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par Antoine Champagne - kitetoa

Cher Mounir, cher secrétaire d'État...

Quand tu n'as pas les mêmes références que Mounir Mahjoubi

Discuter avec un ministre sur Twitter peut amener son lot de surprises et d'incompréhensions. Alors autant développer sur plus de 280 caractères.

Mounir Mahjoubi (2018) - © Reflets

Cher secrétaire d'État, vous m'avez interpelé sur Twitter après une réponse que je faisais à mon confrère Marc Rees. Je suis très flatté que vous ayez pris le temps de me parler sur ce réseau social. Je ne peux résister à l'envie de vous apporter quelques éléments de contexte afin que vous puissiez vous faire une idée définitive sur moi.

Marc Rees, qui est sans doute l'un des meilleurs journalistes pour tout ce qui a trait aux multiples lois qui régissent nos interactions (de près ou de très loin) avec Internet commentait dans un thread vos déclarations sur le futur énième texte de ce genre. J'ai provoqué une réaction de votre part en répondant à Marc avec le hashtag #AuPaysDeMounir.

Cher Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances et du ministre de l'Action et des Comptes publics, chargé du Numérique, vous deviez avoir 9 ou 10 ans lorsque j'ai vécu mes premières interactions avec Internet. Ceci pour vous dire que c'est un sujet que je maîtrise à peu près. Corollairement, je dois être une sorte de "vieux con".

Mon grand âge en années Internet m'a amené à voir défiler des kyrielles de gouvernements, tous persuadés d'avoir raison, tous certains de rendre les Intertubes plus sûrs, plus civilisés, plus... Et ils en ont empilé des textes. Souvent liberticides, la plupart du temps inutiles. Parfois, mais c'est plus rare, pas idiots.

Alors oui, lorsque je vois notre premier ministre annoncer une loi pour réguler les contenus sur les réseaux sociaux "avant l'été", je me dis qu'à nouveau, on va faire n'importe quoi, dans l'urgence, et préparer le pire.

J'espère me tromper, mais je pense que le pire est à nos portes. Les Français ont essayé la droite, la gauche, puis à nouveau la droite. Ils ont toujours été déçus. Peu importent les raisons. Alors en 2017, ils ont voté pour un homme politique qui leur faisait croire qu'il était "le nouveau monde". Fini les politiques de "l'ancien monde", on allait voir ce que l'on allait voir. Vive le dégagisme.

Et paf... Visiblement, le nouveau monde n'est pas si différent de l'ancien monde. De nouveau, de nombreux français sont déçus. Je ne vais pas vous re-détailler cela, ça crève les yeux. Le grand dégageur appelé à dégager par des Français en colère... Paradoxal quand on y pense. Et que vont-ils choisir ces Français à la prochaine présidentielle ? Il ne veulent plus de la droite ni de la gauche. D'ailleurs, le président en place a détruit les partis traditionnels qui sont désormais inaudibles. Il ne voudront sans doute pas voter pour le sortant. Que leur reste-t-il ? Les extrêmes. Et l'extrême qui a le vent le plus en poupe, c'est le FN. Pardon, le RN.

Espérons que non, mais on n'est jamais trop prudents. Voyez-vous, monsieur le secrétaire d'État, dans l'absolu, l'adoption de textes liberticides est toujours une mauvaise chose en démocratie. Mais l'adoption de textes liberticides dans une démocratie qui pourrait porter au pouvoir l'extrême-droite, c'est excessivement dangereux. Notez au passage que les premières cibles d'un RN au pouvoir, ce seront ses opposants politiques. Donc, vous. Votre gouvernement, avec sa loi anti-casseurs ou cette future loi sur les Intertubes se tire une nouvelle balle dans le pied.

Je sais, ce n'est pas à la mode. Ces idées selon lesquelles les gouvernements devraient s'abstenir de s'immiscer dans la vie privée des citoyens, sont passées de mode. Il y a eu Nicolas Sarkozy, puis François Hollande, puis Emmanuel Macron. Nous avons connu Amesys, Qosmos, la loi renseignement et je ne parle même pas du plus gros flop de Reflets, nos articles sur la manière dont la France a installé du DPI dans tous les DSLAM du pays dès 2009. Un scoop qui a été superbement ignoré par... tout le monde. Trop compliqué ? Trop technique ? Ou simplement, même plus un sujet d'indignation. Passé de mode, je vous dit.

Mais ce dont on peut être certain, c'est qu'un gouvernement du pire, qui pourrait accéder au pouvoir ici aussi (ce n'est sans doute pas une spécificité des USA, italienne, polonaise, hongroise, bulgare, on en passe...) se saisira de tout l'arsenal préparé par ses prédécesseurs.

Au pays de Candy

Donc, en voyant Marc Rees réexpliquer pour la milliardième fois tous les risques liés à des décisions prises à la va-vite, en réaction à une affaire déplorable, les incongruités techniques et juridiques à venir, j'ai réagi par un hashtag : #AuPaysDeMounir. Cela vous a interpellé et vous a fait réagir vivement. Comme un célèbre fabriquant de pâté, nous n'avons pas les mêmes valeurs, et sans doute pas les mêmes références, monsieur le secrétaire d'État.

Interprétation mystérieuse d'un hashtag par un secrétaire d'Etat. Mystère à élucider. - Copie d'écran
Interprétation mystérieuse d'un hashtag par un secrétaire d'Etat. Mystère à élucider. - Copie d'écran

#AuPaysDeMounir faisait référence au dessin animé "Au pays de Candy" et non pas aux bisounours comme vous semblez le croire. Une sorte de dessin animé un peu onirique, dans lequel, in fine, l'héroïne se sort de toutes les situations parce que c'est une gentille. Les gentils gagnent à la fin (personnellemenT, j'ai la faiblesse d'y croire, cela dit en passant).

Mais "Au pays de Candy", c'est aussi le titre d'un livre écrit par Jean-Marc Manach. Vous seriez bien inspiré de le lire, si ce n'est pas déjà fait. Ou de lire notre tripotée d'articles sur Amesys et Qosmos, deux entreprises couvertes par l'Etat français et qui ont vendu (outre à la France) leurs outils mortifères à des dictatures. A tel point que deux procédures sont ouvertes contre ces sociétés devant le pôle crimes contre l’humanité et crimes de guerre du Tribunal de grande instance de Paris.

En matière de surveillance, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes des champions. N'avons-nous pas, nous la startup-nation France, inventé le deep packet inspection ? Fierté...

Alors quand vous nous annoncez, en plus de toutes les abominations précédentes, que vous voulez que les Français s'identifient clairement lorsqu'ils signent une pétition ou que les plateformes doivent déléguer à des IA la détection de contenus "suspects", je m'inquiète. A juste titre je pense. Et je vous trouve bien angélique sur ce coup.

Vous le noterez, j'utilise souvent un pseudonyme lors de mes publications sur les Intertubes : Kitetoa. J'ai toujours écrit que j'étais prêt à répondre devant un tribunal de mes publication. Cela est d'ailleurs arrivé. Pseudonymat n'est pas anonymat. Et même lorsque c'est l'anonymat qui est recherché, la police sait retrouver les coupables et la justice sait les juger, je suis, là aussi, bien placé pour avoir fait condamner un certain Jean-Paul Ney d'abord pour menaces de mort, puis pour diffamation. Croyez-moi sur parole, il avait fait tout son possible pour ne pas laisser de traces exploitables par la justice. Et pourtant... Comme quoi, les textes existants sont largement suffisants et accumuler des textes liberticides ne fera que fournir des armes à un gouvernement extrémiste, le jour où il prendra le pouvoir.

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