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par Yovan Menkevick

Un homme comme les autres (2/7)

Jardin du musée Saint Pierre: 15 heures Ce fut un soleil printanier, insolite pour la saison en cette région, qui m’accueillit. Les édifices Lyonnais resplendissaient sous les rayons de lumière et prenaient une couleur safran envoûtante; la ville vibrait, magnifique.

Jardin du musée Saint Pierre: 15 heures

Ce fut un soleil printanier, insolite pour la saison en cette région, qui m’accueillit. Les édifices Lyonnais resplendissaient sous les rayons de lumière et prenaient une couleur safran envoûtante; la ville vibrait, magnifique. Je respirai un bon coup et pénétrai dans l’enceinte du jardin, scrutant avec attention les bancs de pierres disséminés le long d’un tracé parfait et d’un esthétisme troublant —alliance de la raison et de l’art —caractéristiques propres au siècle des lumières. Siderm n’avait pas choisi ce lieu par hasard.

Il n’y avait qu’un seul homme assis sur un banc qui donnait à manger à une petite troupe de pigeons. Il extrayait d’un sac en toile apparemment  dédié à cet usage exclusif des miettes de pain qu’il distribuait avec une grande attention. Les pigeons semblaient aux anges.... Je m’approchai et le saluai :

—“ Mr Siderm ?”

Il releva la tête et me dévisagea longuement, sans un mot. Ses yeux étaient très foncés, son regard semblait lointain et pourtant extrêmement perspicace, comme tourné vers l’intérieur. Un regard lourd et décidé, un regard qui me gêna sur l’instant, de par la douleur qu’il exprimait.

Je ne peux pas en dire plus sur l’apparence de Martin Siderm. A la fin de l’interview il me demanda expressément de respecter en totalité son anonymat. Cette volonté faisait partie intégrante de sa pensée et de sa vision du monde. Le problème de l’ego et du rapport à la divinité, entre autres....

—“Oui. Mr Lederman ?”

Je lui tendis la main et il me la serra avec fermeté. Il me fit signe de m’asseoir et nous restâmes silencieux quelques instants. Je sortis mon magnéto et l’enclenchai, pris mon carnet et parcourus d’un oeil rapide la série de questions. N’allai-je pas être ridicule?

— “Mr Siderm, cette interview n’en est peut être pas vraiment une, disons plutôt qu’il s’agit d’un entretien permettant à un penseur inconnu du grand public de s’exprimer sur des questions fondamentales concernant notre société, les problèmes majeurs que l’humanité doit affronter en ce début de vingt et unième siècle. Vous n’êtes pas une référence scientifique, ni un auteur reconnu, puis-je me permettre de vous demander de vous définir un peu ?”

Il eut un sourire en coin.

— “ J’espère que vous n’allez pas garder cette première question dans votre document, Mr Lederman. Elle n’est pas très bien formulée et le sujet n’est ni ce que je suis, ni ce que je fais. Mon véritable nom n’est pas Siderm, c’est tout ce que je peux vous dire. Si mes réponses vous paraissent intéressantes, à vous ou bien à vos lecteurs, quel est l’intérêt de savoir qui je suis ? La notoriété ? L’autosatisfaction de ma petite personne narcissique ? L’argent ? Le pouvoir que je pourrais avoir sur les autres ?”

Je restai silencieux puis m’excusai, maudissant intérieurement ma question et lançai l’interview. En voici l’intégralité.

Interviewer : — “L’après-onze-septembre a déclenché une polémique très vive entre de nombreux intellectuels au sujet d’une possible “guerre de civilisations”. Quel est votre avis à ce sujet ? Sommes-nous devant une crise unique à l’échelle planétaire, un véritable séisme de civilisations entre “Judéo-Chrétienneté” et “Islamité”, une guerre possible entre deux cultures ?”

Siderm : — “Le problème que vous soulevez n’en est pas un au sens propre du terme. La “guerre de civilisations” que vous évoquez est un paravent, l’arbre qui cache la forêt, un rideau de fumée. L’esprit humain possède de nombreuses capacités qui lui permettent d’échapper à des phénomènes immuables mais extrêmement difficiles pour lui à surmonter. Les civilisations, les cultures engendrées par l’être humain sont un moyen formidable de lutte contre ces phénomènes, la crise terrible qui nous secoue tous depuis des millénaires est celle de l’existence. De la relation au divin, à la création du monde et à la réalité.”

I :    — “La réalité?”

S : — “Chaque civilisation organise son mode de fonctionnement sur un socle de croyances. Ces croyances définissent une réalité commune. Sans cela les êtres humains deviennent “fous”, dans le sens de la perte de repères et d’une capacité à délirer, c’est à dire à redéfinir la réalité sur un socle individuel et non plus collectif —une réalité subjective qui ramène chacun uniquement à lui-même —donc à ses propres chimères. La civilisation Occidentale est en train de rentrer dans cette nouvelle définition : un monde régenté, conceptualisé par chaque subjectivité. Un monde où la divinité, bien sûr, n’existe plus, où l’homme ne se réfère plus qu’à lui seul, omnipotent et omniscient —où l’homme prend la place de la Création. Penser être Dieu pour un homme ne peut être supporté que très difficilement. Regardez le Christ et sa difficulté face à cette dualité: “Je suis Dieu” et ensuite “Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné”. De plus il est très difficile pour les autres d’accepter un Dieu vivant, incarné, devant eux. La crainte et la peur face à un Dieu humain est légitime. Mieux vaut d’ailleurs le tuer, cet homme-Dieu, par crainte d’être détruit à son tour par lui, jugé, effacé. Imaginez maintenant une civilisation où le lien avec la Création est brisé mais où chacun se croit un peu Dieu....La possibilité de vouloir détruire l’autre est alors immense et exponentielle. Pourtant, sentir la Création vibrer en nous tous est à mon sens le socle essentiel de toutes les civilisations depuis la nuit des temps —jusqu’à “presque” aujourd’hui.

Le problème majeur est que dans le même temps des abominations, mensonges et inégalités sont encore actifs par le biais des religions. C’est pourquoi nous avons cru bon de mettre en occident la divinité de côté pour lutter contre les aberrations des institutions religieuses. Ce qui fut d’un point de vue concret, c’est à dire sur le plan social et politique, une bonne chose. La question est : comment faire, sans pouvoirs religieux, pouvoirs toujours dominés par l’ego d’une minorité et pour le maintien de l’asservissement des autres, et garder quand même contact avec la réalité de la Création, de la divinité, donc d’une réalité transcendée mais commune à tous?”

I:  — “...”

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