. Le shitstorm a commencé, information et désinformation vont se succéder à un rythme effréné favorisant une fois encore la polarisation quant la voie de la raison (du milieu) serait la bonne...

Julian Assange - David G Silvers - cc-by-sa-2.0

Les signes avant-coureurs étaient là depuis plusieurs mois - comme la coupure de l'accès à Internet de Julian Assange, l'Equateur a retiré sa protection diplomatique au fondateur de Wikileaks. En 2010, deux femmes accusent Julian Assange de viol, Interpol émet alors un mandat international. Alors au Royaume-Uni, il est arrêté puis libéré. Pendant environ deux ans, il se défend contre les autorités britanniques qui entendent l'extrader vers la Suède. L'activiste Australien finit par se réfugier dans l'ambassade de l'Équateur, la justice britannique émet quelques jours plus tard, en juin 2012, un mandat d'arrêt pour violation de liberté conditionnelle.

Le parquet suédois a fini par abandonner les poursuites mais, depuis six ans, Julian Assange vit en reclus dans une pièce exigüe de l'ambassade. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire conclura d'ailleurs que le fondateur de Wikileaks est effectivement victime de détention arbitraire. Trois policiers de Scotland Yard surveillent en permanence les accès à l'ambassade équatorienne.

Dans les semaines à venir il est fort probable que plusieurs choses se passent. Julian Assange sera remis aux autorités britanniques. Puis, se posera la question de l'extradition vers les Etats-Unis. Mais pas uniquement. Il est fort probable que le réseau de sources de Wikileaks soit déstabilisé, que des perquisitions interviennent un peu partout. Accompagnant ce shitstorm, viendront également des argumentations permettant de le légitimer, des éléments de langage qui atténueront le problème de fond. Celui de l'extradition de Julian Assange vers les Etats-Unis. En d'autres termes une attaque contre les lanceurs d'alerte. Plusieurs documents internes de Wikileaks ont commencé à fuiter, donnant l'impression d'une organisation peu recommandable. Juste après la diffusion d'informations du ministère de la Justice américaine démontrant une forme de "collusion" entre Wikileaks et Gucifer 2.0. Dans le jeu trouble qui se profile, informations et désinformation vont se succéder à un rythme effréné et bien malin celui qui pourra faire le tri efficacement. La tendance étant à la polarisation, au tout noir ou tout blanc, le sort de Julian Assange risque bien de dépendre du côté vers lequel la presse penchera.

Reviendra donc sans doute sur le devant de la scène, jusqu'à occulter tout le reste, la tendance récente de Wikileaks à rechercher tout ce qui peut nuire au camp démocrate aux Etats-Unis, faisant ainsi le jeu de Moscou.. Une organisation, quelle qu'elle soit, est la somme d'individus. Elle évolue au fil du temps. Peut-on délégitimer toutes ses actions sur la base de ses erreurs ? Peut-on raisonnablement attribuer tous les choix de Wikileaks au seul Julian Assange ?

Wikileaks reste une organisation qui a bouleversé le monde tel que nous le connaissons. Elle a porté à la connaissance du grand public les dessous de la politique internationale. Ce fut le cas lors de l'emblématique publication d'une vidéo montrant un hélicoptère américain faisant feu sur des journalistes en Irak. Ou lorsqu'elle a publié les War logs, ou les câbles diplomatiques américains. De même lorsque l'organisation publie les dossiers des détenus de Guantanamo ou les documents de travail de l'ACTA. Pour une raison indéterminée, elle a réussi à médiatiser son travail là où Cryptome avait échoué, cette dernière ne sortant guère de la sphère des hackers et des activistes.

Au delà du personnage -il a ses admirateurs et ses détracteurs, Julian Assange reste le fondateur de cette organisation. Sa figure est emblématique. Les autorités américaines ayant plusieurs fois exprimé que Wikileaks était un ennemi des Etats-Unis, il est fort probable que l'Oncle Sam lui réserve un traitement dont il a le secret, comme l'enfermement sans perspective de procès, à l'isolement le plus complet. Peut-on accepter ce type de traitement pour qui que ce soit ? Non. Peut-on accepter que des Etats poursuivent les sources d'une organisation comme Wikileaks qui n'est, après tout, qu'une plateforme de diffusion d'informations ? Non.

La presse dans tout ça...

Le rôle de la presse dans les semaines et les mois à venir sera déterminant. Elle est la caisse de résonance qui permettra ou non de médiatiser les actions menées contre Wikileaks, son réseau et contre Julian Assange. Elle a tout intérêt à le défendre, car c'est le droit à l'information du grand public qui est en jeu. Peut-on ou non diffuser des documents qu'un Etat ou une entreprise cherche à cacher au public ? La question sera à nouveau posée.

En outre, la presse a joué un rôle non négligeable dans la médiatisation de Wikileaks et de Juilian Assange. The Guardian, The New York Times et Der Spiegel, Le Monde, Al Jazeera, SVT, Channel 4, OWNI ont été étroitement associés à la diffusion des informations de Wikileaks. Ce qui paradoxalement, ne contribuait pas à une totale information du grand public, les journaux organisant leur propre tri dans les documents publiés (http://kitetoa.com/Pages/Textes/Textes/Textes12/20101129-wikileaks-cablegate-wikileaks-s-embourgeoise.shtml). Pour autant, cette collaboration avec Wikileaks leur a permis d'engranger quelques bénéfices sonnants et trébuchants. Sauront-ils déployer autant d'énergie à défendre Julian Assange dans les mois à venir qu'il l'avaient fait pour faire partie des rares journaux à pouvoir accéder aux documents détenus par Wikileaks ?

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