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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Gilets jaunes : sur-polariser une situation polarisée ne débouchera pas sur la zénitude

L'aveuglement politique s'exprime aussi dans ce conflit

Edouard Philippe ne sait plus quoi faire pour câliner les forces de l'ordre, restant aveugle aux débordements de ces dernières. Il tente par ailleurs de réduire un mouvement de colère populaire à ceux qui, d'extrême-droite, y participent. Ce n'est pas une solution pour sortir de la crise.

Manifestation du 22 décembre à Paris - © Reflets

C'est Noël, le premier ministre Edouard Philippe a tenu à se mettre en scène avec les motards pris à partie sur les Champs-Elysées le 22 décembre en début de soirée. Edouard Philippe a voulu "dire toute la détermination du gouvernement pour ramener l'ordre". Selon lui, "au fur et à mesure qu'il dure, ce mouvement des “gilets jaunes” se traduit par une radicalisation d'une grande violence".

Copie d'écran d'un tweet d'Edouard Philippe - Copie d'écran
Copie d'écran d'un tweet d'Edouard Philippe - Copie d'écran

Depuis le début du mouvement, le premier ministre est sur une ligne dure (est-il radicalisé lui aussi ?). Il a souffert des "reculades" décidées par Emmanuel Macron, souvent sans qu'il ne soit prévenu. Désormais convaincu que tout à été fait pour répondre aux demandes des gilets jaunes, Edouard Philippe multiplie les déclarations laissant entendre que le temps est désormais venu de rentrer chez soi, qu'il n'y a plus de raison à la colère et que ceux qui continuent de manifester ne sont que des factieux, désirant s'en prendre aux institutions, voulant casser du flic. Il n'a pas manqué de tenter de réduire le mouvement des gilets jaunes à ceux qui, à l'extrême-droite, tentent de récupérer le mouvement. Il a ainsi fustigé le 24 décembre "ces déclarations parfois empreintes d'antisémitisme, ces violences, cette volonté de casser, d'attaquer délibérément les forces de l'ordre".

Qui pourrait nier que le mouvement des gilets jaunes agrège des gens d'extrême-droite ? Des antisémites ? Des illuminés ? Des vieux cocos qui entrevoient le grand soir ? Il y a de tout dans ce mouvement. Les discussions avec les gilets jaunes dans les manifs font ressortir une multiplicité des tendances politiques, des couches sociales. On a même croisé de bons "bourgeois" venu soutenir les légitimes aspirations des "sans dents". Mais de là à pouvoir définir précisément et définitivement la tendance politique des milliers de personnes qui défilaient encore pacifiquement dans les rues de Paris samedi dernier... C'est simplement impossible. La seule chose qui est partagée par tous c'est de la colère. De la colère contre un système.Il semble juste qu'une étincelle est apparue. Celle qui fait qu'un peuple, ou au moins une partie significative de la population, ne se satisfait plus d'un contrat social qui l'unit et veut en changer. Sur quoi va déboucher cette colère ? Bien malin qui peut le prédire. Quelque chose de pire ? Peut-être. De meilleur ? Qui sait ?

Tenter de stigmatiser l'ensemble des manifestants en leur assénant que les motifs de leur colère n'ont plus lieu d'être, ne débouchera sur rien. Au pire, sur de la rage.

"Je ne confonds pas ceux qui manifestent de cette façon et ceux qui pacifiquement expriment des revendications" a tenté Edouard Philippe le 24 décembre. Pourtant...

Pourtant, les trois derniers samedis à Paris se sont déroulés exactement de la même manière. Le maintien de l'ordre façon Edouard Philippe et Christophe Castaner consiste à séparer les groupes de manifestants en les nassant, cela permet de dire qu'il y a peu de monde. Une fois les groupes nassés, on les fait aller et venir dans la nasse à grands coups de gaz lacrymogènes et de grenades. La peur s'installe, la manifestation se brise, chacun tentant de s'extraire comme il peut de cette situation dangereuse. Les policiers acceptent soudain que les manifestants sortent de la nasse, à condition qu'ils abandonnent leurs gilets jaunes aux barrages.

Ce que l'on a vu, ce sont des forces de l'ordre sur-armées, parfois des unités sans formation au maintien de l'ordre, qui font un usage immodéré des LDB 40, ces fusils qui tirent des balles en caoutchouc, qui éborgnent et blessent gravement des manifestants, des journalistes. Un usage massif aussi des grenades de désencerclement et des gaz lacrymogènes.

A ce jour, selon le décompte du site "Désarmons-les", une personne a été tuée (grenade lacrymogène), 4 personnes ont eu la main arrachée (grenades GLI F4), 9 personnes ont été éborgnées (balles de LBD 40), 1 personne a perdu définitivement l’audition (grenade).

Blessés de novembre et décembre 2018 - desarmons.net
Blessés de novembre et décembre 2018 - desarmons.net

Pour ces manifestants, souvent pacifiques (autant sans doute que les journalistes visés délibérément par les forces de l'ordre), l'exécutif n'a pas eu un mot.

A l'inverse, Edouard Philippe et Christophe Castaner s'arrangent avec la réalité pour dénoncer les violences contre les forces de l'ordre, "épuisées" selon eux.

Ainsi la prise à partie des motards sur les Champs-Elysées. Initialement, les journalistes de LinePress qui ont diffusé les images, ont uploadé avec les moyens du bord des versions courtes montrant un motard sortant son arme de service et mettant en joue des manifestants. C'est cette version que l'exécutif va s'approprier, voulant mettre en avant une attaque des forces de l'ordre par des manifestants violents. Mais plus tard dans la soirée, la version complète du film est mis en ligne. Cette fois, on y voit les motards lancer des grenades et des gaz sur les manifestants qui descendent les Champs-Elysées et ne semblent même pas avoir pris conscience de la présence de ces policiers. Ce n'est qu'après l'envoi des grenades et des gaz que quelques manifestants se retournent contre les forces de l'ordre.

Vous pouvez voir la version longue de cette vidéo ci-dessous à partir de la 47ème minute :

Là où une redéfinition du pacte social qui unit un peuple hétéroclite serait nécessaire, l'exécutif fait preuve d'aveuglement politique. Cet aveuglement qui permet à un homme politique de s'accrocher à sa vision du monde alors que tout démontre qu'il se trompe. Parviendra-ton à convaincre Edouard Philippe que sa gestion policière de ce mouvement est d'une violence inutile ? Que des manifestants qui, selon ses mots, "pacifiquement expriment des revendications" sont noyés sous les gaz, les grenades et les coups de matraque tous les samedis ? Probablement pas.

En attendant, la rage monte.

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