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par shaman

Tunisie : Cheikh Ghannouchi on Air

Retour sur la scène tunisienne avec cette deuxième interview, issu de l'émission "Empire" de Marwan Bishara. Lors de notre précédent interview, nous avions relayé la parole de Moncef Marzouki, le nouveau président Tunisien. Cela se passait ici : Tunisie : Moncef Marzouki On Air Donnons maintenant la parole à Cheikh Ghannouchi, chef du parti Ennahda. Ennahda est le grand vainqueur des élections du 23 octobre dernier.

Retour sur la scène tunisienne avec cette deuxième interview, issu de l'émission "Empire" de Marwan Bishara.

Lors de notre précédent interview, nous avions relayé la parole de Moncef Marzouki, le nouveau président Tunisien.

Cela se passait ici :

Tunisie : Moncef Marzouki On Air

Donnons maintenant la parole à Cheikh Ghannouchi, chef du parti Ennahda.

Ennahda est le grand vainqueur des élections du 23 octobre dernier. Cette formation islamiste s'est placée au coeur de la politique tunisienne en remportant 41,7% des sièges de la nouvelle assemblée constituante et a obtenu le poste de premier ministre : Hamadi Jebali, numéro 2 du parti, dirige actuellement le gouvernement tunisien.

Rached Ghannouchi, en exil à Londres depuis plus de vingt ans, critiqué mais toujours resté à la tête de Ennahda, a pu rentrer dans son pays, suite à la chute de Ben Ali. Mais à peine rentré, qu'il semble déjà voir plus loin. Suite aux succès de son parti aux élections constituantes tunisienne, il déclare :

 

Je me trouve beaucoup mieux dans l'univers de la pensée que dans celui de la politique. Ce qui m'intéresse, c'est de voir la Tunisie développer une démocratie qui marie l'islam et la modernité. Je serai très heureux quand je verrai cela. Je suis vice-président de l'organisation mondiale des savants musulmans, et s'il ne me reste plus à rien à faire en Tunisie, le monde musulman est vaste…

 

Alors ... on l'écoute ?

 

Que signifie démocratie pour vous ?

La démocratie, c'est quand le peuple dirige lui-même, à travers une autorité qui le représente. Le peuple doit être capable de constamment surveiller cette autorité et de la remplacer quand il le désire. La démocratie, c'est quand les gens peuvent profiter de leurs libertés individuelles quelle que soit leur couleur, leur santé, leur religion ou leur façon de penser. C'est quand l'Etat est construit sur la citoyenneté élémentaire, ce qui signifie qu'il ne soit pas être construit sur une famille particulière, une personne, un parti. Il appartient à tous ses citoyens.

Qu'elle est la différence entre la démocratie dans un Etat islamiste et la démocratie dans n'importe quel autre pays du monde ?

Il n'y a pas de démocratie dans les pays arabes et islamistes, exceptées quelques rares exceptions comme en Turquie ou en Malaisie. La plupart des pays arabes ou islamistes sont dirigés par des militaires ou des régimes familiaux. Le monde arabe est probablement dans la pire des situations. Le monde islamique est un peu mieux, grâce à des pays comme la Malaisie et l’Indonésie. Même le Pakistan ne pratique pas le même type d'oppression que celle qui existe dans le monde arabe. Je pense que c'est parce que le monde arabe est le point le plus sensible de la politique internationale ... à cause de sa place significative dans la géopolitique internationale, à cause de ses ressources naturelles et à cause de l'existence d'Israël. La pression sur le monde arabe est la plus grande. Certains orientalistes attribuent le manque de démocratie dans le monde arabe à la présence de la religion et de la foi. Mais il s'avère que les peuples arabes ne sont pas moins attachés à leur libertés que les autres. Le monde s’apprête maintenant à parler arabe.

Vous avez mentionné la Turquie et la Malaisie. Les gens à l’extérieur du monde arabe et islamique regardent aussi, et voient d'autres exemples comme le Soudan, l'Iran ... D'autres endroits où les islamistes ont pris le pouvoir. Où voyez vous, philosophiquement parlant, la Tunisie dans l’éventail des mouvements islamistes aujourd'hui ?

La Tunisie pourrait avoir une expérience démocratique unique, car les tunisiens sont le peuple le plus uni parmi les peuples de la région et parmi le monde islamique. Nous n'avons pas de problèmes sectaires ou religieux en Tunisie. Nous n'avons pas beaucoup de sectes. La démocratie nécessite un contexte culturel commun. C'est ce qui a rendu la révolution plus facile en Tunisie et cela a renversé le régime. Ce n'est donc pas une coïncidence si le début du printemps arabe a eu lieu ici, en Tunisie.

Vous allez avoir une coalition avec des partis sécularistes. Pour vous qu'est ce que le sécularisme dans un pays islamiste ?

Dans l'Ouest, le sécularisme a joué un rôle très important dans la libération des nations et des Etats, dans la libération de la connaissance et des esprits. Ici, nous avons besoin de libérer la religion de l'Etat car notre Etat a utilisé la religion pour diriger les gens et obtenir une légitimité qu'il ne possédait pas. Tous les imams sont nommés par l’Etat et l’Etat a un contrôle total sur la religion. C'est pourquoi une des missions du mouvement islamiste est de libérer la religion de la domination de l'Etat. Le sécularisme n'est pas si important dans le monde arabe car nous n'avons pas d'institutions religieuses dominantes.

Pour notre compréhension, celle du monde musulman et ailleurs, celle du monde en général: comment conciliez vous l'idée de la charia comme base ou comme une des bases de la législation dans un pays islamique ?

Il n'y a pas de contradictions entre la loi islamique et la démocratie. Il nous faut comprendre que la loi islamique n'est pas représentée par des institutions spécifiques qui parlent exclusivement au nom de la religion. La religion est comme la société. Elle interagit avec ses chercheurs et ses intellectuels pour appliquer sa règle dans de nombreux domaines : l'économie, l'éducation, politique et autres. Il n'y a pas d'institution politique qui puisse exclusivement répondre à ces questions, mais la société entière cristallise l'image de la religion à travers ses interactions. C'est pourquoi la religion peut avoir une image spécifique en Iran et une différente en Arabie Saoudite, et encore une image différente en Tunisie.

 

Quelle serait votre ligne d'introduction, dans la constitution, lorsque cela dira : "La charia est …"? Continuez la citation pour moi …?

La charia est Justice.

Et son rôle dans l’État est ... est quoi ?

La charia joue le rôle de la source des valeurs. Ce n'est pas un ensemble de règles précises mais elle joue le rôle de direction vers la fraternité, la justice, la liberté, l’égalité et humanité .

Donc pensez-vous encore que, pour parler de manière générique, "L’islam est la solution pour Tunis."? Où dites vous « Un état civil avec des valeurs civique est le futur de Tunis» ?

Ces affirmations ne sont pas contradictoires. Le système islamique est un système civique. Il n'est pas dirigé par une église. Il suit des lignes directrices imprimées par l'Humain.

 

 

Il y a eu beaucoup d’inquiétudes à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie sur le futur statut des femmes en Tunisie. Comment vous positionnez-vous sur cette question ?

En Tunisie, la femme tunisienne est fière des droits qu'elle a réussi à obtenir. La Loi familiale en Tunisie a été créée durant l'indépendance mais elle venait de bien avant. Compte tenu de tout ceci, le mouvement islamique a affirmé qu'il n'avait pas de problème à accepter une telle législation considérant que c'était un gain, et que nous devions le préserver. Beaucoup de nos électeurs ont été des femmes, qui étaient convaincues que leurs droits allaient être préservés et honorés. Nous n'avons pas fait cela pour gagner le vote populaire, mais pour répondre à la cause des femmes pour laquelle notre politique doit être la même que pour la religion. C'est pourquoi nous avons adoptés cette loi.

Donc la femme musulmane en Tunisie et en dehors de la Tunisie à le droit d’interpréter son islam, son individualité comme elle le désire, dans l'état Tunisien ?

Oui, ... oui. Il n'y a pas de tutelle sur les femmes ni sur les hommes venant de n'importe qui. La religion est d'abord et avant tout une histoire de croyances personnelles. Tout comportement religieux qui n'est pas basé sur des croyances personnelles est considéré comme insignifiant et hypocrite. L'hypocrisie est une des pire menaces et une interdiction en islam. C'est pour cela que nous avons continuellement affirmé que l’état n'a pas le droit de s’immiscer dans ce que les personnes mangent, boivent, portent ou croient. Ceci est l'affaire des gens.

Cheikh Ghannouchi, je suis sûr que vous avez déjà entendu cela de nombreuses fois … Il y a d'abord les critiques portant sur le fait que tout ceci est temporaire et que, une fois que vous tiendrez solidement le pouvoir, toutes ces paroles vont être mises de coté ... Et deuxièmement, que ce discours serait celui de Cheikh Ghannouchi mais pas nécessairement celui du mouvement dans son ensemble

Ces affirmations sont, ce que je considère comme les dernières tentatives de nous atteindre après que nous ayons prouvé notre succès, après que nous ayons lancé notre programme auquel personne ne peut s'opposer. Dans d'autres attaques, nous étions accusés d'avoir un double standard dans notre approche, d'être inconsistants dans ce que nous disions aux gens. Par exemple, que ce que nous disions à Al Jazeera English était différent de ce que nous disions à Al Jazeera Arabic. Toutes ces attaques sont sans fondements.

Quelles sont les assurances que tout ceci est incorrect ?

Ceci est faux, car nous vivons dans un village connecté. L'information circule très vite, et ce qui est dit dans un langage est très vite traduit dans beaucoup de langages différents. Dans notre ère les médias sociaux, par exemple Facebook, surveillent  les médias. Imaginons que nous disions un mensonge aux femmes, que nous leur disions que nous allons préserver leurs droits tels qu'ils sont actuellement pour gagner leurs votes, et que, un an plus tard il y ait de nouvelles élections ... qui va nous croire alors ? Les gens ont vécu une révolution et ils n'ont plus peur à présent.

Alors pour vous, l'islamisme équivaut à la social-démocratie ? Ou quelle que chose comme cela ?

Vous pouvez affirmer cela.

Comment expliquez vous que les révolutions n'aient eu lieu que dans le monde arabe ?

Parce que le monde arabe est la seule région qui ai été laissée en arrière, en termes de changements et de démocratie. Pour cette raison, ce qui arrive habituellement quand tous les remèdes échouent à guérir la maladie, après les traitements chirurgicaux successifs ... les gens en ont assez d'essayer de changer ces régimes, de les changer pacifiquement. De nombreuses tentatives ont échoués, et les gens se sont retrouvés sans autres alternatives que de se révolter, de se réveiller de leurs cauchemars.

D'après vous, ces révolutions, ces nouvelles démocraties dans le monde arabe, vont-elles être plus unies grâce à leurs soutiens populaires ? Ou moins unies ?

Ces révolutions vont peut-être conduire à l'unification du monde arabe, un objectif que le précédant régime a échoué à atteindre. Le processus d'unification doit commencer de bas en haut par opposition aux processus de haut en bas, où les leaders ne se préoccupent que des leurs couronnes et de leurs trônes. Les peuples ont maintenant regagné le pouvoir et c'est pour cela que, par défaut, ils sont unis. Les peuples de Libye ne ressentent pas de différences significatives entre eux et le peuple tunisien. Même chose pour le peuple égyptien. Ceci va conduire à l'unification du monde arabe dans une courte période de temps.

 

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