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Dossier
par shaman

#GiletsJaunes : état des lieux

Reflets était présent à l'assemblée des assemblée de Saint Nazaire

Le mouvement des gilets jaunes est un objet sociologique unique. Quoi qu'on en pense, il mérite qu'on y accorde de l'attention. Cinq mois de mobilisations, une forme de contestation sociale jusqu'à là inédite et une convergence de gens qui jusqu'alors ne se côtoyaient même pas. Comment rester de marbre ? Reflets a donc fait le déplacement à Saint Nazaire pour la deuxième Assemblée des Assemblées des Gilets Jaunes.

Les mandatés des quatre coins de France en assemblée plénière

Les gilets ne sont qu'une tête d’épingle dans les 50% de la population française qui les soutiennent. Un soutien qui leur semble bel et bien acquis. Après plus de cinq mois de mobilisations et un pouvoir politique qui a tout tenté pour discréditer le mouvement, après les images violentes du 16 mars et cette ultime insulte, "terroristes", exprimée haut et fort avec l'appel aux soldats de la force sentinelle, une part très importante de la population continue de soutenir le mouvement. On se rappelle ce sondage Ifop pour Atlantico révélant que 39% des français pensent que pour changer la situation du pays, il faudrait une révolution. Le contexte de crise sociale et écologique aiguë, un pouvoir qui méprise et réprime durement, son intransigeance sur les mesures les plus impopulaires et le discrédit dans lequel baignent nos institutions, expliquent sans doute la grande radicalité qui traverse aujourd'hui le pays. Et on peut comprendre que pour beaucoup de gilets jaunes, ces 50% d'indéfectibles soutiens leur donne un mandat, une délégation pour faire bouger les lignes dans le pays.

Les gilets ne sont qu'une tête d'épingle mais ils sont une minorité agissante, les 1% qui s'opposent frontalement à l'autre 1%, aux commandes de ce qui fait notre société. Et cette minorité agissante a déjà prouvé son efficacité. En décembre elle a fait mettre un genou à terre au gouvernement. Elle a, d'après le témoignage de François Ruffin, réussi à arracher un budget de l'état pour 2019 bien plus équilibré. Et à réussi, grâce à l'augmentation de 100 euros de prime d’activité et à la prime de fin d'année "jaune" à sauver la croissance française. Une victoire insuffisante mais symbolique pour les militants. En voulant acheter à petit prix le calme, le gouvernement a laissé entrevoir ce que le pays aurait à gagner à le renverser.

A l'intérieur de ce mouvement jaune, l'assemblée des assemblées de Saint Nazaire ne représente formellement qu'une minorité, les 1% des 1%. Mais si la première assemblée des assemblées n’était encore qu'un ballon d'essai, celle de Saint Nazaire aura gagné en représentativité. A Commercy, en janvier, 75 délégations avaient répondu à l'appel. Pour la deuxième édition, 235 délégations sont venues à Saint Nazaire, mandatées par des assemblées rassemblant de 50 à 500 gilets jaunes. Des assemblées agissantes, miroirs des nombreux courants unis à l'intérieur de cette mobilisation inédite.

Carte des délégations présente à Saint Nazaire
Carte des délégations présente à Saint Nazaire

Un premier constat qui ne date pas de cette assemblée : le mouvement des gilets jaunes est par essence le mouvement de convergence des luttes. Syndicalistes actifs et militants écologistes remontés. Militants issus des quartiers et transfuges qui n'ont jamais eu de mal à boucler les fins de mois. Primo manifestants désargentés et vieux routiers des mobilisations diverses. Abstentionnistes, anarchistes autonomistes et électeurs du rassemblement national. Tous sont présents, discutent, échangent de façon constructive. Ils font tous le constat que ce mouvement est celui de la dernière chance. Un dernier espoir avant la dictature néo-libérale 2.0, avant la surveillance omniprésente et généralisée, avant le grand effondrement écologique. C'est la raison pour laquelle ils résistent envers et contre tout.

Reste que pour gagner il faudra mobiliser plus largement. Parvenir aux fameux 3.5% de la population mobilisée et active pour renverser le gouvernement et son système. Ou faut-il aller les chercher ? Auprès des syndicats et des travailleurs pour construire une grande grève semblable à celle de Mai 68 ? Faut-il s’adresser aux militants climats, à ces 2% de français qui ont signés la plus grande pétition de l'histoire de France : "l'affaire du siècle". Ou faut-il mettre en mouvement une partie de ces 50% de soutiens dans la population, ces anonymes qui ont encore leurs gilets sous le pare-brise, ceux qui klaxonnent aux ronds-points lorsqu'ils aperçoivent des gilets jaunes ?

La convergence des luttes a été au cœur de nombreux débats à l'assemblée des assemblées. Retour sur la mise au point d'une stratégie tous azimuts.

Préparation de la première assemblée plénière
Préparation de la première assemblée plénière

Sur le volet des syndicats et des travailleurs, deux constats émergent et semblent partagés.

D'abord les spécificités régionales. Dans certaines régions, comme à Marseille ou à Toulouse, l'union des syndicats et des gilets jaunes est actée depuis longtemps. Mais ailleurs, on a souvent observé une grande défiance entre les syndicalistes et le mouvement. Sous l'impulsion des commissions dédiées à la convergence, les choses progressent. Mais globalement les directions nationales semblent jouer un jeu trouble. Du coté des travailleurs, l’échec des mobilisations des dernières années ont laissé leur marques. Les grèves perlées et cortèges institutionnalisés ont échoué à endiguer la casse sociale. Les appels à la grève convergente sont peu suivis. La grande grève générale est un objectif lointain. La stratégie mise en avant est donc de construire cette grève par le bas, avec les syndiqués eux mêmes. Lorsque les gilets viennent appuyer les actions syndicales locales, ils aident souvent à faire changer le rapport de force. Dans la lutte, des solidarités puissantes sont construites. Et le mouvement d’agréger de solides alliés dans les secteurs cruciaux : éducation, santé et autres.

Coupures de presse
Coupures de presse

Concernant le mouvement climat, le constat est un peu différent.

Les marches pour le climat mobilisent largement et parviennent déjà à mettre de nombreux français dans la rue. Mais les deux mouvements s'observent en chiens de faïence. Pour les gilets, ces marcheurs climatiques sont leur antithèse, des "bourgeois" se contentant de marcher docilement. Des marcheurs qui seraient prêt à soutenir l'écologie punitive, des marcheurs qui ne montrent pas de solidarité face à la répression qui s'abat pour eux. Pour les marcheurs climatiques, les gilets jaunes sont des consommateurs en mal de pouvoir d'achat, des casseurs et des adversaires de la taxe carbone. Si au niveau organisationnel, les cortèges des deux bords ont souvent convergé, les bases paraissent assez frileuses.

Mais tout ceci n'est qu'apparence, la convergence entre ces deux mouvement est inéluctable. L'écologie militante met depuis quelques temps la justice climatique et la justice sociale sur un pied d’égalité. Ces mouvements sont entrés en rébellion ouverte et déterminée contre l'ennemi commun. Quand aux gilets jaunes, le mouvement héberge un puissant lobby pour l'environnement. A l'assemblée de Saint Nazaire une équipe de mandatés témoignent être venus exprès pour faire adopter un appel sans concessions pour l'écologie. Durant une plénière, un invité surprise fera son apparition, un portrait d'Emmanuel Macron, subtilisé en mairie par des activistes d'ANV-COP21 au discours combatif. L'appel à la convergence écologique sera finalement voté à l’unanimité par les délégués venus de toute la France. Un réel plébiscite.

Escorté par les militants de ANV-COP21, le portrait de Macron fait une visite surprise à l'assemblée des assemblées.
Escorté par les militants de ANV-COP21, le portrait de Macron fait une visite surprise à l'assemblée des assemblées.

Reste à convaincre une partie de ces 50% de soutiens dans la population à descendre dans la rue.

Cela sera l'objet de l'atelier stratégie à court terme qui aura lieu le samedi. Sera actée une stratégie qui s'étalera sur un mois. Prenant acte de l’accueil bienveillant qui est en général de mise de la part d'une grande partie de la population, l'assemblée incite les gilets jaunes de France à aller à la rencontre des gens dans les marchés, les jardins partagés, sur les ronds-points pour se faire connaitre, discuter, échanger sur le mouvement. Des actions hors des rendez-vous habituels pour confronter leur idées et casser les idées préconçues. Objectif : trois semaines de sensibilisation pour convaincre les soutiens et pour re-mobiliser les gilets jaunes de la première heure. L'issue de ces trois semaines coïncidera avec le 1 mai qui devra mobiliser largement dans la population. L'objectif affiché est de voir au moins 2 millions de citoyens prendre la rue. Une journée qui lancera le printemps jaune, synonyme d'actions simultanées visant à faire plier le gouvernement.

Rappel de quelques actions menées par les gilets jaunes de Saint Nazaire
Rappel de quelques actions menées par les gilets jaunes de Saint Nazaire

Construire la convergence est une chose mais encore faut-il pouvoir éviter les facteur de division.

Le mouvement est descendu dans la rue de façon éruptive et il a espéré l'emporter rapidement. Mais force est de constater qu'il s'installe pour durer. Macron parait arc-bouté et prêt à résister à toute nouvelle concession. Il faut donc s'organiser pour durer. Ce sera un des objectifs de cette assemblée. Se structurer sans se diviser. Une large place est donc laissée à l'autonomie locale, hors de question de dicter les choses par le haut. L'assemblée des assemblées est une plateforme d'échanges, de partage d'expériences, une plateforme de mutualisation des idées et des moyens. Un espace d'apprentissage collectif et d'expérimentation de la démocratie directe au niveau national. Un principe d'allers-retours de propositions entre les assemblées locales et le groupement des assemblées est acté. Une plateforme numérique facilitant ces échanges devra être mis en place. Et l'assemblée lancera un appel à la création de plus d'assemblées partout en France. La troisième version de cette expérience unique de démocratie directe et populaire devrait être encore plus importante. Elle se tiendra courant juin.

Les votes du dimanche
Les votes du dimanche

Les votes concernant les groupes de travail actions ont été censurés
Les votes concernant les groupes de travail actions ont été censurés

Dans le mouvement, tout ne fait pas consensus.

La violence en est un exemple flagrant. Évoquée brièvement en assemblée plénière et devant les débats houleux que ce sujet génère, l'assemblée décide bien vite d'esquiver le sujet. Mais il s'agit plus d'une question d'ordre stratégique, tout le monde convient que la vraie violence, ce sont ces migrants qui meurent en Méditerranée, ces SDF qui meurent dans nos rues, cette violence économique qui oppresse les travailleurs, cette violence de l'ordre néo-libéral qui s'exerce sur notre environnement.

Le consensus qui prévaut, c'est que nous sommes dans l'urgence et que, dans une certaine limite, chacun doit être libre de manifester et de s'exprimer comme il l'entend. La violence envers les personnes est écartée mais la légitime défense est admise. Hors de question de reculer ! Mais accuser tous les gilets jaunes d'être tous complices est un non-sens. Les français qui ne descendent pas dans la rue sont-ils vraiment complices de la privatisation d'ADP ? Etre complice, c'est aider sciemment une personne. L'important est d'accepter le mouvement dans sa diversité pour ne pas diviser. Le pouvoir a lancé contre le peuple des attaques d'une ampleur sans précédant, chacun doit être libre d'y résister de la façon qui lui semblera la plus opportune.

L'auteur s'excuse pour le cadrage. Mais les blacks blocs ont un protocole, certaines choses se doivent de rester cachées
L'auteur s'excuse pour le cadrage. Mais les blacks blocs ont un protocole, certaines choses se doivent de rester cachées

Comment conclure autrement qu'en citant cette gilet jaune qui témoigne dans Mediapart à propos du 16 mars :

« _Ce jour là, on a fait le casse populaire du siècle, ce 16 mars nous a reboostés pour longtemps. Dans une tout autre rue, je n’aurais pas été d’accord, mais là, la colère était légitime, je n’ai pas été chagriné une seule seconde : les Champs-Élysées, c’est l’avenue la plus riche du monde, et l’espace d’une journée, il n’y avait plus un riche au mètre carré ! _»

« C’est le gouvernement qui nous a faits ainsi, révolutionnaires… »

Le mouvement n'est pas prêt à s'arrêter
Le mouvement n'est pas prêt à s'arrêter

Quelques liens vers les appels qui n'ont pas déjà été liés à cet article :

L'appel de l'assemblée des assemblées de Saint Nazaire

L'appel pour l'annulation des peines des prisonniers et condamnés du mouvement

L'appel à la mobilisation et à l'action pour la période des élections européennes

Une émission de "Radio Parleur" qui a fait témoigner des gilets jaunes à Saint Nazaire

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