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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Ukraine : à l'Ouest rien de nouveau

Quand Poutine entre en Crimée

L'Ukraine s'est révoltée contre son dirigeant fantoche aux ordres de Poutine. Le voilà parti. Mais le président russe ne l'entend pas de cette oreille et envahit, sans vraiment l'admettre, la Crimée, province de l'Ukraine. L'Ouest (comprenez l'Europe et les Etats-Unis) est très en colère. Le ballet diplomatique, les grandes déclarations outragées se multiplient. Pas question de laisser l'ogre russe manger le petit poussin ukrainien. Non. Pas question.

L'Ukraine s'est révoltée contre son dirigeant fantoche aux ordres de Poutine. Le voilà parti. Mais le président russe ne l'entend pas de cette oreille et envahit, sans vraiment l'admettre, la Crimée, province de l'Ukraine. L'Ouest (comprenez l'Europe et les Etats-Unis) est très en colère. Le ballet diplomatique, les grandes déclarations outragées se multiplient. Pas question de laisser l'ogre russe manger le petit poussin ukrainien. Non. Pas question. Il en va des Droits de l'Homme, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de la souveraineté nationale d'un pays indépendant, tout ça, tout ça. L'Ouest parviendra-t-il à faire plier Vladimir Poutine, son ego et sa testostérone ? Pas sûr.

On semble oublier un peu vite que Vladimir Norris Poutine est un pur produit du KGB. Ce n'est pas anodin. Formé, façonné par la guerre froide, il réagit comme le faisaient les dirigeants soviétiques de l'époque. Deux pas en avant, un pas en arrière, deux nouveaux pas en avant, un nouveau pas en arrière, etc. Vladimir Poutine a par exemple accepté « une mission d’enquête ainsi qu’un groupe de contact, éventuellement sous la direction de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe », comme le rappelle le Canard Enchaîné de cette semaine sous la plume de Claude Angeli.

En outre, Vladimir a tendance à ne pas s’embarrasser de concepts éculés comme le respect des Droits de l'Homme ou le droit international. Spécialité dans laquelle il n'est pas le seul à exceller.

Qui se souvient de la prise d'otage du théâtre de Moscou ? Cent vingt-neuf morts parmi les otages après usage d'un gaz un peu trop puissant. Oups, désolé, erreur de manipulation sans doute... Qui se souvient de la prise d'otages de Beslan ? Trois cent quarante quatre personnes tuées par les forces d'intervention russes, dont 186 enfants. Une paille. Sans doute un souci avec les crans de sûreté des armes. L'homme qui voulait « buter les terroristes jusque dans les chiottes » agit avec la même retenue vis-à-vis de la communauté internationale.

Cependant, il ne faudrait tout même pas imaginer qu'un ancien du KGB de la belle époque agisse sans réfléchir. Les Russes sont des joueurs d'échecs redoutables et leurs coups sont prévus bien en amont de ce que l'on croit voir se dessiner lentement sur l'échiquier.

Guerre froide, le retour ?

Les plus vieux d'entre-vous se souviennent probablement de cet affrontement étrange qui a présidé entre les Etats-Unis et l'URSS (L'Ouest et l'Est) entre 1947 à 1989. A base de propagande massive, de coups de Jarnac, de maskirovkas, de course aux armements, d'affrontements délocalisés, par pays interposés, les USA et l'URSS se tapaient cordialement dessus.

L'URSS tentant d'étendre à l'Europe et aux pays en développement leur vision du monde, tandis que les Etats-Unis essayaient de "contenir" cet expansionnisme en soutenant des dictatures d'extrême droite (souvent) et en inondant d'autres gouvernements de dollars.

Les plus vieux d'entre-vous se souviendront peut-être de l'entrée des chars russes à Budapest en 1956. Que fit la communauté internationale ? Elle protesta: c'est mal.

Que fit l'URSS ? Rien.

Un petit air de déjà-vu en Ukraine ?

Assiste-t-on à un retour de de la guerre froide ? Pas sûr. La Russie n'est plus l'URSS. Son économie, par exemple, dépend bien plus fortement du reste du monde et elle ne peut se permettre un gel des échanges. Pour autant, si la bourse de Moscou s'est écroulée dans les premiers jours de tension internationale déclenchée par la crise ukrainienne, le cours du pétrole s'est envolé. On perd sur un terrain, on gagne sur l'autre...

La flotte de la Mer Noire est stationnée en Crimée. Vladimir Poutine ne peut ou ne veut pas perdre l'accès russe à cette mer. L'Ukraine est par ailleurs un point de passage important du gaz et du pétrole russe vers l'Europe de l'Ouest, son principal client, qui permet à Gazprom (pour ne citer que lui) de survivre. Toutes sortes de raisons qui poussent Vladimir Poutine à se montrer intransigeant.

Drôles de discours, encore et toujours...

Bien entendu, cette volonté ébranle notre conception des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, notre vision de la souveraineté d'un pays. Ceci dit, il est difficile de défendre ces conceptions avec des casseroles sonores accrochées à ses basques.

Les Etats-Unis qui ont fomenté depuis le début de la guerre froides des coups d'Etat un peu partout dans leur "arrière-cour" latino-américaine, sont mal placés pour condamner les actes de la Russie. Plus près de nous dans le temps, les deux guerres "préventives" en Afghanistan et en Irak, les tirs de missiles depuis des drones dont le nombre s'envole en flèche sous le règne d'Obama, sont également complexes à expliquer. Là encore le pétrole, l'influence, sont au coeur de ces guerres. Pour ce qui est de la défense des Droits de l'Homme, l'Ouest dans son ensemble peut difficilement avancer ses réussites récentes dans la légalisation de la torture, l'enfermement sans perspective de procès et sans inculpation, l'enlèvement et la déportation de "suspects" vers des pays qui les ont torturés, pour s'opposer à la vision dictatoriale de Vladimir Poutine sur ce sujet.

En France, l'action de Nicolas Sarkozy en Libye vient également contredire les discours outragés d'aujourd'hui.

Aucun de ces pays envahis n'avait demandé l'aide des Etats-Unis ou de la France.

En ce qui concerne les sanctions économiques, on trouve aussi une forme de duplicité qui laisse rêveur. Du jour au lendemain, les dirigeants occidentaux découvrent que certains dictateurs, avec la cohorte d'oligarques qui les maintient au pouvoir, sont des méchants à qui il faut confisquer leurs biens mal acquis. Ou les empêcher de voyager.

Mais ça, c'est très ponctuel et il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Et cela n'impose pas de s'occuper de tous les autres cas pourtant bien connus. Tant que les dictateurs et leurs oligarques sont gentils avec nous et avec nos entreprises, pas de problème. Et si en plus la population ne se soulève pas... Tout va bien.

On notera d'ailleurs que les contrats d'armement avec la Russie ne sont étrangement pas gelés en France. #IFPP (Il faut pas pousser).

Et puis, comme le dit dans son titre et son sous-titre Claude Angeli dans le Canard Enchaîné, "Personne n’a envie de mourir pour Kiev". "Les médias commencent à l’avouer, tandis que politiques et diplomates n’osent pas le reconnaître. Poutine, lui, le sait depuis longtemps".

Désespérant, non ?

Signe des temps, toutefois, cette fois la France n'a pas proposé à Poutine de lui envoyer ses forces anti-émeutes pour mater les émeutiers de la place Maïdan...

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