Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Fabrice Epelboin

Wikileaks révèle la guerre menée par Microsoft contre le Logiciel Libre en Tunisie

Business is business, et au vu de nombreux cables issus de Wikileaks concernant Microsoft, on pourrait ajouter, ‘Business as usual’, tant l’attitude de Microsoft en Tunisie, même si elle est jusqu’ici ce que la firme a fait de plus ‘extrême’, se retrouve aux quatre coins du monde dans un nombre incrcoyables de télégrammes diplomatiques.

Business is business, et au vu de nombreux cables issus de Wikileaks concernant Microsoft, on pourrait ajouter, ‘Business as usual’, tant l’attitude de Microsoft en Tunisie, même si elle est jusqu’ici ce que la firme a fait de plus ‘extrême’, se retrouve aux quatre coins du monde dans un nombre incrcoyables de télégrammes diplomatiques.

Il se détache très nettement, après un rapide parcours dans les centaines de câbles dans lesquels Microsoft est cité, que l'entreprise - souvent alliée avec des lobbies tels que la RIAA - a été le bras armé des USA pour lutter contre le piratage, et qu'elle en a profité pour lutter contre ses concurrents, à commencer par l'open source, quitte a collaborer avec les pires régimes et les aider à renforcer leur emprise sur une population en proie à des violations systématiques de ses libertés les plus fondamentales.

En Tunisie, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une reprise en main de l’économie numérique d’un pays qui s’était pourtant engagé très tôt dans le logiciel libre. C’est à ce jour ce que Microsoft a commis de plus violent pour prendre littéralement d’assaut un secteur économique d’une nation, au point de choquer les services de l’ambassade américaine.

En un sens, et cela demanderait une étude plus poussée des câbles de l'ambassade de Tunis, le dégoût très diplomatique exprimé par l'ambassade quant à l'attitude de Microsoft face au gouvernement Tunisien est sans doute l'un des éléments qui a mené les Etats-Unis a considérer la mafia au pouvoir avec de plus en plus de mépris, au point d'envoyer à Washington des cables dont certain estiment qu'ils ont littéralement mis le feu aux poudres de la révolution, une fois ceux-ci rendus publics.

En théorie, accroitre les capacité d’interceptions informatiques légales du gouvernement est une bonne chose, mais étant donné l’interférence notoire du gouvernement Tunisien avec l’internet, cela pose des questions sur le renforcement de sa capacité à surveiller ses citoyens. Au final, pour Microsoft, les bénéfices l’emportent sur les coûts.

Extrait du câble 06TUNIS2424 de septembre 2006

Sur la période 2006-2010, certains télégrammes diplomatiques publiés par Wikileaks lèvent le voile sur la façon dont le géant de Redmond s’y est pris pour exterminer le logiciel Libre dans la Tunisie de Ben Ali. Quatre câbles en particuliers, référencés 06TUNIS1818, 07TUNIS271, 07TUNIS1286 et 08TUNIS31 permettent de lever le voile sur la façon dont le milieu de l'open source Tunisien a été systématiquement mis à mal, au point d'y faire naitre un courant de cyberdissidence désormais connu aux quatre coins de la planète.

«J’ai attendu avec impatience cette occasion de vous parler de la façon dont la technologie peut faire des choses spéciales, ici ne Afrique»

Bill Gates, extrait de son discours prononcé au Cap le 11 juillet 2006, le jour où il cosignait le contrat entre l’Etat Tunisien et Microsoft.

S’imaginer que Microsoft s’en prend exclusivement aux petites dictatures tel que le laisse penser une première lecture des cables de Wikileaks serait une erreur, en fouillant dans les archives de Wikileaks, qui n’a pas, loin de là, commencé avec le CableGate, on trouve des documents qui montrent comment Microsoft a sabordé l’open source au niveau Européen. L'entreprise a fait de même dans une multitude de pays, les jours et les semaines qui viennent devraient faire émerger des histoires similaires, qu'on espère tout de même moins atroces que ce qu'il s'est passé au pays du jasmin.

Traiter la concurrence comme un dictateur traite son opposition

Si interférer dans le travail d'une démocratie et en perturber le fonctionnement pour son bénéfice comme l'a fait la firme en Europe est une pratique courante, cela n’a strictement rien à voir avec les dérives gravissimes auxquelles Microsoft s’est livré en Tunisie, où l’entreprise a formé, en parfaite connaissance de cause, les fonctionnaires du ministère de l’intérieur et du ministère la justice en charge de la répression numérique.

«il y a tellement d’exemples de choses merveilleuses qui se passent dans vos pays [...] comme la transparence au sein des gouvernements qui est quelque chose de magique»

Bill Gates, extrait de son discours prononcé au Cap le 11 juillet 2006, le jour où il cosignait le contrat entre l’Etat Tunisien et Microsoft.

Le temps de la transparence étant venu, Microsoft se retrouve aujourd’hui accusé de complicité du meurtre de centaines de martyres, de la torture de milliers de dissidents, et du harcèlement de millions de citoyens ordinaires.

C’est à un viol systématique de la vie privée des citoyens Tunisiens que le régime de Ben Ali s’est livré, au prix de l’abandon de la souveraineté technologique du pays et de quelques millions de dinars par an de contrats pour Microsoft. Un deal abjecte au point que beaucoup aux Etats-Unis envisagent désormais un procès. Un scandale qui, contrairement à ce qu'il s'était passé en mai 2011 lors de la première révélation de l'affaire dans Rue89, ne pourra être étouffé.

A l'heure actuelle, le scandale éclate en Angleterre, en Allemagne et aux Etats Unis. Il est désormais classé dans le top de Techmeme, l'aggrégateur de news le plus populaire du secteur internet aux USA, ainsi que sur Reddit, un haut lieu de la geekitute, tous deux antrechambres des grands buzz technologiques planétaires. Dans le monde arabe, Al Jazeera, avec qui nous travaillons régulièrement et qui s'était déjà inquiété de l'affaire lors de sa publication dans Rue89, est saisie du dossier et ArabCrunch a déjà publié un article. De son coté, l'Electronic Frontier Foundation, avec qui nous collaborons depuis le début sur le dossier Syrien ainsi que sur la vente de matériel d'écoute par Bull à la Libye est également saisie du dossier.

Remercions également au passage nos amis de Wikileaks, qui on Tweeté par deux fois l'article de ce week end. Forcément, avec plus d'un million de followers, le buzz a pris à l'international de façon spectaculaire. Les serveurs de Fhimt.com on chauffé, mais gageons que notre hébergeur sera compréhensif, et pour cause : c'est OVH, qui avait également l'an dernier refusé de couper l'hébergement de Wikileaks, pourtant réclamé - sans la moindre base légale - par Eric Besson, ministre de l'internet Français, grand ami de la Tunisie (de Ben Ali) et de l'internet (civilisé).

Morceaux choisis, traduits d’une sélection de câbles allant de 2006 à 2010.

06TUNIS1818 Eliminer le libre : logiciel libre et piratage, un même combat pour Microsoft

Le ministère des communications et des technologies a formé une alliance autour de l’industrie du logiciel avec Microsoft et a tenu plusieurs évènements destinés à faire prendre conscience des enjeux liés à la propriété intellectuelle ces deux dernières années.

Le ministère et Microsoft ont signé un accord dans les coulisses d’un atelier sur la compétitivité des pays Africains organisé par Microsoft le 10 et 11 juillet 2006 au Cap. Selon les termes de cet accord, tous les logiciels [utilisés par l’Etat] seront mis à jour avec des versions Microsoft certifiés et le secteur sera régulé.

Microsoft fournira une assistance au secteur public et privé afin de développer leur compétitivité et renforcer la complémentarité des deux secteurs. Les spécifications futures des équipements gouvernementaux mentionneront explicitement l’obligation d’être compatible Microsoft [interdisant de facto l’usage d’ordinateurs fonctionnant sous Linux].

Un programme de formation destiné à éduquer le public sur la nécessité d’utiliser des logiciels ‘légaux’ sera également mis en place.

 

Un contrat mystérieux entre Microsoft et le gouvernement Tunisien qui préoccupe l’ambassade 06TUNIS2424

Bien que signé en juillet dernier, aucune information ne nous est parvenue [concernant le contrat] aussi bien de la part du gouvernement Tunisien que de la part de Microsoft. Malgré des demandes répétées, Microsoft ne nous a pas encore fourni de copie de l’accord final. Lors d’une rencontre en septembre avec l’attaché commercial de l’ambassade, la directrice générale [de Microsoft] Salwa Smaoui nous a fait part des principaux points de l’accord.

Depuis 2001, le gouvernement Tunisien a adopté une politique favorisant l’open source, n’utilisant que des logiciels libres. Désormais, le gouvernement dans ses appels d’offre spécifiera que les équipements doivent être compatibles Microsoft, ce qui était jusqu’ici interdit pas la loi sur l’open source Tunisienne.

L’accord touche également à la sécurité sur internet. A travers un programme sur la cyber criminalité, Microsoft formera des officiers gouvernementaux au sein du ministère de la justice et sur ministère de l’intérieur sur la façon d’utiliser l’informatique pour lutter contre le crime.

Lors d’un appel quelques jours avant le forum Sud Africain, Smaoui s’inquiétait de devoir se rendre au forum sans un accord signé dans les mains et ne pouvait pas confirmer que le représentant du gouvernement se déplacerait. Elle craignait d’avoir à annoncer à Bill Gates [qui a signé le contrat Microsoft-Tunisie] que sa présence au forum n’était pas justifiée.

Au cours de l’évènement, Khedija Ghariani, le secrétaire d’Etat à l’informatique, l’internet et au logiciel libre, s’est déplacé et a signé au nom du gouvernement Tunisien l’accord avec Microsoft. Malgré d’épuisantes négociations, Smaoui a qualifié cet accord de ‘vital’ pour Microsoft. Le fait que le gouvernement se repose jusqu’ici sur des logiciels Open Source limitait de façon drastique le business de Microsoft en Tunisie et sa participation aux appels d’offre gouvernementaux.

Smaoui a précisé que bien que Microsoft ait consenti a investir en Tunisie, la somme que représente ces investissements sera inférieure à ce qu’aura a payer le gouvernement.

 

L’ambassade, pleinement consciente des conséquences du deal Microsoft-Ben Ali, partage son dégoût avec Washington. 06TUNIS2424

Commentaire de l’ambassadeur : La réticence de Microsoft à nous dévoiler les détails de l’accord passé avec le gouvernement Tunisien met en lumière l’attachement de ce dernier au secret et non à la transparence. En théorie, accroitre les capacité d’interceptions informatiques légales du gouvernement est une bonne chose, mais étant donné l’interférence notoire du gouvernement Tunisien avec l’internet, cela pose des questions sur le renforcement de sa capacité à surveiller ses citoyens.

Au final, pour Microsoft, les bénéfices l’emportent sur les coûts.

2007, début de l'éradication du Libre : utiliser le secteur public pour mettre au pas le privé. 07TUNIS119

L’ambassadeur s’est félicité de la signature de l’accord entre le gouvernement Tunisien et Microsoft, qui contrain le gouvernement à utiliser des logiciels Microsoft. Ouaili a précisé que le gouvernement travaillait dur à mettre fin a la ‘mauvaise utilisation’ des technologies et que le peuple devait s’habituer à utiliser des logiciels légaux.

A ces fins, il a affirmé que le gouvernement travaillait à la mise en place d’une alliance au sein de l’industrie des logiciels pour faire prendre conscience de cela et qu’il sponsoriserait bientôt un évènement en partenariat avec cette alliance.

En ce moment, un projet de loi est en discussion au parlement qui précise la création d’une coopération entre le secteur privé et le secteur public sur ce modèle. Ouaili a averti cependant que cela avait demandé «beaucoup d’effort pour convaincre le gouvernement Tunisien de signer l’accord avec Microsoft» et a noté que le début des négociations remontent à 1998.

Les rares règles de bonne gestion économique du pays mise à mal pour le plus grand profit de Microsoft, et pour faire barrage à systèmes d’exploitations libres. 07TUNIS1286

Des entreprises ses sont également plainte de la politique d’acquisition ainsi que des lois relatives aux appels d’offre donnent la préférence aux prix les plus bas et non à la qualité, ce qui les excluent de la compétition.

Une commission du premier ministère controle les achats et, plutôt que de chercher à savoir si un produit respecte certaines spécifications ou standard techniques, les appels d’offre sont toujours remportés par ceux qui proposent le prix le plus bas. Les compagnies américaines qui vendent des produits de qualité ne peuvent être compétitives sur le seul critère du prix.

Microsoft a donné l’exemple de l’acquisition de PC où la commission du gouvernement Tunisien n’avait pas spécifié de système d’exploitation dans leur appel d’offre. Cela a résulté en l’achat de PC sous Linux, un système d’exploitation open source, qui n’est pas compatible avec les produits Microsoft.

La représentante de Microsoft a avancé l’argument que cela concourait à encourager le piratage de logiciels et que le résultat était que les PC au sein des administrations utilisaient des logiciels Microsoft piratés. Elle a enchaîné sur le fait que la commission Européenne et la banque Africaine de Développement n’acceptaient ces lois sur les appels d'offre que pour encourager le gouvernement Tunisien à maintenir le principe du meilleur prix dans ses achats publics.

Les effets du contrat Microsoft freinent le développent de l’économie numérique 07TUNIS1286

[Parmi les problèmes posés aux entreprises par l’internet en Tunisie] le fait que les exigence du gouvernement Tunisien en matière de chiffrage imposent de fournir à l’autorité de certification nationale (ANCE) les clés de chiffrement est une raison suffisante pour ne pas faire d’affaires dans le pays pour les entreprises américaine qui fournissent des services où la protection des données personnelles ou fiscales est un élément critique.

Bien que la plupart des entreprises indiquent pouvoir trouver un moyen de contourner cette contrainte, elle affirment néanmoins que cette exigence [consistant à fournir la clé de chiffrement à l’autorité d’Etat] devrait être abolie.

Cet accord portant sur l'autorité de certification Tunisienne, explicitement mentionné dans la section 1.2 du contrat entre Microsoft et l'Etat Tunisien, prévoit d'intégrer ses certificats automatiquement et sans en avertir les utilisateurs (contrairement à des navigateurs comme Firefox) dans internet Explorer et de procéder à leur mise à jour automatiquement, toujours sans en avertir les utilisateur, permettant ainsi par la suite aux agents du ministère de l'intérieur, dûment formés à la sécurité des solutions Microsoft, tel que prévu dans les articles 1.1 et 1.3 du contrat, de s'immiscer dans les profils et les emails des citoyens Tunisiens en réalisant une contrefaçon des certificats de sécurité de Facebook ou de Gmail.

Durant la révolution, le gouvernement ira jusqu'à réaliser des attaques 'man in the middle' pour contrecarrer les plans de la cyber dissidence. A l'époque, Anonymous avait massivement distribué une documentation succinte permettant d'éviter le pire et mis au point un script destiné à contrecarrer le vol d'identité pratiqué par l'Etat Tunisien.

2010 : Ammar404 dans le câble de l’ambassadeur, les USA voient la révolte monter 10TUNIS104

Dans un appel téléphonique en date du 5 février 2010 donné par l’ambassadeur au ministre des Communication et des technologies Mohamed Naceur Ammar, ce dernier a expliqué le rôle central joué par les NTIC dans la stratégie de développement du pays.

Ammar a commencé par la description des activités de son ministère. Le ministère régule et fait la promotion des NTIC en Tunisie. Il gère l’accès à internet à travers l’Agence Tunisienne de l’Internet et surveille son usage à travers l’Agence Nationale de Sécurité Informatique et l’opérateur téléphonique national, Tunisie Télécom.

Avant sa nomination en janvier 2010 comme ministre des communication et des technologies, Ammar a fait une carrière essentiellement académique en tant que directeur de la Haute Ecole de Communication de Tunis, et auparavant comme directeur de l’Ecole des Postes et Télécommunication de Tunis.

Sur internet, sa nomination a été accueillie avec ironie parmi les bloggeurs Tunisiens dissidents : «Ammar» est le surnom, équivalent à «Big Brother», utilisé depuis longtemps par les bloggeurs pour se référer a la censure frénétique dirigée par le ministère des communication et des technologies.

Un mois plus tard, la petite bande de cyberactivistes repérée par l'ambassade américaine, et dont le plus célèbre d'entre eux finira secrétaire d'Etat, organisait la première manifestation contre la censure de l'internet et en faisait la promotion avec le seul service de partage de vidéo non censuré alors, Viméo.

Un clip qui avait permis, à l'époque, d'attirer l'attention de la communauté geek hors des frontières Tunisiennes sur les agissements de la dictature de Zaba.

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