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Dossier
par Jacques Duplessy

L'hôpital Pinel révélateur du malaise de la psychiatrie en France

Les personnels soignants campent devant l'établissement

Alors qu'Emmanuel Macron annonce un plan santé et invente le concept d'assistants médicaux, que s'appelerio "infirmiers", l'hôpital psy d'Amiens tente de survivre.

Campement des soignants devant l'hôpital - Jacques Duplessy - © Reflets

Devant l’entrée de l’hôpital psychiatrique Pinel à Amiens, les grévistes ont installé un campement improvisé : un barnum et une dizaine de tentes Quechua. C’est la fermeture d’un quatrième service qui a mis le feu aux poudres. « Les patients ont été transférés dans d’autres unités, raconte Priscilia, une infirmière non syndiquée. Nous avons du rajouter des lits dans des chambres pour entasser les patients. Celles prévues pour un lit sont passées à deux, celles conçues pour 2 en accueillent trois ou quatre. »

Après plus de 90 jours et, plus de 60 nuits devant l’hôpital, ils viennent d’obtenir une première petite victoire : une table-ronde le 25 septembre avec l’Agence régionale de la Santé (ARS) et tous les acteurs de la psychiatrie : personnel soignants, médecins, associations de familles et direction de l’hôpital. « Jusqu’à présent l’ARS refusait mais proposait de recevoir les acteurs séparément, déplore Chrystel Leclerc, la secrétaire de la CGT. C’était pour mieux les balader en tenant des discours différents suivant à qui elle parle. Donc nous refusions.» Pour montrer leur détermination, ils ont occupé les locaux de l’ARS pendant trois jours, avant d’en être délogés par les policiers.

Hôpital Pinel - Revendications - Jacques Duplessy - © Reflets
Hôpital Pinel - Revendications - Jacques Duplessy - © Reflets

Officiellement, l’hôpital Pinel a 208 lits auxquels il faut ajouter 30 lits de post-cure. « Dans la réalité, il y a 120 % de sur-occupation, explique Priscilia. On a jusqu’à 28 patients dans des services prévus pour 20. Vous imaginez la promiscuité pour des patients qui ont souvent du mal à dormir. Et nous ne sommes que deux par services, deux infirmières ou une infirmière et une aide-soignante, exceptionnellement trois. Donc on ne peut pas s’occuper correctement des malades. Concrètement, les activités de socialisation, de loisir, de dialogue avec le patient qui sont essentielles en psychiatrie sautent… On passe régulièrement des heures à trouver une place pour un entrant car l’hôpital est tout simplement plein. On laisse des patients dans des chambres d’isolement alors qu’ils n’ont plus besoin d’y être, faute de lit. »

Arrive un policier. Il vient discuter. « Votre mouvement est largement fondé, je ne comprends pas que cela ne bouge pas, dit-il. Je suis désolé pour l’évacuation de l’ARS, certains collègues se sont mal comportés. Mais le préfet, il n’était pas content de votre action sur le Tour de France. Il y a les télés, tout ça. C’est pas bien pour son image, alors il vous en voulait... »

« L’ARS a peur de la réalité, elle est insupportable cette réalité... », répond Chrystel Leclerc.

« Vous dérangez parce que vous dites la vérité. Vous allez nous donner du travail. (rire). Si vous ne voulez pas qu’on intervienne, il faut faire des petits coup d’éclat, 10 minutes, un quart d’heure. Quand on arrive vous partez. Je ne vous dis pas d’aller réveiller le préfet, hein... Bon courage !»

« Nous sommes largement soutenus, vous voyez, dit Priscilia. Les gens savent que nous ne nous battons pas pour nous, pour des avantages ou des augmentations de salaire. Nous demandons l’ouverture d’un service supplémentaire, des embauches pour prendre correctement en charge les malades et la régularisations des travailleurs précaires. »

La direction de l’hôpital minimise aussi le mouvement et avance qu’ils ne sont qu’une poignée de grévistes. « Si on était si peu nombreux, le mouvement ne tiendrait pas depuis si longtemps, s’exaspère Chrystel Leclerc. Evidemment, nous travaillons, on ne va pas abandonner nos patients. Les personnes viennent beaucoup sur leur temps de repos. »

Le campement Pinel - Jacques Duplessy - © Reflets
Le campement Pinel - Jacques Duplessy - © Reflets

Un chiffre révèle concrètement le malaise de cet établissement : celui des départs de médecins psychiatres. Cinq ont quitté l’hôpital en 2017, une dizaine d’autres a fait part de son intention de partir. « Nous sommes théoriquement quarante psychiatres, explique le docteur Eric Legrand. Il y a déjà des postes vacants qu’on n’arrive pas à pourvoir. Là, on ne sait vraiment plus comment on va faire tourner l’hôpital et tous les centres ambulatoires qui en dépendent. Il y a une dégradation des conditions de prise en charge des patients qui s’est accélérée depuis cinq ans. »

L’ARS répond que l’hôpital Pinel aurait de mauvaises pratiques en privilégiant l’hospitalisation au détriment de la prise en charge en ambulatoire. « C’est archi-faux, s’exaspère Priscilia. On a déjà 70 % de patients en ambulatoire. Certaines hospitalisations sont dues au manque de moyens. La réalité est qu’il y a jusqu’à trois mois d’attente pour une consultation en psychiatrie adulte, un an sur la pédo-psychiatrie. Alors oui, parfois on est obligés d’hospitaliser car on sait que le patient ne pourra pas tenir le délai d’attente. Nous avons aussi des personnes qui sont là depuis des années et qui pourraient sortir pour rejoindre un foyer d’accueil médicalisé (FAM). Mais il n’y en a pas pas un seul sur le département ! Alors, on fait comment ? »

Le 6 septembre, au cri de « Buzyn, Philippe, Macron, partout l’hôpital crève », les soignants de l’hôpital Pinel sont venus à Paris défiler avec « les perchés » du Havre, « les blouses noires » de l’hôpital du Rouvray au Havre et leurs collègues de trois hôpitaux parisiens, l’hôpital Maison Blanche, Perray-Vaucluse et Sainte-Anne, qui pourraient fusionner. Car le malaise de la psychiatrie en France est général et nombre d’hôpitaux sont au bord de la rupture. « Les victoires des personnels des hôpitaux de Rouvray et du Havre nous ont mis du baume au cœur », se réjouit Priscilia.

La rentrée hospitalière s’annonce chaude. Car c’est tout le secteur de la santé qui est suspendu aux annonces du président de la République, qui présentait son plan pour l’hôpital ce 18 septembre. Une déception pourrait entraîner de nouvelles mobilisations de soignants épuisés. En attendant, chaque jour, les grévistes de l’hôpital Pinel interpellent Agnès Buzyn sur les réseaux sociaux pour demander une audience. « Ah, Pinel fait mal à la ministre de la Santé. On ne la lâchera pas, on ira jusqu’au bout. » La ministre avait déjà annoncé qu’il n’y aurait pas de plan spécifique pour la psychiatrie dans le plan hôpital présenté par Emmanuel Macron...

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