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par Rédaction

A Bruxelles, Salah Abdeslam muré dans le silence

Dans la salle d’audience du palais de justice de Bruxelles, la présidente du tribunal interroge Salah Abdeslam : « Vous avez deux fois refusé de répondre aux questions des policiers et du juge d’instruction. Aujourd’hui vous êtes présents. Vous avez fait la demande expresse d’être présent. Et c’est parfaitement votre droit. Acceptez vous de répondre aux questions du tribunal ? » La salle retient son souffle.

Salah Abdeslam a refusé de se lever arguant d’une grande fatigue liée à l’extraction matinale de la prison. « Non, à aucune question ». S’en suit une grande diatribe provocante. « Les musulmans sont jugés impitoyablement. Il n’y a pas de présomption d’innocence. » Olivier Laplaud, de l’association Life for Paris, raconte que Salah Abdeslam a échangé un clin d’oeil complice avec Sofien Ayari.

La présidente tente un dialogue : « Et pourtant vous êtes là. Vous pouvez vous défendre. On n’a pas du tout de préjugés ». Abdeslam lance d’une voie grave pleine de défi : « On m’a demandé de venir, je suis venu. On m’accuse, mais mon silence ne fait pas de moi un coupable. C’est ma manière de me défendre. Qu’on se base sur des preuves scientifiques pour m’accuser. Ce tribunal est là pour satisfaire les médias et l’opinion publique ». Il enchaîne : « J’atteste qu’il n’y a de divinité à part Allah et que Mohammed est son prophète. Que la paix soit sur lui. Jugez moi comme vous le voulez, faîtes de moi ce que vous voulez. Je place ma confiance dans mon Seigneur. Je n’ai pas peur de vous, ni de vos alliés. Je n’ai rien d’autre à ajouter. Mon silence ne fait pas de moi un coupable ni un criminel ».

La présidente prend acte. « Bon, nous entendrons les avocats. Sachez que vous pouvez décider de parler à tout moment ». Et elle suspend l’audience.

Deux heures et demi, plus tôt, le procès s’était ouvert dans un palais de justice sous haute sécurité. Dehors, deux blindés de la police et un canon à eau ont été positionnés. Des militaires sont aussi présents. Salah Abdeslam et Sofien Ayari sont jugés jusqu’à vendredi pour tentative d’assassinat sur des policiers belges et deux inspecteurs français lors de la perquisition de la planque de la rue du Dries, le 15 mars 2016.

Au début de l’audience, Salah Abdeslam a refusé de donner son identité, contrairement à Sofien Ayari. Pourtant, la présidente a pris des gants pour ne pas brusquer les accusés. « Le seul objectif de l’audience est de comprendre ce qui s’est passé. Nos questions sont posées sans préjugés mais pour éclairer ce qui s’est passé. Le tribunal peut se tromper dans ses questions, vous pouvez nous interrompre à tout moment, si c’est fait respectueusement ».

Sofien Ayari, un Tunisien de 24 ans, a, lui, décidé de parler au tribunal. Un peu. Car dès que les questions sont trop précises, notamment sur les responsabilités, il se ferme. « Je me suis déjà expliqué dans mes auditions précédentes. Je ne veux pas répondre », dit-il à de nombreuses reprises. Il refuse de dire pourquoi il est revenu de Syrie après un séjour d’un an à Raqqa et si c’était pour commettre des attentats. Il déclare qu’il ne « fait rien de spécial » de ses journées, qu’il suivait les membres du groupe, qu’il faisait seulement les courses une fois par semaine. « Mais si vous ne faisiez rien, pourquoi les membres du groupe se sont encombrés de vous ? », interroge la présidente. « Je voulais retourner en Syrie. Je me disais qu’ils pourraient m’aider ». « Pour rejoindre d’État Islamique ? » Ayari tergiverse puis finit par lâcher : « Oui. De toute façon, en Tunisie, je risquais la prison ».

C'est Belkaïd qui a tiré

Il nie avoir tiré sur les policiers rue du Dries. « Mais on a retrouvé votre ADN sur le chargeur, la détente de l’arme et les poignées. Vous l’expliquez comment ? », demande la présidente. « Ça veut dire que je l’ai manipulée, pas que j’ai tiré », répond-il. « Alors c’est Salah Abdeslam qui a tiré avec l’autre arme ? » « Non, je ne dis pas ça. C’est Belkaïd qui a utilisé les deux armes ».

Belkaïd ne risque pas de répondre. Il est mort sous les balles des policiers. Avant de conclure l’interrogatoire, la présidente lui demande : « Que pensez vous des attentats de l’État Islamique dans les pays européens ? » « J’ai dit dans mon audition que je n’avais pas de liens avec eux. C’est à eux de dire pourquoi ils ont commis ces faits. Ce n’est pas à moi de dire si ces attentats sont légitimes ou pas. Il faudrait entendre leurs explications, même si elles ne sont pas cohérentes. Je n’ai rien d’autre à ajouter. J’aurais l’occasion de répondre lors du prochain procès ». La salle d’audience reste silencieuse.

La procureure fédérale, dans son réquisitoire, réclame sans surprise la peine maximale : vingt ans de réclusion avec une période de sûreté de treize ans. Même si elle pense que c’est Sofien Ayari qui a tiré sur les policiers, elle réclame pour les deux prévenus la même peine.

A la sortie de cette première audience, les parties civiles oscillent entre souffrance et détachement par rapport au procès. « C’est une journée particulière pour nous, explique Philippe Duperron, président de l’association de victimes 13onze15. Ce n’est pas le procès du 13-Novembre. Mais on aurait aimé que Salah Abdeslam parle. Mais on s’attendait à cette attitude. Nous sommes là pour qu’il sache qu’il y a des parents de victimes dans la salle ».

« On a au moins pu comprendre un peu plus de l’intérieur ce qui se passait dans ce logement conspiratif, déclare Guillaume Denoix de Saint-Marc, le président de l’association française des victimes du terrorisme. Mais on est déçu. On espérait quand même que Salah Abdeslam parlerait… Pour les victimes, c’est toujours dur de voir quelqu’un à l’origine de sa douleur. Nous n’avons pas de sentiment de haine ou de vengeance. Mais il y a une soif de justice. On fait confiance à la justice sur un plan émotionnel ». C’est surtout de Sofien Ayari qu’il attend des éclaircissements : « On voit bien qu’il a le cul entre deux chaises. Il parle un peu, mais je pense qu’il n’ose pas parler plus devant Salah Abdeslam. Il est sans doute un second couteau, mais il reste en allégeance à cette cellule terroriste. Il faudra que Sofien Ayari choisisse s’il veut réellement parler ou pas ».

Du fait du refus de parler de Salah Abdeslam, le procès a été écourté. Il reprendra seulement jeudi avec les plaidoiries des dernières parties civiles et les plaidoiries des avocats des deux prévenus. Le jugement devrait être rendu vendredi.

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