Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

La Terre est plate

Et les violences policières n’existent pas

Peut-on fixer un seuil acceptable, légitime, de l’usage de la force publique ? À partir de quel niveau de violence, les forces de l’ordre mandatées par l’exécutif, deviennent-elles une bande de simples voyous ?

Les photos prise depuis l'espace le prouvent... - D.R.

Une chose est certaine, pour répéter comme ils le font, qu’il n’y a pas de violences policières en France, Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Christophe Castaner ont, eux, fixé un seuil. Et pour eux, ce seuil n’est pas dépassé. Point barre. Mais cela reste flou. Seule certitude, le chiffre qui permettrait au trio de choc de l’exécutif de dire qu’il y a peut-être quelques violences policière se situe au delà de deux morts, de 315 blessures à la tête, de 24 personnes éborgnées et de 5 mains arrachées.

« La guerre c’est la paix ». « La liberté c’est l’esclavage ». « L’ignorance c’est la force ». Autant de phrases du roman 1984 que l’exécutif pourrait faire siennes. Ainsi, la France, répondant à l’ONU, expliquait-elle sans s’étouffer que :

« les forces de l’ordre déployées lors d’une manifestation le sont avant tout pour protéger la sécurité des manifestants. A ce titre, il faut rappeler que le lanceur de balles de défense (LBD) n’est pas utilisé en cas de manifestation, mais uniquement en cas d’attroupement, c’est à dire en cas de manifestation ayant dégénéré (aux termes du premier alinéa de l’article 431-3 du code pénal : « constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public »). A aucun moment le LBD n’est utilisé à l’encontre de manifestants même véhéments, si ces derniers ne commettent pas de dégradations. Mais alors, il ne s’agit plus de manifestants, mais de participants à un attroupement violent illégal ».

Réponse de la France à l'ONU - Site du Défenseur des Droits
Réponse de la France à l'ONU - Site du Défenseur des Droits

Prenez par exemple ce réalisateur, Florent Marcie, qui a couvert la révolution en Libye. Nous l’avions rencontré devant le musée d’Orsay le 5 janvier dernier. Il n’y avait autour de lui aucun manifestant ou aucune personne en train de « commettre des dégradations ». Il y avait Florent Marcie, sa caméra à la main. Les forces de l’ordre l’ont visé à la tête et il a reçu une balle de LBD en dessous de l’œil.

Nous avions écrit deux papiers très documentés sur l'usage inapproprié du LBD dès le début du mouvement des gilets jaunes. Vous pouvez les retrouver ici et .

La récente interview des responsables de l’IGPN par Libération donne également le ton. Libération demande pourquoi aucun auteur de tir de LBD n’a été identifié à ce jour.

Réponse ?

« Quand vous faites face à une horde de barbares entre guillemets, et que donc des policiers sont tous habillés de noir ou de bleu avec des cagoules ignifugées en dessous pour parer les brûlures, l’identification n’est pas évidente. Surtout quand il y a des tirs simultanés de LBD de plusieurs fonctionnaires ».

Interview des responsables de l'IGPN par Libération - Copie d'écran
Interview des responsables de l'IGPN par Libération - Copie d'écran

Ben voyons, Gaston…

Les mots sont une arme et les deux vaillants représentants de l’IGPN ne l’ignorent pas. Ils n’hésitent pas à globaliser : les manifestants sont des « barbares ». C’est à dire des gens pour qui toute idée de « civilisation » et donc de vie en commun dans une société apaisée sont des concepts étrangers… La lie de l’humanité ? Attention, le point Trump est à portée de main… Une fois la disqualification opérée (ce sont des barbares), il est possible de justifier l’emploi d’armes dangereuses. On se bat contre des « barbares », on ne discute pas, ils brûlent la toundra derrière eux. L’herbe ne repousse pas où Attila est passé !

Les policiers ont pleuré pour avoir des numéros les identifiant afin d’éviter que leurs noms ne soient livrés en pâture aux voyous, sur leur poitrail. Ils l’ont eu. Ça s’appelle le RIO. Mais, c’est ballot, les policiers qui utilisaient massivement le LBD pendant les manifestations des gilets jaunes, ne le portaient pas. C’est donc la faute à pas de chance et aux méchants barbares si on ne peut pas identifier les policiers qui ont tiré. Ce n’est pas comme si chaque policier était obligé, de retour au commissariat, de documenter chaque tir effectué, de décompter toutes les cartouches percutées. Ce n’est pas comme si les centres de contrôle disposaient du positionnement de chaque unité à chaque instant, de vidéos de haute résolution de la plupart des points chauds…

Mais l’argument massue est sans aucun doute le dernier asséné par l’IGPN : essayer d’identifier les auteurs de tirs de LBD, ça coûte une blinde et c’est qui qui paye ? On vous le donne en mille : c’est le contribuable. On ne devrait pas dépenser autant d’argent public pour identifier les auteurs de tirs sur des barbares…

Interview des responsables de l'IGPN par Libération - Copie d'écran
Interview des responsables de l'IGPN par Libération - Copie d'écran

A force de nier l’évidence, l’exécutif creuse un fossé entre la police et la population. Chaque manifestant, jeune, vieux, véhément ou pas, qui a mis les pieds dans une manifestation au cours de l’année écoulée le sait : la « force légitime » déployée était la plupart du temps totalement disproportionnée. Entendre les responsables politiques le nier ne fait que radicaliser les positions.

Le syndicat CGT Police s’est d’ailleurs fendu d’un long communiqué en ce sens : « la police dans sa globalité souffre de cette situation, de cette image dégradée qui l’éloigne un peu plus chaque jour de ceux qu’elle est censée protéger. Si on voulait détruire la police nationale on ne s’y prendrait pas autrement ». Parole d’experts…

Communiqué de presse CGT-Police - D.R.
Communiqué de presse CGT-Police - D.R.

6 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée