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par Jef

Electrohypersensibilité : le Monde bat la campagne

Après Libé et l'homéopathie, le Monde et l'électrohypersensibilité

Après le désastreux dossier sur l'homéopathie de Libération, c'est au tour du Monde de malmener les sciences, à grand renfort de cautions plus que douteuses.

Signs

Il y a quelques semaines, Libération nous avait fait rire jaune avec son dossier complètement orienté — pour utiliser un doux euphémisme — sur l'homéopathie.

Apparemment vexé par le succès de ses confrères et néanmoins amis, le Monde entend, via un article — pardon, une « enquête », faire découvrir à ses lecteurs un mal méconnu du grand public : l'électrohypersensibilité.

Cet article nous détaille par le menu « le calvaire de l'électrohypersensibilité », ce mal supposé provoquer des troubles physiques chez certaines personnes particulièrement sensibles aux champs et ondes électromagnétiques et dont la « souffrance augmente à mesure que le territoire français est de mieux en mieux couvert en réseau téléphonique ».

Pour les besoins de son enquête, le journaliste est parti en goguette dans la cambrousse (espérons qu'il avait pensé aux vaccins avant de partir) rencontrer « Odile », obligée de vivre « à distance de sa maison, cette grosse bâtisse qu’elle aperçoit au loin, en levant les yeux ». « Portable, Wi-Fi, pile de montre… Tout provoque en elle d’insupportables maux de têtes, nausées, chutes de tension », continue le quotidien. Si même une « pile de montre » est susceptible de provoquer ce genre de réactions, c'est sûr que ça doit pas être facile tous les jours. Et le journaliste de s'interroger :

« Odile se dit même allergique au simple courant électrique de 50 hertz. Elle n’est pas la seule ? Non. Mais qui l’écoute ? Qui les écoute, tous ceux qui, victimes de la folie technologique, se trouvent ainsi condamnés à la réclusion ? »

Apparemment, au moins un journaliste du Monde, qui nous raconte la difficile existence de cette femme :

« Pour se laver, elle utilise une douche solaire, sous laquelle il lui est arrivé de se faire surprendre par un promeneur. La nature lui sert de toilettes. (...) Autour d’elle, l’antenne-relais de Lagorce, les téléphones des maisons voisines et même les batteries des voitures de passage dressent un mur invisible. N’existe-t-il que dans sa tête ? »

Belpomme et bonne poire

Voilà bien toute la question, merci de l'avoir posée. Personne ne conteste que les souffrances de cette femme soient bien réelles, le nœud du problème étant de savoir si ces troubles sont liés au rayonnement électro-magnétique. Mais pour y répondre, notre journaliste convoque… L'inénarrable docteur Belpomme, bien connu des porteurs de couvre-chef en papier alu « cancérologue très en pointe sur la question », pour lequel « des articles démontrent que l’on peut faire un diagnostic objectif des EHS avec des marqueurs biologiques d’inflammation et de stress oxydant », qui prouveraient que « l’EHS est une vraie maladie, et pas une création mentale ».

Si, de retour de son reportage en zone de guerre blanche, notre journaliste avait pris soin de réactiver son point d'accès WiFi pour faire une recherche rapide sur un moteur de recherche, il se serait rapidement aperçu que le magnétique docteur Belpomme fait l'objet d'une procédure disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins concernant « deux manquements en lien avec le diagnostic par le Pr Belpomme du « syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques », non reconnu par la communauté scientifique et médicale. » C'est ballot.

Le Monde a néanmoins l'honnêteté de reconnaître que l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) est « impuissante à établir un lien réel entre leurs symptômes et l’exposition aux ondes ». Et pour cause, l'avis de l'ANSES rappelant par exemple « qu'une quinzaine d’articles présentent des résultats concordants pour montrer que, soumises à des expositions factices, les personnes se déclarant EHS expriment un nombre de fausses reconnaissances et de symptômes ressentis nettement plus élevé que les témoins, ce qui ne peut être expliqué que par un effet nocebo ». À la question de « savoir s’il existait des biomarqueurs caractéristiques de l’EHS », l'ANSES indique qu'il « n’existe aucune donnée scientifique concluante en faveur de ces hypothèses », que « les pistes génétique et immunitaire ont également été examinées pour essayer d’expliquer l’EHS », ou que « les données disponibles ne permettent pas de mettre en évidence un impact des champs électromagnétiques sur le système nerveux autonome des personnes se déclarant EHS », etc, etc.

L'ANSES a donc examiné toutes les hypothèses qui permettraient d'expliquer le phénomène, et les a toutes invalidées, concluant qu'« aucune étude n’a mis en évidence une capacité des personnes se déclarant EHS à percevoir des champs électromagnétiques radiofréquences dans des conditions d’exposition environnementale », que « la seule possibilité pour définir l’EHS repose donc sur l’auto-déclaration des personnes » et se bornant à recommander aux pouvoirs publics de continuer les travaux de recherche.

Pour le Monde, « cette absence de lien est l’argument majeur de ceux qui ne veulent pas croire à cette intolérance aux ondes et parlent d’«effet nocebo », ce double maléfique du fameux placebo, lié à des troubles neurologiques. » Ceux. Qui. Ne. Veulent. Pas. Croire.

Pour achever de retirer toute crédibilité à cette enquête, c'est également Michèle Rivasi, députée EELV anti-vaccin notoire et fervente supportrice des études bidons de Séralini sur les OGM, qui est interrogée. Elle se dit évidemment favorable à l'installation d'une zone blanche « par département ». Du beau boulot.

Chapeau (en papier alu), le Monde.

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