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par Jacques Duplessy, Antoine Champagne - kitetoa

Hubert Jourdan, le Cédric Herrou de l'ombre

A l'écart des médias, de nombreux bénévoles aident les migrants

Grande gueule, Cédric Herrou a retenu l'attention des médias. Dans l'ombre, d'autres bénévoles apportent leur aide aux migrants, en silence. D'autres encore, sont "en accord avec Dieu et le Cosmos".

Hubert Jourdan - Jacques Duplessy - Reflets - Citation Reflets.info requise

Sur une route étroite et perdue qui serpente dans les environs de Nice, soudain, un petit chemin monte à pic. C'est là qu'il faut bifurquer pour atteindre la maison d'Hubert Jourdan. Dans le maquis environnant, on distingue des tentes, des cabanes, un chalet. Hubert y reçoit des migrants. L'association Habitat et Citoyenneté est un peu le dernier rempart pour bon nombre de personnes. Elle fournit un accès à une épicerie, au réseau Internet pour renouer ou conserver des liens avec ceux qui sont restés. Mais aussi et surtout un accès au droit, ce qui fait le plus défaut aux migrants. Hubert a un passé engagé dans des ONG. Au Bangladesh, en Inde, dans les Balkans. C'est assez naturellement qu'il s'est rapproché des associations locales lorsqu'il s'est posé dans le Sud de la France. Et depuis la fermeture des frontières en 2015, il n'a pas arrêté... « On n'a même plus le droit de leur donner à manger, explique-t-il, à Vintimille, le conseil municipal s'est même réuni pour savoir si on ne devait pas interdire de leur filer à boire». D'ailleurs, depuis longtemps, les fontaines sont fermées à Vintimille.

Les trois gardes à vue qu'il a subies n'ont en rien entamé son action. Ce soir, nous discutons autour d'une table devant sa maison et trois migrants se joignent à nous. « Aucun ne reste ici, c'est un lieu de passage, un endroit où se reposer et reprendre des forces. Ils veulent tous rejoindre quelqu'un de leur famille ailleurs, parfois dans d'autres pays européens », poursuit Hubert. Ce vieux routier de l'humanitaire s'en étrangle presque : « On parle de quoi ? 100.000 personnes ? Sur 68 millions de Français ? C'est ridicule. Et on nous interdit de leur donner à manger et à boire ? ». « En quatre ans, 4000 personnes sont passées chez moi », explique Hubert.

La Libye et la torture

Hubert est souvent une oreille attentive et bienveillante pour ceux qui veulent raconter un bout de leur histoire. « Tous ceux qui sont passés par la Libye ont été torturés. Le soir, certains racontent. Il y en a qui tombe dans les pommes quand ils en parlent ». Un réfugié, sans doute mineur, nous observe. Il ne parle pas français, ne prononce aucune parole, mais arbore un sourire permanent. Soudain, il attrape une poule et nous la montre. Puis s'en va. Un de ses amis accepte de nous parler de son périple.

Un migrant chez Hubert Jourdan - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
Un migrant chez Hubert Jourdan - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

« Je suis parti de Sierra Leone parce que je n'avais personne pour m'aider, je suis doué au football, mais ce que je veux, c'est aller à l'école. Je suis parti parce que je veux aller à l'école ». Il répète cette phrase comme un mantra. Pour l'instant, la France ne lui a pas répondu. Elle tente de l'expulser. « J'ai passé quatre mois en prison en Libye, on m'a frappé et attaché avec des câbles électriques. Quelqu'un m'a aidé et j'ai pu sortir de prison, ensuite, c'est la traversée, quatre jours à 85 dans le bateau. La marine anglaise nous a trouvés. Dans le train de Vintimille vers la France, comme je parle anglais, je discutais avec des touristes. Mes amis se sont enfuis et les policiers les ont poursuivis. C'est comme ça que j'ai pu passer en France ».

« J'essaye de leur donner une vie normale, explique Hubert, avec quelques repères, leurs histoires sont extraordinaires, c'est une chance de pouvoir les rencontrer. Vous savez, en France on nous martèle que l'on ne peut pas recevoir toute la misère du monde, mais la misère, ils l'ont laissée là-bas. Moi je n'accueille pas des réfugiés, je rencontre des gens. Ce serait tellement facile de les intégrer dans ce pays, en leur fournissant une formation ».

« Vous savez, je veux aller à l'école », répète encore, comme en écho aux mots d'Hubert, son visiteur de Sierra Leone.

Des amis viennent faire du ski

Plus loin dans une maison perchée en haut d’une colline de la vallée de la Roya, l’avocate Françoise Cotta accueille elle aussi des migrants dans leur longue quête d’une vie normale. Cette pénaliste célèbre, militante un temps membre de l’Organisation Communiste Internationale, - « Je les ai quittés en 1981 quand ils ont appelé à voter François Mitterand, lâche-t-elle. Trop mou pour moi. » - a commencé par hasard à accueillir des demandeurs d’asile. « Fin 2015, je sortais de l’hôpital après un cancer du sein. Un ami m’appelle et me dit : « J’ai des amis qui viennent faire du ski, il faut que tu les héberges. » Je me suis dit : « Il est gonflé », mais je n’ai pas voulu dire non. Et puis je vois quatre Blacks arriver… Là j’ai compris. Depuis ma maison ne désemplit pas. J’en ai hébergé jusqu’à trente », raconte l’avocate.

Elle ne plane pas pour autant dans le monde de Bisounours. « Ils y a des mecs géniaux et des sales cons, comme partout. Ce n’est pas toujours facile. Quand j’ai dû retourner à l’hôpital en urgence et que je leur ai laissé la maison, ça m’a coûté une salle de bain ! Certains voient chez nous l’opulence, la caverne d’Ali Baba. Alors fermer l’eau, l’électricité, ça ne leur vient pas à l’esprit… Nous les aidons à trouver un point de chute en France, certains s’installent, démarrent une formation. Un jour, une femme avec un gamin de trois ans voulait absolument aller à Paris. Je lui ai dit que c’était une mauvaise idée, qu’elle allait être à la rue. On s’est organisé pour la scolariser ici, leur trouver un logement. Elle a refusé et ils sont partis. Je n’ai pas compris… Vous savez, des fois, on est fatigué d’héberger. Mais je ne peux pas me résoudre à laisser des hommes, des femmes, des enfants dans la détresse. Alors je continue. » L’avocate dégage un mélange d’énergie et de fragilité.

Ses hôtes sont à ce moment là au nombre de quatre, dont un mineur. Kamal accepte de nous parler, entouré de ses deux compagnons soudanais. « Je suis originaire du Darfour, de la ville de Mornay dans le Darfour. J’ai fui la guerre, mon oncle a été tué. J’ai décidé de partir en Europe. Je suis arrivé jusqu’en Libye. Là, j’ai travaillé de temps en temps dans des usines de chaussures pour gagner de l’argent pendant vingt mois. Puis un ami m’a aidé pour payer le passage en Italie. Nous étions 120 sur un bateau. Après un jour et demi en mer, nous avons été récupérés. J’ai décidé de quitter l’Italie pour venir en France. Je voudrais rester ici, c’est un beau pays, il n’y a pas de combats. » Une histoire semblable à des milliers d’autres.

Catherine Gros et Françoise Cotta - Jacques Duplessy - Reflets - CC
Catherine Gros et Françoise Cotta - Jacques Duplessy - Reflets - CC

Je sais ce que tu fais, je suis contre mais je ne te dénoncerai pas

Catherine Gros, pharmacienne hospitalière retraitée, est une autre de ces solidaires. « Un jour, deux hommes m’ont abordée alors que je passais sur la route en disant qu’ils n’avaient pas mangé depuis trois jours. Je les ai fait monter dans ma voiture. Ils venaient du Darfour. J’étais une militante féministe depuis très longtemps et j’avais des amis engagés dans Roya Citoyenne, mais c’est tout. Je les ai logés quelques jours. Je l’ai fait par humanité. » D’autres ont suivi. Une trentaine.

Son engagement lui vaut des sueurs froides. « Un jour, les gendarmes avaient quadrillé le village. Ils avaient mis un barrage juste devant chez moi. J’avais justement deux migrants. Je me suis demandé si c’était pour moi… Puis ils sont partis ailleurs et on a réussi à jouer au chat et à la souris avec eux pour les exfiltrer. » Même si l’engagement de Catherine est discret, il ne passe pas inaperçu. « J’ai eu des réactions surprenantes. Des personnes qui m’ont déposé à manger en disant avec un clin d’œil : « C’est pour tes invités » ; une voisine m’a lancé : « Je sais ce que tu fais, je suis contre mais je ne te dénoncerai pas. » Ça fait drôle, c’est des phrases d’un autre temps. »

Dieu et le Cosmos

Catherine raconte aussi l'engagement des villages de la vallée : « On a fait 400 repas par jour pendant plus d'un an. Ça tournait, chaque jour, c'était un village qui s'y collait.. On distribuait ces repas aux migrants. Quand les jeunes "No Borders" sont arrivés en proposant de prendre le relai, on a été soulagés, c'était une organisation lourde ».

Rendez-vous est pris avec « les Vikings », comme les surnomment affectueusement les gens de la vallée. Après quelques dizaines de kilomètres un barrage policier et plus d'une heure de route, on finit par trouver la ferme, loin dans la montagne. Un jeune homme s'étonne de notre arrivée.

L'habitant de la vallée qui s'occupe de l'organisation des repas avait pourtant été prévenu de notre arrivée par mail une semaine avant. « Ah ? Attendez, je vais vérifier ». Quelques minutes passent, les chiens nous reniflent. « Effectivement, on n'avait pas vu son mail. Il faut dire qu'on a des problèmes avec notre connexion à Internet. Mais vous savez, nous on est un groupe, une communauté, on n'aime pas trop parler aux journalistes. Il faut que l'on se réunisse, que l'on discute de votre présence et que l'on parvienne à un consensus sur ce sujet. Vous savez, nous on vit ici, on est en accord avec Dieu et le Cosmos ».

Le lendemain, un appel nous apprend que le consensus a été trouvé. il consiste à ce que nous ne nous puissions pas participer à une distribution de nourriture aux réfugiés à Vintimille.

« C'est un peu spécial leur truc, nous explique un membre de la Roya Citoyenne, parfois quand on leur apporte de la nourriture pour préparer les repas, ils nous expliquent que tel ou tel ingrédient n'est pas le bienvenu ». Il faut dire que les « Vikings », en fait les membres de l'organisation Kesha Niya, servent des repas « vegan » aux migrants. Pas sûr que cela suffise pour reprendre des forces après les milliers de kilomètres de voyage, mais tant que c'est en accord avec le Cosmos...

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