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par shaman

Tunisie : Moncef Marzouki On Air

Aujourd'hui penchons nous sur la scène Tunisienne. Pays leader du printemps arabe, leur révolution vient à peine de célébrer sa première année de vie. Le nouveau gouvernement, élu par le peuple, celui-là, n'est en place que depuis à peine un mois, et une tache immense s'élève devant lui. Les défis sont nombreux et les attentes immenses.

Aujourd'hui penchons nous sur la scène Tunisienne.

Pays leader du printemps arabe, leur révolution vient à peine de célébrer sa première année de vie.

Le nouveau gouvernement, élu par le peuple, celui-là, n'est en place que depuis à peine un mois, et une tache immense s'élève devant lui. Les défis sont nombreux et les attentes immenses.

Il y a quelques jours, Moncef Markouzi, le nouveaux président de la république a donné son premier interview sur une chaîne internationale anglophone : il a choisi Al-Jazeera English et l'émission Empire de Marwan Bishara. Un tandem de choix.

Quelques mots sur Moncef Marzouki.

Avant d'être président, il fut opposant de longue date de Ben Ali. Il se présenta une fois contre lui ce qui lui valut plusieurs mois d'isolement,  dont il sortit après un intervention personnelle de Nelson Mandela. Entre 1996 et 2000 il fut le président de la commission arabe des droits de l'homme. Homme de gauche, il avait annoncé dés 2003 un rapprochement avec les islamistes de Ennadha,  parti qu'il qualifie de  « conservateur avec une connotation religieuse ».

Mais place à l'interview...

Et pour les aficionados de la langue de Shakespeare, l'émission c'est ici.

 

Monsieur le président, bienvenue dans Empire.** J'ai entendu que c'était ici que le président Ben Ali avait fait son dernier discours, et maintenant vous voilà, président de la nouvelle Tunisie. Il s'agit d'un changement symbolique majeur pour le pays. Qu'est ce que cela signifie pour vous ?**

Je suis moi même très surpris, je ne me serais jamais attendu à me trouver ici. J'ai été un opposant vous savez, un activiste pour les droits humains pendant plus de 20 ans. Je ne m'attendais pas à voir la Tunisie libre et indépendante et j'en suis si fier, et si heureux. Soulagé aussi. Mais je sens que les possibilités sont énormes. Il y a tant de problèmes à aborder. J'espère que je vais faire mieux que Ben Ali.

(Rire ) Je suis sur que vous ferez mieux.Avant que nous abordions les questions autour de la façon de gérer les attentes, laissez-moi vous demander : je vous ai entendu, ainsi que le chef du parlement et celui du gouvernement parler aux célébrations du premier anniversaire de la révolution. Vous sembliez être un orchestre politique, comme si vous lisiez une même page. Êtes vous aussi aussi unis que l'impression que vous en donniez ce jour-là ?Oui, Oui. Et je vais vous expliquer pourquoi. C'est parce que je connais Monsieur Hamadi Jebali (premier ministre) depuis plus de trente ans ... le docteur Ben Jaffa (président du Parlement) aussi depuis 20 ans. Nous avons travaillé ensemble à la ligue des droits de l'homme, nous avons été harcelé par le même régime, nous avons eu beaucoup de temps pour parler de la Tunisie lorsque nous étions en exil. J'ai parlé beaucoup avec Rachid Al-Ghannouchi (chef d'Ennadha, parti islamiste ayant remporté les élections) parce que vous savez, Ghannouchi est de tendance islamiste, et je suis de tendance séculariste ... Ce ne fut pas facile de discuter, d'avoir des idées communes mais nous l'avons fait et nous en sommes fier.

Alors parlons de cela. Vous étiez là, les trois arabes invisibles ... Vous étiez invisibles pour le monde extérieur, invisibles dans les médias internationaux, et soudainement vous devenez visibles. Les projecteurs se braquent sur vous, alors je vous demande : Comment conciliez-vous vos différences idéologiques ?

En les oubliant. En les oubliant, car nous comprenons que le challenge en Tunisie aujourd'hui est économique et non idéologique. Nous avons décidé de mettre de côté nos différences et de prendre à bras le corps les réels problèmes. Nous en sommes venus à travailler dans cette direction car vous savez, j'ai été président de la ligue tunisienne des droits de l'homme et dans cette institution nous étions islamistes, libéraux, gauchistes et nationalistes, venant de beaucoup de partis politiques différents mais nous nous occupions des mêmes problèmes : répression, torture et violations des droits de l'homme. Nous avons appris à oublier nos différences et à nous occuper des vrais problèmes.

Je ne vais pas vous demander si dans la nouvelle Tunisie il y aura des violations des droits de l'homme ou de la torture.

Non, non .

Vous en avez été une victime pendant tant d'années, …

 

 

Laissez moi vous demander ceci : Vous avez besoin de ré-écrire une nouvelle constitution pour la nouvelle Tunisie. Une des questions majeures qui est à l'esprit de tout le monde, y comprit de Tunisiens à qui j'ai parlé ici, dans la capitale, est l'inquiétude d'une polarisation entre un état civique démocratique et séculariste et un état de type loi islamique basé sur la Charia. Comment allez vous réconcilier cela dans une nouvelle constitution consensuelle ?

Je pense que ce n'est pas un réel problème parce que, premièrement Enhadda n'a jamais demandé la Charia, Ghannouchi n'en a jamais parlé ni d'aucunes violations des droits à la liberté d'expression, de rassemblement, … donc en fait il n'y a aucun danger. Notre islamisme ici, en Tunisie, est très moderne, très séculariste. Nous n'avons pas de Talibans ici, nous n'avons même pas de salafistes comme en Égypte.

Il n'y a pas de salafistes ?

Si, nous avons des salafistes mais ils ne sont pas aussi importants qu'en Égypte, ils ne jouent aucun rôle politique car ils ne sont pas élus par les concitoyens. Et de l'autre coté nous avons deux présidents séculariste : le président de l'assemblée, et le président de la république. Les deux sont extrêmement prudents à propos de la protection et de la promotion des droits de la femme, des droits humains. Il n'y a pas de danger et de plus vous avez des protecteurs. Ce n'est pas un problème en Tunisie.

Donc vous êtes sur que vous allez arriver, dans un futur proche, à une sorte de formulation entre vous sur cette question ?

Oui. La ré-écriture de la constitution va être extrêmement facile parce qu'en fait, tout le monde est d'accord : nous n'allons pas avoir un Etat religieux, nous allons avoir un Etat séculariste, tout le monde pense que nous devons améliorer les droits de l'homme, tout le monde pense que nous devons améliorer la démocratie dans ce pays, pas seulement la copier mais aussi l'améliorer [...] Les seuls problèmes potentiels seraient : comment gérer les questions économiques et sociales. Sur ces questions, il y a des différences entre les islamistes et moi-même.

Nous allons y venir mais juste une dernière question sur cette idée d’identité culturelle du pays. Cela me semble comme un scénario de rêve, pour la Tunisie et le monde arabe. Pensez vous que tout les succès de la Tunisie sur ce front pourraient être inspirateur pour le reste du monde arabe ?

Et bien, nous sommes une nation modeste, nous n'allons pas commencer à dire "Regardez, nous somme l'Exemple, copiez nous". Ce que nous aimerions faire c'est réussir notre propre expérience mais si les peuples arabes sont intéressés par l'expérience, alors pourquoi pas ? Je pense que la seule question sur laquelle nous pouvons vraiment être un exemple est le fait que, en Tunisie, les sécularistes modérés et les islamistes modérés ont décidé de travailler ensemble, d'oublier leurs différences et de prendre à bras le corps les problèmes socio-économiques. Je pense que c'est la « Succes Story » de la situation politique en Tunisie et j'espère que nos frères en Égypte, demain en Syrie ou au Yémen vont bénéficier des cette expérience.

 

 

Monsieur le président. Je me suis promené dans les rues de Tunis. Il y a des jeunes partout. C'est une nation très jeune. Les attentes sont immenses, l'impatience grandit ... Comment allez vous être capable de gérer ces problèmes économiques très immédiats ?

Oui, c'est le défi principal, et je sens moi même que notre révolution est en danger car si nous ne parvenons pas à résoudre ces problèmes nous pourrions avoir une révolution à l'intérieur de la révolution. Cela sera probablement la tâche la plus difficile car je ne peux imaginer, venant moi même des ces quartiers pauvres, réprimer des gens ne réclament que leurs droits. Donc vraiment, c'est une situation très frustrante mais nous ne pouvons pas résoudre entièrement le problème en un mois. Nous avons un héritage très lourd, vous savez. Ce pays a été dirigé par une dictature corrompue depuis plus de trente ans. Les gens attendent que nous fassions des miracles, mais nous ne somme pas des dieux, nous ne pouvons faire des miracles. Mais je peut vous dire que nous travaillons dur pour remettre la Tunisie sur les rails et nous espérons que les tunisiens vont être assez sages pour comprendre que nous ne pouvons faire des miracles.

Vous avez ce programme en place auquel tout le monde adhère ...

Oui, oui mais vous savez nous avons besoin de temps. C'est ce que je répète constamment aux Tunisiens que je rencontre. Vous avez attendu pendant si longtemps donc s'il vous plaît donnez nous au moins une année.

Monsieur le président. Une des choses que vous avez mentionnés dans votre discours, et j'ai pu noter à votre langage corporel que cela signifiait quelque chose pour vous, c'est toute la questions autour de la réconciliation entres les citoyens et les forces de sécurité. Il semble que ce soit un problème récurrent dans le pays. Comment allez vous réconcilier les injustices associées à l'appareil de sécurité dans ce pays et les citoyens qui veulent un tirer un trait sur le passé.

La première victime de la dictature a été le système de sécurité lui-même car ce système a été si corrompu, si haï par la population que maintenant il est très difficile pour lui de se reconstruire lui-même. Mais nous devons aborder cette question aussi car aucun pays ne peut vivre sans système de sécurité. Bien sûr, certains criminels à l'intérieur de ce système doivent être enlevés et mis en procès, mais dans le même temps, nous devons exprimer à la population que nous avons besoin d'un système de sécurité et nous devons expliquer au système lui-même qu'il doit faire des excuses et changer sa mentalité, vous savez, sa façon de se comporter, car dorénavant nous sommes en démocratie, plus sous une dictature. Cela va prendre du temps mais je suis confiant que nous allons réussir à réconcilier ces différentes parties de la société.

Il y a des rapports comme quoi vous faites face à des difficultés en provenance de l'intérieur de cet appareil de sécurité pour obtenir les changements que vous désirez.

Oui bien sûr, certaines personnes y sont extrêmement énervées d'avoir été liées à des discours, à de la corruption. Bien sûr certains ont peur d'être jugés mais nous devons prouver que ce gouvernement va réformer le système dans son entier. Et dans le même temps nous devons montrer que nous ne sommes pas intéressés à la revanche, que nous voulons aussi la réconciliation.

 

 

Monsieur le président. Votre pays a vécu des transformations radicales, principalement grâce à des moyens pacifiques. Quand vous regardez autour : en Libye, au Yémen, les rassemblements en Syrie, la situation est très compliquée là-bas. Que conseillez vous ?

Nous avons été extrêmement chanceux en Tunisie car la révolution n'as pas été très coûteuse, même s'il est difficile de dire cela alors que nous avons perdu plus de 300 personnes et que plus de 2000 jeunes hommes ont été blessés. C'est un bilan lourd mais comparé à ce qu'il est arrivé en Libye ou au Yémen, nous pouvons dire merci à Dieu, ce n'est pas un prix très lourd. Je voulais vraiment que la révolution arabe soit aussi pacifique que possible, aussi démocratique que possible sans ... ce qu'il arrive maintenant en Syrie par exemple, ces problèmes de chiites, sunnites, druzes, ... cela est extrêmement dangereux pour la Syrie. Ce que j'espère d'abord, c'est que la dictature soit détruite car cette dictature a détruit la Syrie. Les Syriens méritent la démocratie et j’espère qu'ils vont l'obtenir.

Donc officiellement, c'est la réponse qu'obtiendrait le président Syrien lui même ?

Oui, bien sûr, nous soutenons entièrement la révolution syrienne, mais comme je vous l'ai dit j'aimerais qu'elle soit aussi pacifique et démocratique que possible. Je sais que la situation est extrêmement dangereuse et extrêmement difficile en Syrie.

Et vous soutenez l'intervention du monde arabe en Syrie ?

Oui, bien sûr.

Et vous soutenez l'extension des missions d'observation de la ligue arabe en Syrie.

Oui, pourquoi pas. Mais nous ne soutiendrons jamais aucune intervention étrangère en Syrie comme c'est arrivé en Libye. Nous pensons que cela serait dangereux d'abord pour les Syriens eux-mêmes mais aussi pour toute la région.

Donc vous pensez que la transition en Syrie est la prochaine étape importante ?

Oui. Probablement quelque chose comme ce qu'il s'est passé au Yémen vous savez ? Le président, là-bas, quitte actuellement le Yémen. Pourquoi pas la même issue qu'au Yémen ? Cela serait la meilleure solution pour tout le monde.

J'ai noté que vous avez invité à votre célébration, mis à part l'émir du Qatar, les cinq pays du Maghreb. Quelle est votre vision pour la ré-invention des relations des pays du Maghreb ?

La Tunisie n'a pas de futur à l'intérieur de la Tunisie. Nous devons nous ouvrir à la région toute entière, au Maghreb. Je pense que probablement cette année va être l'année de la construction du Maghreb.

Comme un marché commun ou comme une union commune ou une union du Maghreb ?

Oui, oui. Le modèle est l'Union Européenne. Je pense que c'est un très bon modèle que nous pouvons copier, car c'est un modèle qui a réussi.

Cette vision que vous avez pour le Maghreb. Fait-elle partie de la vision que vous avez pour le monde arabe ?

Oui. Je ne peux imaginer la Tunisie améliorant sa situation économique sans la participation de la Libye et de l’Algérie. Nous avons besoin de nos deux voisins.

Vous êtes un pays d'Afrique du Nord, vous êtes un pays d'Afrique, vous êtes un pays méditerranéen, vous avez de bonnes relations avec l'Europe, vous êtes un pays arabe, vous êtes le pays leader dans la révolution arabe ... Comment réconciliez-vous cela ?

La Tunisie est africaine, méditerranéenne et arabe. Nous devons réconcilier ces trois positions. Pour les tunisiens c'est une chance.

Quelles sont vos attentes envers l'Ouest : l'Europe et les États-Unis ?

Nous devons améliorer nos relations avec ces pays. Je pense que nous allons le faire car pour la première fois les occidentaux vont avoir affaire à des démocrates non corrompus. Cela sera probablement plus facile pour eux, et plus facile pour nous. Je m'attend à améliorer nos relations avec l'Ouest, avec le continent africain et avec le monde arabe.

Et vous voulez cimenter cela dans de nouvelles formes de relations comparé à celles qu'entretenait l'ancien président ?

Oui bien sûr. Vous savez, l'ancien président était une sorte de client, ce n'était pas un partenaire. Nous voulons êtres des partenaires, travailler avec les autres nations comme des partenaires et non comme des clients. C'est la différence principale.

Comme des partenaires et non comme des clients. Magnifique.** Merci monsieur le président.**

 

 

 

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