Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Jacques Duplessy, Antoine Champagne - kitetoa

La colère monte en France

Voici 9 raisons de (re)descendre dans la rue

Gilets jaunes, opposants à la réforme des retraites, les mécontents s'agrègent et se coordonnent. Les raisons de manifester ne manquent pas. Nous en avons compilé quelques unes.

Manifestation du 5 décembre 2019 - © Reflets

Après le discours d'Edouard Philippe présentant la réforme des retraites, les syndicats sont vent debout. Le pays est clairement à un tournant. Après un an de colère des gilets jaunes, voici que la réforme des retraites agrège les mécontentements. La base de la contestation est soudain très fortement élargie. Les deux journées de manifestations organisées les 5 et 10 décembre sont un succès. La première plus que la deuxième, mais bien malin celui qui pourra prédire ce que sera la troisième…

Le gouvernement ne peut maintenir le cours de ses réformes que pour une seule raison : la police lui est toujours fidèle et réprime avec une rare violence les manifestations qui se succèdent. Quelques craquements se font toutefois jour. Les policiers manifestaient le 11 décembre devant le Conseil économique et social où Edouard Philippe présente le projet de réforme des retraites. Le gouvernement avait auparavant annoncé que les policiers ne seraient pas concernés par ce projet. On se demande bien pourquoi puisqu’il est censé n’apporter que des choses positives aux Français… En réalité, le gouvernement fait tout depuis des mois pour ne pas voir basculer les forces de l’ordre dans le camp des mécontents.

En dépit de cette répression extrêmement violente, les Français sont descendus en masse dans la rue. Pourtant, en plus de cela, les manifestations étaient organisées en semaine et l’accès aux points de rendez-vous était extrêmement complexe en raison… des grèves des transports. Ces manifestations, ce mécontentement, ce ras-le-bol généralisé sont ils justifiés ? Nous avons identifié neuf raisons de redescendre dans la rue.

Voici neuf raisons de continuer à se mobiliser :

Une réforme du chômage défavorable

C’est une réforme très dure de l’assurance chômage qui est passée en catimini et qui va entrer en vigueur en avril prochain. Durée d'affiliation rallongée pour pouvoir bénéficier du chômage, modification du calcul de l'allocation, plafonnement des indemnités aux prud'hommes, les plus précaires vont être très impactés par une baisse de l’allocation et une plus grande difficulté à faire recharger ses droits.

Les territoires abandonnés de la République

L’inégalité est aussi territoriale : banlieue, zones rurales… Un documentaire poignant à regarder dans l’émission Pièces à conviction (France 3).

APL : nouvelle baisse en vue

Une nouvelle baisse de l'aide personnalisée au logement est prévue en janvier 2020. Le 2 juillet dernier, Le Canard Enchaîné expliquait que : la réforme, qui consiste à prendre en compte les revenus des douze derniers mois au lieu de l’année n - 2, fera 1,2 million de perdants (sur 6,5 millions d’allocataires). Comme « Le Canard » l’a raconté (5/12), la perte moyenne pour ces veinards s’élèvera à... 1 000 euros par an, selon les calculs explosifs de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ! De quoi faire remonter quelques gilets jaunes sur les ronds-points...

La privatisation d'ADP

Après la privatisation des autoroutes et celle de la Française des jeux, celle d'Aéroports de Paris est en marche. Objectif du gouvernement : privatiser tout ce qui rapporte de l’argent au profit des entreprises privés. Pour empêcher ce démantèlement du service public en demandant un référendum, il faut réunir 4,7 millions de signatures. Pour signer, c’est par là.

Les cadeaux aux entreprises...

Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), crédit impôt recherche (CIR) : les cadeaux aux entreprises pèsent des milliards. Plus de 100 milliards cumulé depuis 2013 pour le CICE, plus de 5 milliards par an pour le CIR. Problème, cet argent est souvent détourné de son but initial… pour aller dans la poche d’actionnaires. Cash investigation a mené une enquête édifiante  « A qui profite nos impôts ? »

Un "grand débat" bidon

Que reste-t-il du "grand débat" ? Rien, évidemment... Si ce n'est une habile manœuvre de diversion. Ce qui a été retenu des propositions est juste ce qui correspond au programme du gouvernement. L’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne, le retour de l’impôt sur la fortune… Rien n’a été obtenu.

La casse du système de santé et un personnel hospitalier à bout

Austérité... Ce mot-valise des ultra-libéraux s'applique à tous, sauf à eux-mêmes. Supprimer l'ISF mais laisser les hôpitaux se débrouiller avec des moyens minimaux et se transformer en entreprise (voir notre enquête sur le CHU de Clermond-Ferrand). Résultat, 268 service d’urgence en grève au 1er décembre, selon le Collectif Inter Urgences. Les internes entrent dans une grève illimité à partir du 10 décembre. Ils "demandent des mesures d'urgence", comme "un paiement des heures supplémentaires" et "une revalorisation des indemnités de garde".

Le gouvernement maintient contre toute évidence qu'il n'y a pas de violences policières

Alors que l'on compte 315 blessures à la tête, 24 personnes éborgnées et 5 mains arrachées, toute La république en marche est mobilisée pour écumer les plateaux télé en martelant qu'il n'y a pas de violences policières. Une énième gifle pour toutes les victimes dont on nie l'existence. Le journaliste David Dufresne (Davduf) tient un décompte macabre du résultat du maintien de l'ordre à la française, façon Castaner, Philippe et Macron. Ce maintien de l'ordre, en 2018/2019, nous l'avons détaillé, tel que nous avons pu l'observer au coeur de quasiment chaque manifestation : des nasses indues, qui durent trop longtemps, des gens qui veulent sortir et viennent immanquablement au contact, des jets de projectiles (souvent de simples bouteilles d'eau), une réponse disproportionnée (tirs nourris de lacrymogènes et de LBD). Cette politique a généré des blessés graves dont nous avions parlé très tôt ici.

Les morts de Zineb Redouane et de Steve Maia Caniço ne doivent pas rester sans suite

L'IGPN a montré ses limites et ressemble plus à une machine à blanchir les membres des forces de l'ordre qu'à un service d'enquête indépendant. Le Canard Enchaîné a montré par exemple que la police judiciaire qui enquête désormais sur la mort de Steeve Maia Caniço met à mal la version de l'IGPN : Au mieux, c’est une erreur ; au pire, un mensonge... Dans son « rapport de synthèse », rendu public le 30 juillet par Edouard Philippe et Christophe Castaner, l’IGPN, la police des polices, écrit, au sujet de Steve Maia Caniço, disparu la nuit de la Fête de la musique et retrouvé le 29 juillet noyé dans la Loire : "Le téléphone de la personne disparue déclenchait un dernier relais téléphonique à 3 h 16 le 22 juin 2019." Sous- entendu : soit le téléphone n’avait plus de batterie, soit le jeune homme était tombé à l’eau avec son mobile, qui avait alors cessé d’émettre. Dans cette hypothèse, sa chute se serait donc produite plus d’une heure avant l’intervention musclée des forces de l’ordre sur le quai Wilson, à Nantes – manœuvre destinée à faire cesser la musique. Pas de chance, la PJ a consulté toutes les données téléphoniques concernant Steeve et son portable a continué d’émettre jusqu’à 4 h 33... soit treize minutes après le début de l’intervention policière... Il "bornait" encore à cette heure là. C'est à dire qu'il se révélait aux tours d'antennes environnantes. En ce qui concerne Zineb Redouane, octogénaire décédée le 2 décembre 2018 à Marseille après avoir reçu dans le visage une grenade lacrymogène (elle fermait ses volets), rien n'est ressorti de l'enquête en cours. Les CRS ne se reconnaissent pas, ni leurs collègues, sur les images des caméras de surveillance. Les armes utilisées n'ont pas été fournies à l'IGPN, malgré ses demandes. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur explique : « Je ne voudrais pas qu’on laisse penser que les forces de l’ordre ont tué Zineb Redouane. Parce que c’est faux. » En d'autres termes, Zineb Redouane est morte, selon lui, parce qu'elle a fermé ses volets... Il faut des enquêtes indépendantes. Pas de paix sans justice...

9 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée