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par Antoine Champagne - kitetoa

Julian Assange : ce que dit de nous son arrestation

Nuances de gris

Depuis son arrestation avant-hier, le réseau s'agite. Les pro et anti arrestation s'écharpent, laissant souvent de côté l'essentiel.

Depuis qu'il a été arraché à l'ambassade d'Equateur hier par la police britannique, le réseau s'agite. Il y a ceux qui trouvent son arrestation logique, ceux qui pensent que c'est un chantre de liberté d'expression qui est injustement poursuivi. Le dialogue impossible reflète la polarisation des débats où tout doit être soit blanc, soit noir et nie toute possibilité d'un état des lieux gris. Au delà des polémiques, l'arrestation de Julian Assange, visiblement très diminué physiquement par ses sept ans d'enfermement, montre que Washington a la rancune tenace et que la capitale de la première démocratie de la planète est surtout très affairée pour faire taire tous ceux qui démontrent qu'elle s'est perdue dans des guerres injustifiables.

Les ennuis judiciaires de Julian Assange débutent en août 2010 quand deux femmes l'accusent d'agression sexuelle et de viol. Fin septembre de la même année, le fondateur de Wikileaks quitte la Suède avant que la justice n'ait pu finir son enquête. Il se réfugie à Londres, craignant dit-il d'être extradé vers les Etats-Unis depuis la Suède. Entendu à Londres sur l'affaire, il est placé en détention avant d'être libéré sous caution. La Cour suprême britannique finit par lever les derniers freins à une extradition vers la Suède et Assange se réfugie dans l'ambassade d'Equateur. Dès lors, Londres va déployer des moyens absolument colossaux (et disproportionnés) pour le récupérer, au prétexte qu'il a violé les conditions de sa libération sous caution.

A Washington, l'Etat profond, notamment les militaires et les faucons, n'ont de cesse que de récupérer celui qui a permis la publication des tonnes de documents confidentiels sur les guerres injustifiées des Etats-Unis après le 11 septembre. Ces documents ne révèlent pas grand chose. Quasiment tout ce qui avait trait aux méthodes américaines dans ces deux conflits avait été documenté de manière éparse par la presse. Mais ils confirment ce que l'on savait. Nier l'évidence et les propres documents de l'administration américaine devient dès lors impossible. La première démocratie de la planète, comme elle aime à se définir, a mené des guerres sous de faux prétextes, torturé, enlevé des innocents, assassiné des gens, détenu dans un cadre extra-judiciaire, sans perspective de procès, des êtres humains. On en passe. Le clou, si l'on peut dire, de ces révélations de Wikileaks et qui est, pour le coup une véritable révélation : l'enregistrement audio et vidéo d'un massacre de civils et de journalistes par un hélicoptère de l'armée américaine.

En outre, les Etats-Unis, sous George Bush, Barack Obama et Trump, ont démontré leur opiniâtreté à museler et punir les lanceurs d'alerte dénonçant les dérives du pouvoir. Chelsea Manning, Edward Snowden, Reality Winner..., ont tous subi les foudres de l'Oncle Sam. Julian Assange figure, à n'en pas douter, en bonne place sur la liste de ceux qui veulent faire des exemples dans ce domaine.

Une personnalité controversée

Julian Assange est sans doute autant détesté par certains qu'adulé par d'autres. Sa personnalité et ses actes clivent. Les agressions sexuelles alléguées, sa capacité à mener à la baguette la presse mondiale, le fait qu'il ait eu une gestion désastreuses de son organisation, favorisent les critiques. Son choix de passer d'une publication brute des documents à l'inverse : des publications très encadrées, partielles, passées par le filtre de la presse (dont il pensait pourtant initialement qu'elle ne faisait pas son travail correctement)... Tout cela avait éloigné de Wikileaks des soutiens initiaux.

Mais il faut regarder au delà de l'écume. Au delà de l'homme. Il n'existe pas d'organisation humaine qui n'évolue pas. Il n'existe pas d'homme dont l'âme est toute noire ou toute blanche. Il n'existe pas d'organisation qui n'ait pas un but avoué ou non. Pour ce qui est de Wikileaks, que l'organisation ait ou non choisi de publier certains documents et pas d'autres n'est pas une critique recevable. La presse classique fait la même chose chaque jour sur la base de la hiérarchie de l'information. Des gens jugent chaque matin de l'importance ou non d'un événement, d'un document, décident de publier ou pas, de faire long ou court. Ce qui est acquis, c'est que Wikileaks a publié des tombereaux de documents que certains, à qui les peuples avaient délégué leur pouvoir, avaient décider de cacher à ceux-là même qui leur avaient délégué leur pouvoir. Au delà des leaks portant sur les militaires, les services de renseignement ou les gouvernements américains, Wikileaks a permis de mettre un coup de projecteur sur des négociations internationales, des organisations internationales et leurs dérives, des entreprises privées. Ces leaks sont une mine d'or pour mieux comprendre les dessous des cartes. Par exemple, les câbles diplomatiques des ambassades américaines, ont permis de découvrir en profondeur la façon dont Washington interagit avec le reste du monde.

Toutes ces publication contribuent à une meilleure information du public. Et ça, c'est une avancée, quelque chose que l'on ne peut pas lui retirer. En cela, les défenseurs de Julian Assange ont raison : Wikileaks fait un métier similaire à celui de la presse classique.

Assange et les poursuites américaines

Il va falloir observer de près ce que les Etats-Unis reprochent au fondateur de Wikileaks et ce qu'ils pourraient lui reprocher plus tard. Pour l'instant, Washington explique que Julian Assange est poursuivi pour piratage informatique et ne risque "que" cinq ans de prison. Ce motif de poursuite est lui-même discutable, mais si dans un avenir plus ou moins proche, Julian Assange devait être poursuivi pour les publications de Wikileaks, c'est à la fois la liberté d'expression et la liberté de la presse qui seraient attaquées. Déjà bien déglingués, ces deux concepts ne s'en remettraient sans doute pas. Avec en cerise sur le gâteau, l'idée que les sources courent des risques démesurés à parler avec la presse. Chelsea Manning a été condamnée à trente-cinq ans de prison. Bien plus que ce que risque désormais Julian Assange s'il est extradé aux Etats-Unis. C'est surtout cela que dit de nous l'arrestation et les éventuelles poursuites contre le fondateur de Wikileaks : laisserons-nous les gouvernements et les multinationales continuer de cacher leurs méfaits sans réagir ? Devrons-nous vivre dans la peur de révéler des scandales ?

Le courage des lanceurs d'alerte est contagieux
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