Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Yovan Menkevick

Analyse : Peut-on créer un conflit d'intérêt à l'échelle d'une population ?

Est-il possible qu'une population se sente concernée par un sujet au point de refuser de voir la vérité en face, cautionne des pratiques répréhensibles, puisse adhérer à des mensonges et les relaye, en perçoive des salaires ? Le conflit d'intérêt à l'échelle d'individus isolés ou en petit nombre est connu, mais peut-il s'étendre à la population d'un pays entier, d'un continent, d'une planète ? Ce qui caractérise le conflit d'intérêt c'est qu'il est une infraction avant tout déontologique.

Est-il possible qu'une population se sente concernée par un sujet au point de refuser de voir la vérité en face, cautionne des pratiques répréhensibles, puisse adhérer à des mensonges et les relaye, en perçoive des salaires ? Le conflit d'intérêt à l'échelle d'individus isolés ou en petit nombre est connu, mais peut-il s'étendre à la population d'un pays entier, d'un continent, d'une planète ?

Ce qui caractérise le conflit d'intérêt c'est qu'il est une infraction avant tout déontologique. La personne prise dans un conflit d'intérêt est le plus souvent quelqu'un qui tire des avantages à : laisser faire, tenir un discours qui entre en contradiction avec la réalité, cache des malfaçons, soutient quelque chose qui n'est pas en accord avec les intérêts publics mais avec les siens propres, cautionne un mensonge, camoufle des erreurs. Il est fréquent de trouver des acteurs en conflit d'intérêt qui travaillent à la fois pour une structure et dans le même temps sont censés contrôler la structure. Mais pas nécessairement.

Le conflit d'intérêt appelle plusieurs réflexions nécessaires à sa compréhension s'il touche une population entière. La première, visiblement évidente, est qu'il ne peut y avoir conflit d'intérêt que s'il y a intérêt. La deuxième est, que le conflit se situe à l'échelle idéologique, et que le principe de vérité est au centre du conflit.

L'implication idéologique

Les individus constituant les sociétés développées sont depuis plusieurs décennies engagés dans des combats idéologiques. Cet intérêt citoyen pour la chose politique est un thermomètre de la liberté d'expression des nations, un facteur de la bonne santé démocratique. Les individus modernes critiquent le fonctionnement des sociétés dans lesquels ils vivent, et si des changements souhaités ne surviennent pas, ils militent. Le militantisme est idéologique et il offre par de nombreux aspects un confort intellectuel : le militant se sent utile, concerné, responsable, actif. Il pallie les manques politiques, combat pour une cause qui est la plupart du temps une cause "juste", et donc indiscutable. L'exemple de l'écologie, de la préservation de l'environnement est le plus marquant : l'idéologie qui établit vouloir protéger la nature et limiter les effets néfastes des activités humaines sur celle-ci  est universelle, ne se conteste pas. Ce qui est tout à fait compréhensible et logique.

Mais l'intérêt porté à l'écologie, et plus précisément à la défense de l'environnement est devenu central depuis une période assez récente. Les combats des défenseurs de l'environnement ne datent pourtant pas d'il y a 10 ans : ils ont commencé au début des années 70 en France, par exemple. Mais durant au moins 30 ans, cette idéologie, ce combat, n'ont pas été particulièrement entendus, avec les conséquences connues sur l'environnement que l'on connait. Les détracteurs des "écologistes" ont contesté l'alarmisme qui les caractérisait par une impossibilité économique et sociale : les écouter revenait "à retourner à la bougie". Le lobby nucléaire a compté énormément dans cette impossibilité pour l'écologie de dépasser le stade de "politique de rêveurs" au niveau institutionnel et politique. Une grande majorité de la population n'a donc pas adhéré aux thèses écologistes jusqu'au milieu des années 2000. L'idéologie ne correspondait pas à l'intérêt de la population. Ce phénomène a entièrement basculé en 2005. Une prise de conscience générale s'est effectuée sous l'effet, entre autres, d'un film documentaire "Une vérité qui dérange" et d'une campagne mondiale d'alerte sur le risque climatique.

L'intérêt d'une population en conflit d'intérêt avec la réalité ?

Si les populations savent qu'elles ne peuvent pas influencer les décideurs politiques sur l'orientation économique prise depuis 30 ans, et qui ne change pas, elles ont trouvé il y a 10 ans, une voie pour —pensaient-elles, imposer à l'Etat, aux entreprises multinationales des mesures contraignantes sur l'environnement. La population a pris conscience d'un problème majeur, celui du réchauffement climatique, et les politiques comme les dirigeants économiques ont dû écouter, agir vis-à-vis de ce problème. La victoire des défenseurs de l'environnement est, dans l'écoute qui leur est désormais prêtée, incroyable, et assez unique. Les populations ont "décidé" (pensent-elles, toujours) que lutter contre l'émission des gaz à effet de serre était le moyen de lutter contre la destruction de l'environnement, et donc de parvenir à un monde propre, où les industries seraient enfin sous contrôle, où l'écologie aurait une place centrale. Avec en bénéfice moral, la certitude de "sauver" la planète d'un réchauffement causé par l'homme, de réduire par leurs actions responsables une catastrophe en cours.

Cet intérêt pour la cause écolo-climatique a connu une croissance importante autour de 2007-2010 par le biais de plusieurs événements : le prix Nobel de la Paix donnée à Al Gore, riche promoteur avisé de la limitation du carbone et acteur principal du documentaire d'alerte mondiale "Une vérité qui dérange", ainsi qu'au au Giec, le Groupe Intergouvernemental d'experts sur l'Evolution du Climat. Des campagnes médiatiques  très importantes sur les effets du réchauffement ont débuté à cette même époque. Durant ces 3 années, la plupart des événements climatiques, de la sécheresse aux cyclones, tempêtes, problèmes agricoles, ont été rattachés au réchauffement climatique. La canicule française de 2003, présente dans tous les esprits, était annoncée comme une période estivale qui deviendrait fréquente dans un futur proche, les annonces sur la réalité du réchauffement, permanentes. Les hivers très doux de cette période ont été pointés de façon constante du doigt dans les médias, au point que chaque élévation de température notable était comparée à d'autres, souvent très anciennes, affirmant leur caractère exceptionnel mais d'une fréquence telle, qu'elle en devenait un constat sans appel.

L'intérêt de la population est devenu conscience, engagement, au point que le calcul des émissions carbone devienne quelque chose de naturel et de normalisé. Dans le même temps le combat pour la préservation de l'environnement s'est mêlé à celui de la lutte contre le réchauffement climatique. Les partis politiques ont tous intégré ce grand combat central. Et c'est là que le conflit d'intérêt à l'échelle d'une population survient.

Un conflit d'intérêt idéologique global ?

Le danger de tout conflit d'intérêt est que ceux qui le portent en arrivent à permettre de tronquer la réalité. A mentir, parfois sans même le savoir, la plupart du temps en refusant de regarder la réalité en face. Le principe de "la bonne cause" est au cœur du conflit d'intérêt. Les médicaments pouvant tuer des patients, médicaments contrôlés par ceux là-mêmes qui sont rémunérés par ceux qui les vendent, par exemple, n'est pas un crime de criminels en col blanc uniquement motivés par l'appât du gain : si ce médicament peut aider un grand nombre de personnes, alors, pourquoi empêcher qu'il soit vendu, même si une petite partie peut en subir des conséquences fatales ? Il faut de plus en avoir les preuves, et celui qui participe n'est pas forcément enclin à aller voir de plus près ce qu'il en est précisément. Le plus intéressant à ce sujet est de parler à une personne ayant travaillé toute sa vie pour l'industrie nucléaire : il lui est impossible de critiquer cette industrie qui a nourri sa famille durant des années. Même s'il connaît les dangers, les milliers d'intérimaires contaminés par la radioactivité, la sécurité de plus en plus incertaine, le vieillissement du parc, il ne peut pas en parler, refusera d'admettre ces phénomènes : pour lui, le gain qu'apporte le nucléaire à la société en termes sociaux et financiers sont tels, que les dangers sont minorés, écartés, niés.

Une fois un conflit d'intérêt enclenché, il est très difficile de le démonter. Lorsqu'il réside sur la possibilité de la disparition de l'espèce humaine, il est facile d'imaginer les résistances qui peuvent s'exercer auprès de ceux qui sont piégés à l'intérieur. Actuellement, alors que la communauté scientifique déclarée la plus experte auprès du Giec, avoue s'être trompée sur le réchauffement des 16 dernières années. Cette information ne donne aucune sorte de dénonciation de la part des populations. Si les scientifiques tentent d'expliquer cette erreur d'appréciation par des théories relatives aux océans, pas encore validées, leur traduction passe de "pistes d'explications" à "c'est une certitude". Que la science n'ait pas encore pu expliquer ce phénomène de refroidissement n'a aucune valeur dans le cadre d'un conflit d'intérêt global : la population, dans sa grande majorité a décidé de croire, de vivre, de militer pour la cause du réchauffement depuis trop longtemps pour que des réalités  scientifiques invalidant même partiellement la thèse anthropique puisse les pousser à prendre un peu de recul avec ces nouvelles révélations. Et ceux qui admettent du bout des lèvres que la possibilité d'un réchauffement naturel existe, même important, viennent immédiatement construire un discours affirmant la nécessité de ne pas s'en préoccuper. Puisque pour eux, cette affirmation du réchauffement par les gaz à effet de serre est tellement intéressante en termes de militantisme idéologique, de possibilité de faire changer la société, d'avoir un pouvoir sur les industries pétrolières —pensent-ils — qu'elle mérite d'être conservée, même au prix du mensonge.

Ne jamais douter : la nécessité fait loi ?

Ce qui est excessivement dommageable dans le cas du conflit d'intérêt global sur le réchauffement climatique c'est qu'il occulte de nombreuses autres luttes très importantes et permet aux décideurs d'orienter leurs décisions avec une facilité déconcertante sous prétexte d'urgence. Les pollutions s'intensifient, particulièrement celles qui ne sont pas concernées par les émission de gaz à effet de serre et l'industrie a pu se "verdir" à moindre frais en quelques années. Les produits verts sont désormais monnaie courante, la protection de l'environnement incorporée dans le capitalisme consumériste de masse. Il suffit de contrôler ses émissions de CO2, sa capacité à isoler son habitation pour être en accord avec l'intérêt général. Les véhicules ne se sont pourtant pas arrêtés de circuler, les transports polluants inutiles non plus, aucunes mesures sérieuses de santé publique ne sont appliquées pour lutter contre les particules fines. Ces phénomènes beaucoup plus graves pour l'humanité et ne sont pas pris en compte de façon conséquente : logique, puisque la majorité des budgets scientifiques sur la pollution sont alloués aux calculs du réchauffement et de ses effets.

C'est là où de nombreux individus sont pris dans les mailles de ce conflit, puisqu'ils sont rémunérés pour et par le réchauffement climatique. Leur crainte est de voir les budgets se tarir si la cause naturelle était certaine, la thèse carbone, invalidée. Les militants écologistes, eux aussi ont peur que la protection de l'environnement soit oubliée si le réchauffement se révélait d'une origine autre qu'humaine. Les enseignants, ridicules devant leurs élèves, ayant prêché ce réchauffement anthropique, les politiques, militants, tous ceux qui parlent, admettent, convainquent de l'urgence climatique seraient dans une position très difficile. On estime à plus de 70% les Français convaincus que l'origine du réchauffement climatique est d'origine humaine. La cause environnementale a avancé grâce aux théories du Giec, il est vrai. Mais entre une cause acquise et un changement majeur de société positif, il y a un pas—qui n'a pas été franchi. Non pas parce que la cause n'a pas été suivie, comprise, relayée, bien au contraire, mais parce que le fond du problème n'est pas l'emballement des foules, mais la structure même des sociétés industrielles. La nécessité de stopper la pollution mondiale est réelle, mais ce n'est pas par la création d'un conflit d'intérêt idéologique global sur les gaz à effet de serre qu'elle sera acquise. Surtout au prix d'une chose de plus en plus rare, de central pour les démocraties : la vérité. Et admettre que l'on s'est trompé, quand on s'est autant impliqué, est très difficile. Au point que même la plus infime parcelle de doute se refuse à émerger chez la plupart : les enjeux sont trop grands. Au point d'avoir ce types de commentaires :

"L'Homme a indubitablement un impact majeur dans l'évolution du climat, ça c'est une certitude. Les approximations viennent de l'évaluation de cet impact, et des formes qu'il prendra."

Cette vocation de foi absolument anti-scientifique, uniquement préoccupée par l'affirmation d'une vérité quasi religieuse, est le symptôme majeur de cette nouvelle forme d'occultation des esprits.

Il apparaît pour les personnes prises dans le conflit d'intérêt, qu'il soit devenu un problème de survie. Personnelle, avant tout. Politique, profondément. A l'opposé, pour l'humanité qui doute ou veut comprendre, c'est un autre type de problème : celui de la prise de contrôle globale par une partie de la science au service d'organisations politiques jamais à court de solutions et de raccourcis pour s'assurer de la domination du plus grand nombre. Mais aussi de militants politiques très engagés, et plutôt inquiétants par leur volonté d'imposer leurs solutions, toujours au plus grand nombre.

Pourtant, mêmes sans réchauffement climatique anthropique, les politiques savent bien, comme les populations, qu'il y a urgence à stopper la pollution, quelle qu'elle soit : la disparition de nombreuses espèces de poissons (par la sur-pèche), ou encore celle des abeilles (par les pesticides), sont un problème majeur qui devrait être au cœur des débats environnementaux. Pourquoi aucune campagne mondiale n'est-elle lancée sur ces phénomènes parfaitement identifiés et réels ? Pourquoi aucun rapport d'une organisation intergouvernemental ne sort-il à ce sujet ? Les poissons et les abeilles seront-ils sauvés par la baisse émission de gaz à effet de serre ? Chacun connaît la réponse. Elle est négative. Mais qui pour sortir du conflit d'intérêt idéologique global et s'attaquer à ces grands problèmes confirmés de façon certaine ? Observer la réalité scientifique, prendre en compte les incertitudes et admettre que rien n'est encore déterminé sur ce sujet du réchauffement climatique, est-il possible dans ces conditions ?

Très peu possible, il semble..

Nous sommes entrés en réalité dans une nouvelle ère, celle du conflit d'intérêt globalisé.

A chacun d'en prendre la mesure. Ou non. Et d'en tirer des conclusions. Ou pas.

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