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par Jet Lambda

Veni, Vidi, Delevi Vinci

Un petit tour par le plancher des vaches pour revigorer nos envies mutuelles de tout faire péter. Cela fait trente ans que l'establishment nous bassine les oreilles du besoin inéluctable d'«aménager le territoire» pour mieux déménager les objecteurs de croissance. Les "Grands Projets d'Infrastructure" sont autant de grands projets inutiles qui continuent de servir les intérêts des multinationales et de desservir l'esprit collectif.

Un petit tour par le plancher des vaches pour revigorer nos envies mutuelles de tout faire péter. Cela fait trente ans que l'establishment nous bassine les oreilles du besoin inéluctable d'«aménager le territoire» pour mieux déménager les objecteurs de croissance. Les "Grands Projets d'Infrastructure" sont autant de grands projets inutiles qui continuent de servir les intérêts des multinationales et de desservir l'esprit collectif. Le greenwashing transforme les projets destructeurs en chantiers HQE — "haute qualité environnementale". Les équations économiques sont habillées pour traduire "développement durable" ce qui ne sont que constructions avides en ressources naturelles et en énergie fossiles.

Ainsi se justifie le projet d'«Aéroport du Grand Ouest», blase grandiloquent du présumé nouvel aéroport de Nantes que son ex-maire et premier ministre Jean-Marc Ayrault revendique pour entrer dans le club des grandes métropoles européennes. Il s'agit de déménager celui du sud de l'agglomération vers le bocage verdoyant du nord de la ville, du côté de Notre Dame des Landes.

Vendredi dernier, une troupe de joyeux drilles du Collectif NDDL Ile-de-France ont sorti des armes en carton pâte pour aller narguer le groupe Vinci, leader européen du BTP et des autoroutes, qui sera le premier bénéficiaire de la construction de ce nouvel aéroport, fruit d'un bien banal partenariat public-privé (PPP). C'est en effet devant le siège social de Vinci, à Rueil-Malmaison (92), que s'est inauguré "l'aéroport total", offrant une séance de détente à une belle cargaison de CRS (près d'une dizaine de cars mobilisés pour protéger le blockhaus aux vitres fumées de la vindicte des envahisseurs).

Face à la propagande mystificatrice de l'ordre économique, qui disqualifie ce qui ne contribue pas à la "croissance" du Produit Intérieur Brut, les mots se distillent comme un venin. A la manière des Yes Men, les trublions ont détourné la communication institutionnelle du groupe présidé par Xavier Huillard pour se dégourdir les méninges.

Une porte-parole en tailleur bleu ciel est ainsi venue prononcer un discours d'inauguration aux petits-avions. En voici quelques extraits (l'intégralité ici, enrobé dans une superbe mise en page aux couleurs de Vinci):

Nous ne pouvons pas ici en ce merveilleux jour de l'inauguration de ce magnifique aéroport vous exposer l'ensemble de notre programme mais nous voulons votre bien, sachez-le, gobez-le, mâchez-le, gerbez-le. Voici notre volonté — soit faite sur la terre comme au ciel. _Nous voulons pour votre bien…__ Libérer des territoires où la vie archaïque perdure pour les faire entrer dans le monde du progrès et y bâtir des palais pas laids sur les devantures desquels on aura la joie de lire "Liberté, Esclavité, Vacuité"… Pour votre bien, nous voulons… Préserver la diversité de la vie vent et protéger les espèces (surtout l'oseille) en les sauvant sans (bon) heurt de leur environnement naturel en les empaillant, en les siliconant, en les papier-mâchant en les répertoriant, en les classant, en les numérotant pour leur donner tout l'éclat de vie vent dans les caveaux luisants des google-musées de sciences virtuelles._ […] Un jour les arbres et les légumes seront transformés en avions, en TGV, en autoroutes. Parce que ça, au moins c'est utile. Les animaux relégués au musée et au laboratoire. Là où on pourra les conserver et les utiliser sans qu'ils ne gênent de trop. Et puis les places publiques, si tristes et sales, en centres commerciaux, bien propres et rassurants. Le pétrole coulera à flot, car certains pays seront enfin transformés en puits géants, ce sera le progrès en marche et ils seront bien fers de leur sacrifice. Quelques pertes humaines qui nous feront prendre conscience de toute la valeur profonde des héros et des martyrs. Le mot "exploitation" trouvera son plein sens, enfin retrouvé et reconnu. On aimera son prochain parce que marcher sur la tête de quelqu'un ça rend plus grand. Notre conscience qui  peut  parfois être si  harassante sera redressée par prothèses nanotechnologiques de pointe, toutes en protection et sécurité maximales. Comme ça, plus de doute, plus de remise en question, plus d'écueil des affects, plus d'inquiétude, plus de question, plus d'émotions perturbatrices, et le minimum de rationalité. Rien qu'un espace tiède et sécurisé du moindre stimulus. […]

On détourne bien les long-courriers pour entrer au Panthéon des «terroristes». Ici, nos erroristes ont préféré détourner les courriers que le big boss de Vinci, Xavier Huillard, envoie régulièrement à ses "Chers actionnaires salariés" pour justifier sa soif de béton et de bitume :

Nous accumulons les marchés — et pouvons nous targuer de nombreux projets colossaux, alors même qu’ils ne sont pas nécessaires ! Le développement des PPP (Partenariat Public Privé) restera décidément l’aubaine du siècle — du moins pour des groupes comme nous, ou nos meilleurs ennemis de Bouygues, qui savons nous montrer tout à la fois des prédateurs sans pitié et des « éco-responsables ouverts et dévoués » (si, si !). L’Etat nous prêtant main forte dans la maîtrise du territoire, avec ses forces de l’ordre et ses financements, nous nous voyons dotés d’une légitimité démocratique incontestable. […]

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Certes, ce n’est pas glorieux au sens plein du terme, mais nous pouvons être fiers de ce que nous faisons et j’aimerais que vous puissiez enfin assumer comme moi la tête haute les mots qui nous sont lancés à la figure par nos opposants : exploiteurs, expropriateurs, gestionnaires du désastre. Souvent nous ne mesurons pas toute l’épaisseur de ces mots, nous les envisageons de loin, et comme des caricatures creuses et faciles, alors qu’il est si gratifiant de se délecter de leur sens profond.

Quant aux pouvoirs dits "publics", ils s'en donnent à cœur joie pour détourner l'attention , falsifier le réel pour faire avaler la pilule en usant de méthodes bien plus officielles — "enquêtes d’utilité publique", débats "citoyens", "études d'impact" ou expertises téléguidées… — pour imposer leurs projets dévorants.

Mais une fois que l'on creuse un peu, malgré le silence ou la collaboration médiatique — l'ex-journaliste du Monde Hervé Kempf raconte ici comment son cas s'est réglé sur l'autel de NDDL — le dossier est bourré d'irrégularités de droit, le même "droit" revendiqué par les promoteurs pour disqualifier les paumés du bocage. Ici il est question d'un écart de 911 millions d'euros entre ce que l'«Ayrault-Port» est censé rapporter en avantages financiers, là d'infractions au code des marchés publicsà propos de l'impact écologique du chantier, sans oublier les multiples dérogations aux règlements réclamées par les "porteurs de projet" pour parvenir à leurs fins.

Dernière stupidité, début octobre: l'interdiction de semer sur la ZAD (interdiction à "quiconque de mettre en culture ou de procéder à quelque plantation que ce soit, sans y avoir préalablement autorisé, sur les parcelles situées dans la zone"). Décision annulée en référé peu après, mais cela montre jusqu'où peuvent aller nos "décideurs".

Les lois européennes sont tellement respectueuses de la nature qu'il est prévu de rendre viable un projet d'aménagement pour peu que l'on puisse "déménager" les zones détruites — on ordonne alors la translation de quelques kilomètres d'une mare, d'un bocage, de marécages qui ont mis des millénaires à laisser germer leurs richesses insoupçonnées. On peut donc les déménager ailleurs, en oubliant que les nappes phréatiques resteront où elles sont. Oubliant que les milieux vivants ne s'exportent pas dans des sarcophages de béton pour y prospérer "ailleurs", que l'équilibre naturel ne se gère pas comme des vases communicants.

Ces processus de "compensation écologique" — barbarisme dont seul le libéralisme triomphant est capable — sont aussi démago qu'illusoires. Vinci, en tant que premier concessionnaire d'autoroutes, sait de quoi il s'agit. Le groupe se gargarise d'équilibrer ses bilans comptables et de verdir ses rapports annuels en transférant artificiellement des zones au biotope unique pour ne pas contrecarrer ses tracés de béton.

Si vous voulez en savoir plus sur le "prédateur Vinci", son histoire collaborationniste (celle des fondateurs de la SGE, MM. Loucheur et Giros), ses méthodes de voyous institutionnels, sa philanthropie très intéressée, procurez-vous sans plus attendre le livre de Nicolas de la Casinière (Libertalia, 2013) — qui est par ailleurs le trublion nantais qui a créé et anime l'indispensable feuille satirique La Lettre à Lulu, poil-à-gratter indéfectible du potentat nantais de Jean-Marc Ayrault.

En ce moment à lieu à Nantes une semaine de mobilisation contre le fichage ADN. Comme dans toutes les luttes, les militants qui se montrent un peu trop démonstratifs finissent au tribunal pour outrage ou refus de prélèvement, comme le résume un papier paru hier Rue89. L'un d'eux, Rodolphe B. , militant de longue date contre ce funeste aéroport, passe devant la Cour d'appel de Rennes le mardi 3 décembre à 14h. Auteur d'une lettre ouverte à Taubira tout récemment, en 2009 il avait déjà été jugé pour refus de prélèvement ADN après avoir participé à une action collective contre des forages géotechniques organisés à Notre Dame des Landes. En novembre 2011, il s'en prend, sans violence, à un policier en civil qui tente de s'infiltrer dans une nouvelle manif contre le même chantier Vinci: condamné pour  "outrage et violence sur personne dépositaire de l'autorité publique" (un an avec sursis) et à nouveau pour refus ADN (un mois avec sursis). C'est pour ces deux faits qu'il passe devant la cour d'appel de Rennes. Une manif de soutien s'organise à Nantes le samedi 30 novembre, 15h place Bouffay.

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[A propos du titre, j'espère ne pas avoir trahi la grammaire latine: delevi, parfait du verbe delere (anéantir).]

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