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Dossier
par shaman

Gilets Jaunes : l’extrême centre

Analyse politique des gilets jaunes, au cœur du mouvement.

Le mouvement des gilets jaunes a pris tout le monde de cours. Analystes, partis politiques et réseaux militants, personne ne pariait sur sa réussite et sur l'ampleur qu'il prendrait. Les gilets jaunes ont d'abord été pris de haut. Puis ils sont sortis et ont investis les ronds-points. Et une grande partie de la société française s'est mise à les appuyer.

La nouvelle arène politique française - Floppy - D.R.

Prendre de court l'histoire est la marque de mouvements destinés à la marquer. Rappelons-nous le printemps arabe. Et si nous commençons à prendre la mesure des événements qui se déroulent sous notre nez, bien malin celui qui pourra dire sur quels rivages ils pourraient nous emmener.

Le mouvement a imposé de nouvelles règles du jeu. Une détermination sans faille, un soutien opiniâtre de l'opinion, un panel de revendications visant à refonder la société, une certaine acceptation de la violence matérialisée par les barricades, ... Mais c'est son coté non partisan qui le rend très dur à appréhender. Partons pour un tour d'horizon des courants qui l'agitent et d'un extrême à l'autre, essayons de décrypter ce qui est en train de se passer.

Les ultra : guerre souterraine pour le contrôle de la rue

Quitte à parler des extrêmes, autant commencer à parler de leurs extrémités, les ultra.

A droite ce sont les "patriotes", ceux qui appellent au putsch par les armes. Et sur ce coup, c'est Léon qui s'y colle. Crée en février 2018 par un ancien de "SOS racailles", "leonfrance.net" et son auteur peuvent prétendre à une certaine légitimité. Et les titres menaçant des articles confirment le caractère insurrectionnel et violent de sa ligne : "T’inquiète pas Griveaux, ça ne va plus être bien long !". Entre le 10 et le 13 Janvier, durant l'acte IX des gilets jaunes, Léon publie un sondage à destination de ses lecteurs. quelque 8000 personnes vont répondre, ils peuvent voter trois fois. Une image claire se dessine. 90% des votes apportent leur soutien aux gilets jaunes mais seulement 11% d'entre eux pensent que ce sont des gens biens. Seuls 10% condamnent les violences et seul 1,3% d'entre-eux sont sortis du mouvement à cause de celles-ci. Un plébiscite de la violence. Et Léon de conclure : "Les GJ ne sont qu’un moyen pour atteindre un but : Virer Macron. Mais rien d’autre. En d’autres termes, on s’en sert et on s’en débarrasse ensuite. Normal, vu le noyautage du mouvement par la vermine gauchiste [...]".

A l'autre extrême, l'ultra-gauche semble elle aussi de la partie. Accusée par le préfet de l’Hérault d'être à la manœuvre dans les affrontements qui ont lieu à Montpellier, le "Parti Communiste Maoïste" confirme et assume. Ce mouvement présent à l’échelle nationale assure s'engager dans "la lutte des gilets jaunes". Il affirme "Vis à vis des propos du préfet, le rôle des communistes est d'attiser le feu et de diriger les flammes dans la bonne direction.". Et ce rapport de la gendarmerie de région Occitanie qui affirme que les zadistes sont infiltrés parmi les jaunes et qu'ils sont responsable des casses. Le milieu ZAD n'aurait-il pas digéré l'expulsion de Notre Dames des Landes par Macron il y a tout juste quelques mois ? Une ZAD qui avait été défendue par une grande partie de la gauche militante. Une façon pour les ultras de se venger de ce gouvernement qui avait choisi l'opération militaire violente comme réponse à un problème de société ?

Opération désinformation : le JDD publie un rapport secret de la gendarmerie, constitué en fait d'images publiques et prises hors contexte. Ce rapport contribuera à faire passer les zadistes pour des terroristes.   - ValK - https://twitter.com/ValKphotos/status/942791427691614208
Opération désinformation : le JDD publie un rapport secret de la gendarmerie, constitué en fait d'images publiques et prises hors contexte. Ce rapport contribuera à faire passer les zadistes pour des terroristes. - ValK - https://twitter.com/ValKphotos/status/942791427691614208

Dans sa réponse au préfet, le "Parti Communiste Maoïste" affirme aussi combattre les "intrusions fascistes dans le mouvement" en "éliminant les prétendus porte-paroles racistes, sexistes et parfois affiliés aux partis d'extrême-droite." Et l'épouvantail de l'union des ultras de s'écrouler. Si ultras de gauche et ultras de droite se rejoignent parfois sur les barricades, à l'abri de leurs gilets jaunes et de leur passe-montagnes, dans les faits ils s'affrontent pour la maîtrise de la rue. Une guerre souterraine qui se poursuit acte après acte. Et qui a éclaté aujourd'hui au grand jour. Retour sur ces événements.

Dès le 12 Décembre, StreetPress repère les prémices d'une escalade en cours.

Dès l'acte III, à Paris, des antifas tombent sur Yvan Benedetti, l'ancien leader de l’Oeuvre Française. Ils le chassent de la manifestation à coups de poings (Vidéo). A propos de l'altercation celui-ci déclarera : « Je ne compte pas porter plainte. Je ne vais pas pleurnicher devant les tribunaux. » « Ça ne change rien, les coups ne sont rien. ». Mais l'information tombe dans l'oreille des Zouaves, ancien du GUD, un groupe de combat d'ultra-droite adepte des stades. «Notre groupe a alors décidé de se concentrer sur les antifascistes. Nous les avons croisés vers 16h si je me souviens bien.». L'affrontement tourne en leur faveur.

A l'acte IV, un groupe d'action anti-fasciste tombe sur un cortège de l'Action Française (Vidéo). Le groupe charge et les royalistes se retrouvent expulsés manu-militari. Quelques jours plus tard, le local de "Génération Identitaire" à Lille est vandalisé pendant la nuit (Vidéo). Celui-ci était la scène du reportage d'infiltration réalisée par Aljazeera English : "Generation Hate". Un must pour appréhender la galaxie de l'ultra droite française. A Lyon durant l'acte VI, une foule de gilets jaunes expulse des fasciste locaux (Vidéo).

Acte VII, les événements ont lieu à Bordeaux. Un pan de gilets jaunes d'orientation anti-fasciste expulse un petit patchwork de figure locale d'ultra-droite. (Vidéo et Détails). D'autres expulsions pourraient avoir eu lieu. Et la situation, continuer à se tendre.

Durant l'acte X, à Paris, les Zouaves attaquent un leader anti-fasciste avant que les médics s'interposent. (Vidéo). Le journaliste notoirement d’extrême droite, Léopold Jimmy, qui a probablement filmé la scène est retrouvé par les anti-fascistes et violemment pris à parti. (Vidéo) Reflets témoigne d'un manifestant ostensiblement brun qui, par crainte des antifas, retire son gilet. A Lyon, les affrontements s'intensifient. Un groupe d'action d'ultra-droite attaquent les anti-fascistes et les mettent en fuite (Vidéo). Plus tard, un autre affrontement a lieu au cœur de la répression policière.

A l'Acte XI, à Lyon, les fascistes attaquent et se font repousser par la foule. (Peut être cette vidéo). A Caen, ils sont aussi éjectés par les gilets jaunes (Vidéo et Détails). A Lille, un antifa se fait agresser (Détails). Sur Paris, les Zouaves attaquent par deux fois le cortège du NPA. La première fois, des gilets jaunes s'interposent. Mais la deuxième attaque est extrêmement violente et dix blessés sont laissés sur le bitume (Vidéo et revendication). Par l'attaque d'un cortège officiel, une ligne a été franchie. Et la guerre souterraine se met à déborder dans les journaux.

Enfin, samedi dernier, la situation éclate au grand jour. Les antifas l'avaient annoncé, l'acte XII serait un acte antifasciste. Mais l'ultra-droite les attend au tournant. Repérant quelques ennemis parmi le service d'ordre à Paris, les antifas chargent et mettent en déroute leurs adversaires. Le service d'ordre, qui a à sa charge les blessés, décide des les extrader de la manifestation. Victor Lenta, infiltré de l'ultra droite, lance une petite phrase à la caméra : "Eh bien nous sommes obligés d'évacuer Monsieur Jerome Rodrigues, apparemment les black blocs ont émis des menaces contre lui, ils ont apparemment chargé le service d'ordre, mais la foule a complètement repoussé les blacks blocs. Les blacks blocs ne sont plus acceptés chez les gilets jaunes !". Les blacks blocs seront en effet chassés par les gilets jaunes (Video). Et Victor Lenta et ses accointances sont démasquées par une caméra cachée (Vidéo). L'Action Antifasciste parisienne dément avoir visé Jérome Rodrigues. L’intéressé lui-même démentira cette «rumeur de merde, qui m’a pourrie ma manif». Il assure n’avoir été ni blessé, ni attaqué, ni même la cible de personne : «Ni fa, ni antifa, ni black blocs.»

Les Zouaves Paris, des anciens du GUD, un groupe de combat de rue d'ultra-droite. - France Soir
Les Zouaves Paris, des anciens du GUD, un groupe de combat de rue d'ultra-droite. - France Soir

En marge du cortège, un autre blessé est attaqué par un fasciste. A Toulouse, les antifas attaquent Vincent Lapierre, un transfuge d'Egalité et Réconciliation (Vidéo). Un journaliste indépendant pourtant très suivi. Les ultra n'hésitent plus à mettre en péril l'unité du mouvement en visant ses personnalités les plus visible. Et la violence qui est employée peu faire peur. Pourtant tout n'est pas si noir.

Parlons de la violence des gilets jaunes contre le système et ses institutions. Sous l'effet cumulé du mépris et des violences policières, son acceptation gagne du terrain. Dans les manifestations, lorsqu'un distributeur est fracassé, très souvent la foule applaudit. Et des personnes âgées témoignent : "Les casses je ne suis pas pour. Mais s'il faut en passer par là ...". Pourtant, contrairement au gouvernement qui a sur-joué de son gant de fer, la foule jaune sait doser sa force. Malgré les déclarations tonitruantes du pouvoir sur les casseurs qui viendraient pour "tuer" des flics, aucune arme létale n'a été employée contre la police. La grande majorité des casses sont un message politique : seules les banques sont attaquées. Et de conclure par une citation de "La mule du Pape", un photo-reporteur qui a arpenté les manifestations de Montpellier et dont je vous conseille vivement de lire l'article sur Mediapart :

"Contrairement à l’idée d’une véritable guerre civile que distillent souvent les médias, dans le cas des gilets jaunes à Montpellier, il semble qu’une majorité des protestataires qui tiennent le pavé face aux forces de l’ordre s’adonne à la seconde stratégie [la désobéissance civile], qui relève plus d’une sorte de jeu de stratégie urbaine que d’une violence révolutionnaire en bonne et due forme."

Les politiques : l'infusion des idées

Le 12 décembre, le monde titrait : "Le rassemblement national fait le pari de l'infusion des idées". Alors que nous nous dirigeons aujourd'hui vers un acte XIII, pouvons-nous dire que le pari a été tenu ?

L’extrême-droite affronte sa première grande mobilisation populaire. Il y a bien eu la "manif pour tous". Mais celle-ci était trop ancrée à droite, centrée sur un seul sujet de société. Une sorte d'entrainement en quelque sorte. Ici le mouvement touche tout le territoire, il met en débat tous les sujets et il dure. Comment l’extrême-droite, peu habituée à la rue, a-t-elle pu en arriver là ? Grâce à un territoire qu'elle a réussi à conquérir à la gauche : les sphères virtuelles. Dès mai 2018, le site "The Conversation" titre : "Fachos 2.0 ou comment les idées d’extrême droite se répandent jusque chez vous". "L’objectif actuel de l’extrême droite est de diffuser des informations réelles, mais tronquées ou manipulées, dans un sens favorable aux idéaux de ces groupuscules, voire de les faire passer comme provenant d’une source amie ou neutre, afin d’imposer un point de vue, d’influencer une opinion ou d’affaiblir un ennemi." Et la stratégie semble s’avérer payante. Le 16 Janvier 2019, Simon Blin publie dans Libération une analyse au titre de "Le «confusionnisme» est-il le nouveau rouge-brun ?". Un confusionnisme décrit par le politologue Philippe Corcuff comme «des passages rhétoriques stabilisés entre l’extrême droite et l’extrême gauche». Anticonformisme, critique des élites mondialisées, discours social ... la gauche est depuis quelques années sur la défensive. Et cette quenelle de Dieudonné, maintes fois arborée des campagnes profondes jusqu'au cœur des banlieues. Les banderoles de la "Manif pour Tous" s'affichent en tête des cortèges, le service d'ordre à Paris est organisé autour d'un ancien du "Bloc identitaire" et milicien du Dombass, Victor Lenta. L'infusion semble totale.

Du coté de l'extrême gauche, on semble fébrile. Mélenchon annonce être admiratif d'Eric Drouet qui aurait voté Marine Le Pen et qui passe donc "de l'obscure coté de la force" pour un député LREM. Juan Branco, proche des insoumis, donne un entretien au journal l'Incorrect qui soutient la ligne de Marion Maréchal-Le Pen. Et Thomas Guénolé, coresponsable de l'école de la France Insoumise, de signer un texte dans Krisis, une revue catégorisée Nouvelle Droite. Marine Le Pen du haut de son silence prudent semble pourtant exulter. Les sondages promettent un ravage de son parti aux européennes. Et les plateaux télé de s'ouvrir à elle les uns après les autres. Les gilets jaunes auront-ils pavé la voie qui aura amenée l’extrême droite au pouvoir ?

La réalité pourrait bien être différente. Et pour le comprendre il nous faudra nous plonger au cœur des gilets jaunes.

Les gilets jaunes ont-ils une couleur politique ? Enquête - L'Humanité
Les gilets jaunes ont-ils une couleur politique ? Enquête - L'Humanité

Dès le 9 Novembre 2018, Vincent Glad, journaliste travaillant sur les réseaux sociaux l'affirme : "Bien davantage que la «fachosphère», le carburant de cette mobilisation aura été le nouvel algorithme Facebook". Le réseau social se met soudainement à mettre plus en avant les publications des groupes au lieu des publications des amis. Nos futurs gilets jaunes se retrouvent avec une prédominance de publications du type de celle de "La France en Colère". Gonflés à bloc, ils se mettent à investir les ronds-points. Mais qui sont-ils? A la dernière présidentielle, ils semblent avoir votés autant pour extrême gauche que extrême droite : approximativement 25% à chaque fois. Un autre quart s'est abstenu ou à voté blanc. Mais quand on leur demande de se positionner eux-mêmes politiquement, plus de 50% d'entre deux affirment n'être "ni de gauche, ni de droite". Seuls 8% se placent dans les extrêmes. C'est la France qui ne s'estime plus représentée, celle qui ne vote plus ou qui vote contre. Probablement une bonne partie des fameux électeurs historiques de la gauche qui vote à présent pour le Front National. Comment alors s'étonner des appels du pied de la France Insoumise à cette rébellion populaire.

Et puis cette fameuse confusion des styles des cadres de la France Insoumise. Juan Branco dans l'Incorrect affirme : "Nous serons par exemple demain probablement l’un et l’autre des ennemis principiels. Et je m’en réjouis : je vais enfin pouvoir me confronter à vous, à vos présupposés que je considère malsains, et par la force de l’idée et du rapport social, engager une bataille qui n’aura plus rien à voir avec les arrangements oligarchiques qui ont jusqu’ici présidé". Commentant son intervention dans Krisis, Thomas Guénolé affirme : "Il y a deux écoles : soit on ne parle pas à l’extrême droite, soit on débat pour lui porter la contradiction. [...] Mon texte le prouve : j’apporte la contradiction à la pensée d’extrême droite". Enfin l'Humanité titre le 3 Janvier dernier : "Eric Drouet, gilet jaune et électeur du FN : récit d'une hallucination politico-médiatique".

La bataille pour les cœurs et les idées se joue sur le terrain. Les réseaux insoumis ont tout d'abord hésité, puis ont rejoint le mouvement à la mi décembre de toute leur force. Les réseaux progressistes écologistes sont rentrés plus tôt dans la danse et, à l'image de Alternatiba, approfondissent au jour le jour leur lutte aux cotés des gilets jaunes. Les banlieues ne sont pas en reste, avec le soutien du "Collectif Rosa Parks", du "comité Adama" ou du comité "Justice et Vérité pour Wissam". Et le mouvement peut compter sur le journalisme indépendant, dont Mediapart est la figure de proue.

Avec une Marine Le Pen qui se retrouve à l'honneur, à de multiples reprises sur BFMTV, la chaine honnie des gilets jaunes. Avec un soutien du "Rassemblement National" à la loi "anti-casseur", on peut réellement se poser la question de comment se déplace le centre de gravité du mouvement. Et on peu enfin, se demander, qui est sur la brèche et fait réellement le pari de l'infusion des idées.

Et les foulards rouges ne s'y tromperont pas. Pas impressionné par la performance annoncée de Marine Le Pen aux européennes, il scanderont en cœur "Mélenchon démission"

Manifestation unitaire gilets jaunes / CGT à Marseille durant l'acte V  - Georges Robert
Manifestation unitaire gilets jaunes / CGT à Marseille durant l'acte V - Georges Robert

Le peuple jaune : balle au centre

Nous avons parlé des ultras puis de l’extrême politique. Il nous faut revenir au cœur du sujet, le peuple qui s'investit pour récupérer son avenir.

Ce peuple jaune est à l'image de la société française. Un collectif de chercheurs qui a étudié le mouvement sur le terrain témoigne d'une forte présence des femmes, des revenus modestes et des primo-manifestants. La clef de compréhension selon eux : les gens en forte précarité. Les cadres sont peu mobilisés, les artisans / commerçants sur-représentés. Mais sorti de ces quelques particularités, pour les autres, qu'ils soient chômeurs, agriculteurs, professions intermédiaires, employés, ouvriers ... la mobilisation est à l'image de la France.

Tournons nous vers la police pour finir de brosser ce tableau. Quelques jours après l'acte XI, le monde publie un article : "Après dix semaines de mobilisation, comment la police analyse le mouvement des « gilets jaunes »". Celle-ci note "L'ultra-gauche et l'ultra-droite plus aiguillons que moteurs". Un haut fonctionnaire souligne les tentatives de récupération politique mais précise : "Certains militants sont clairement là pour encourager la mobilisation mais les "gilets jaunes" restent majoritairement un mouvement citoyen. Ce n'est ni l'ultra-droite, ni l'ultra-gauche qui structurent le mouvement". La police observe aussi une "radicalisation préoccupante d'une partie des manifestants". Une réaction à la réponse répressive du gouvernement. Elle souligne que le mouvement "cherche à se structurer politiquement pour durer". Et elle observe "deux mobilisations parallèles". Celle des samedis, dans les rues avec des mots d'ordres très anti-systèmes. Et celle en semaine sur les ronds-points avec des revendications sociales.

L'espace médiatique est saturé des images chocs et de ces mots d'ordre anti-systèmes. Mais dans l'ombre une part du mouvement est en train d'effectuer un travail de fond.

Dès le 30 Novembre, l'assemblée de Commercy lance son premier appel. Ils incitent les gilets jaunes à se rassembler en assemblées populaires pour discuter de l'orientation du mouvement et de ses revendications, pour éviter toute récupération politique. Le 29 Décembre, Commercy lance son deuxième appel. Ils invitent les assemblés de toute la France à envoyer des délégations, et les rejoindre pour mettre en place l'assemblée des assemblées. Cet appel va être un succès. 75 délégations répondent. Ils affirment avoir dû refuser beaucoup de gens. L'assemblée des assemblées se tient le 26 Janvier. En résultera un nouvel appel, une base de travail et un consensus pour le mouvement. Cet appel est actuellement discuté dans les assemblées de gilets jaunes à travers la France. Mais il commence à donner une idée de ce qu'est réellement ce mouvement.

L'appel de l'assemblée des assemblées. La prochaine se tiendra à St Nazaire dans environ deux mois.
L'appel de l'assemblée des assemblées. La prochaine se tiendra à St Nazaire dans environ deux mois.

Mediapart a réalisé un live sur place et a confronté l'assemblée de Commercy à un vieux routier des mouvements sociaux, ancien de Syriza et chercheur en science politique, Stathis Kouvelakis. Un dialogue enrichissant dont voici quelques extraits :

Gilet jaune, parlant de l'appel à la grève (2:04:20) : " [...] et on a pas du tout envie que les centrales syndicales de nouveau enterrent les choses et soient les négociateurs d'un mouvement qui a été initié par la base du peuple. C'est pas aux centrales syndicales qu'on s'adresse, c'est au bases syndicales, et on sait que c'est des gens qui sont parmi nous, qui sont avec nous."
Autre gilet jaune : "Je voudrais vous dire, ça va peut être vous paraître fou mais fraudait que les syndicalistes notamment les syndicalistes de base comprennent qu'ils doivent pas venir avec les gilets jaunes ou en appui des gilets jaunes mais qu'ils doivent venir dans les gilets jaunes parce que les gilets jaunes englobent tout, ils englobent le rouge, le vert, il englobe toute la société bien au delà des chapelles habituelles."

(2:12:40) Gilet jaune : "On est pas apolitique, on est apartisan. Ces revendications là, elles sont transpartisanes, qu'on soit d’extrême droite ou d’extrême gauche, on peut tomber d'accord là dessus"
Stathis Kouvelakis : "Non non on peut pas dire "finissons en avec les inégalités sociales", c'est quelque chose qui est neutre en matière de spectre politique, on peut pas dire "qu'on prenne des gens en compte indépendamment de leur nationalité", c'est des choses qu'on ne peut pas situer sur le spectre politique [...] "Finissons en avec les inégalité sociales" est un marqueur politique par définition"
Gilet jaune : "Marine Le pen, elle ne dit pas ça ?"
Stathis Kouvelakis : "Non Non Non, elle ne pose jamais la question en terme d’inégalités sociales, elle parle de mondialisme et critique la mondialisation parce que c'est des gens qui sont contre la nation [...] là à mon avis on est dans une très grande confusion si on pense que l’extrême droite et l’extrême gauche luttent contre les inégalités sociales".
Gilet jaune : "La preuve c'est qu'on s'est tous mis d'accord sur ces revendications alors qu'on a pas tous le même bord politique."

Durant ce live à Commercy, Mediapart invite aussi Raphael Challier, un chercheur qui travaille depuis le début sur les ronds-points. Il apporte un éclairage important. Il parle d'abord du processus de politisation actuellement en cours sur le terrain. Il témoigne :

(1:47:10) "... dans une société [...] où tout est fait pour diviser les personnes, pour les mettre en concurrence [...], considérer que ce serait au gens du peuple d'être l'incarnation immédiate de la vertu, d'un discours humaniste et en même temps radical sur toutes les questions, je pense que c'est assez utopique. Pour moi c'est quelque chose qui s'apprend dans la pratique [...] Je pense que ce qu'il y a d'intéressant dans ce mouvement, c'est la dynamique d'apprentissage collectif qui amène, y compris dans les territoires que j'observe où il y a une très faible présence militante, spontanément les personnes à avoir des aspirations égalitaires et pour la justice sociale. Très majoritairement."

Il aborde aussi la thématique du racisme ordinaire.

(1:39:00) "Au niveau politique, on a un poids du vote pour le Rassemblement National très fort. Au dessus de la moyenne. Là ce qu'on voit dans ce mouvement, et ce que je trouve assez exceptionnel, pour avoir habité dans ces territoires, je n'ai jamais vu dans les conversations des discours aussi peu conflictuels vis à vis des autres "petite gens", vis à vis des assistés, vis à vis des immigrés. C'est extrêmement banal en temps normal."

Parlant d'un collègue (2:17:40) : "... dans les territoires qu'il étudie, effectivement, il y a des discours xénophobes voir outrancièrement racistes [...] et dans le même temps ces jeunes qui tiennent des discours qui pourraient sembler ultra violents idéologiquement, sont amis avec des personnes issus de l'immigration. [...] Une posture qui s'inscrit dans une culture populaire, viriliste, provocatrice, et ainsi de suite [...] Bien souvent les représentations des gens ordinaires et notamment des personnes modestes, elles déjouent complètement les grilles idéologiques cristallisées des intellectuels et ce qu'on essaye de plaquer dessus."

Et de me remémorer cette fameuse quenelle qui a servi longtemps de repoussoir à ce mouvement. Et cette scène sur la place de l'étoile (Vidéo), à Paris, durant l'acte IX. Ce jeune issu de la diversité qui l'arborait fièrement devant la caméra en criant : (15:33) "on va les queneller dans le cul ces fils de putes". Quelques secondes avant, un de ses camarade proclamait : "Pour l'union des peuples, des peuples libres, libres de toute tyrannie, levons le poing ! La Marseillaise ! le peuple uni ! Les noirs, les rebeus, les français, les israélites". Quelques minutes plus tard, dans un autre lieu de Paris, une autre scène se déroule (Vidéo). Un militant palestinien aidé par d'autres gilets jaunes éjecte pacifiquement de la manifestation deux "judéophobes" aspirant à mettre Dieudonné au pouvoir : "Des gens ont tenus des propos antisémites, je suis militant pro-palestinien [...] mais on peut pas laisser des personnes aujourd'hui tenir des propos anti-juifs. C'est pas l'image des gilets jaunes, c'est pas notre combat". Quelques instants plus tard, un de ses ami : "On est juifs, on est arabes, on est noirs, on est tous pareils." "Le seul clivage c'est les riches et les pauvres. On est tous ensemble ici et on veut pas d'antisémites."

Macron est le premier président réellement centriste de la cinquième république. Il a de fait provoqué le rapprochement des extrêmes, tout deux ayant un intérêt égal à le faire tomber. Mais chose inattendue, nous avons pu voir l'émergence d'un extrême centre qui s'oppose radicalement à lui. Un extrême centre qui lui appliquerai le dégagisme dont il avait si bien profité.

Cet extrême centre est né de la base, il déjouerai les grilles idéologiques cristallisés des intellectuels et militants. Sur cet extrême centre populaire, beaucoup de schémas sont plaqués. Mais peu importe le postures médiatiques ou celles qui parcourent les réseaux sociaux. Nous pouvons désormais consulter quelle est sa réelle ligne idéologique : l'appel de l'assemblée des assemblées de Commercy.

Appel de l'assemblée des assemblées
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