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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Après "augmentez votre pénis", "augmentez votre journalisme" ?

C'est vendredi et vendredi, c'est jour de troll... J’étais tranquillement en train de consulter mon fil tweeter hier quand est apparu ce message de mon ami Jean-Marc Manach : "manhack Vous savez pourquoi @nicolaskb est le meilleur journaliste du moment? Parce que http://j.mp/mmDd3R #respect" Tiens, me dis-je, le meilleur journaliste du moment ? Allons voir ça.

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C'est vendredi et vendredi, c'est jour de troll... J’étais tranquillement en train de consulter mon fil tweeter hier quand est apparu ce message de mon ami Jean-Marc Manach : _ "manhack _ Vous savez pourquoi @nicolaskb est le meilleur journaliste du moment? Parce que http://j.mp/mmDd3R #respect"

Tiens, me dis-je, le meilleur journaliste du moment ? Allons voir ça. Ni une ni deux, clic-clic sur le lien.

Me voilà donc sur une page d’Owni qui m’explique que, de nos jours, mon bon monsieur, on ne fait plus la différence entre un conflit qui fait 10 morts et une autre qui fait 10.000 morts.

La faute au présentateur tévé avec son ton monocorde, son manque de recul, la faute à la dépêche d’agence et sa froideur.

Heureusement, le meilleur journaliste du moment et quelques amis ont décidé de mettre de la couleur ! Ben oui, Paulo, c’est bien connu, est un peu con. Une dépêche froide et blanche comme un hôpital, c’est triste. Alors qu’une cuisine pleine de sang, c’est mieux. C’est du journalisme « augmenté » coco !

Ça déchire grave ! Attends, attends, la cuisine, on va pas la faire à la Saw, lépreuse, non, on va la faire façon magazine féminin de qualité. Du léché, de la cuisine qu’on verrait dans un magazine féminin, avec des photos faites par de grands photographes. Tout y est pensé, mais laissons les experts en décodage d’images faire ce travail s’ils le souhaitent.

Revenons au journalisme augmenté parce que, tout le monde l’aura compris, ce n’est pas contre le meilleur journaliste du moment que j’en ai, mais contre un concept qui commence à sérieusement me faire très mal aux oreilles et aux yeux : le journalisme « augmenté».

Observez la cuisine ensanglantée façon Vogue, que voyez-vous ? Du journalisme augmenté ? Un nouveau concept révolutionnaire qui va radicalement changer le journalisme ? Je n’y vois rien d’autre qu’une illustration permettant de « simplifier » l’approche d’une information pour le lecteur. Le Parisien fait cela depuis toujours pour Paulo qui, au Bar des Amis, après quelques tournées, a besoin de simplification pour que ça rentre profond dans son cerveau. Et puis comme ça, quand il ressortira l’info demain au cours d’une autre tournée, elle ne sera que moyennement déformée. Il se souviendra vaguement du joli dessein. Mieux que du détail des chiffres.

Le journalisme « augmenté », le « data journalisme », c’est une façon de recycler de l’existant et de faire un bel emballage autour pour sauver une profession en voie d’extinction.

D’une part, ce « concept » me fait l’effet du « Web 2.0 », inventé par les cabinets de consultants, histoire de relancer l’économie d’Internet après l’éclatement de la bulle. D’autre part, il me semble que le journalisme « augmenté » produit sur le lecteur l’effet inverse de celui qui est annoncé . On rend le lecteur « moins » curieux, « moins » autonome, « moins critique ».

Après les pénis, augmentons le journalisme, coco...

Le journalisme « augmenté », ce n’est pas nouveau. Depuis toujours les magazines et les journaux, mais aussi la télévision, font appel à des sociétés qui produisent de belles illustrations. Une mise en image et en relief des données contenues dans un article. Plouf-plouf, un petit graph et c’est plus vendeur.  Ça égaye un page. Ça met de la couleur.

Relisez le paragraphe précédent. Un papier, avec une illustration, c’est plus « vendeur ». Le jour où l’on a fait entrer par la porte de derrière, la petite, celle qui ne se voit pas, le marketing dans le journalisme, on a commencé à le tuer. Amis journalistes augmenteurs, vous ne faites pas quelque chose de révolutionnaire, vous faite du journalisme avec beaucoup de marketing inside.

C’est mon petit côté Mme Irma, mais je sais qu’il faudra encore des années et des années pour que les zélateurs du journalisme « augmenté » comprennent qu’ils creusent la tombe du journalisme. En attendant, ça leur permettra de vivre, me direz-vous.

Une image de magazine de mode pour figurer un massacre… WTF ?

Si le journalisme augmenté consiste à monter l’horreur de la guerre par une image prenant la forme d’une photo qui n’a rien à envier à celles que l’on peut voir dans Vogue (c’est un compliment hein…), surtout, les amis, cessez de m’envoyer des messages via Twitter, des mails, etc. pour m’inviter à partager avec vous les bienfaits du « journalisme augmenté ». Je préfère rester un mini, un micro-journaliste. Un journaliste réduit.

Parce que franchement, cette démarche me remplit de honte. Pour une raison sans doute idiote, je me sens co-responsable de ce que font les autres journalistes. Et là, franchement, je suis planqué au fond d’une armoire depuis hier.

La guerre, justement, ce n’est pas une image de mode. Avec de belles couleurs léchées, de beaux éclairages structurants.

La guerre et son cortège de massacres, c’est une horreur indicible, l’arbitraire dont on parlait ici.

A force de la rendre invisible ou de la transformer en image de magazine papier glacé, on la rend virtuelle. Désincarnée. Inenvisageable.

Représenter ces morts sous la forme de sang dans un bocal de confiture… C’est juste choquant, indécent. Amis journalistes augmentés, lisez les témoignages, visitez ce qu’il reste d’un camp, parlez aux survivants, allez faire des photos dans les zones de guerre, si vraiment vous voulez augmenter quelque chose.

Il y a quelques temps, nous avions publié sur Reflets de vraies images de massacres. C’était un choix compliqué. Cela n’a d’ailleurs pas manqué, des lecteurs ont été choqués. Ce qui se comprend.

Ces images ne sont plus montrées depuis belle lurette dans la presse classique, ni à la télévision. On ne sait plus trop bien ce qu’est la mort en général (on croise peu de morts et généralement pas longtemps), encore moins ce qu’est un massacre de populations innocentes. Au mieux, pour le téléspectateur, ce sont des images de bombardements nocturnes comme ceux relayés par CNN lors du début de la guerre en Irak. Pas de sang, pas de têtes explosées, pas de corps déchiquetés, pas de membres éparpillés.  Pourtant, ces images donnent une vision sinon « augmentée », en tout cas un peu plus précise de ce que l’on peut vaguement, nous occidentaux bien au chaud, imaginer être l’horreur des massacres.

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