Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Fabrice Epelboin

Techdays de Microsoft : petites cyberguerrilla entre amis

Les Techdays sont l'un des grands événements qui marquent la vie corporate du géant de Redmond à travers la planète. Un peu partout sur terre, Microsoft organise ces rencontres, axées sur le développement informatique, et dont le but est d'installer la marque dans les consciences, bonnes ou mauvaises. Annus horribilis Mais en Tunisie, les choses ne sont pas si simples, et l'année a été particulièrement éprouvante pour Microsoft.

Les Techdays sont l'un des grands événements qui marquent la vie corporate du géant de Redmond à travers la planète. Un peu partout sur terre, Microsoft organise ces rencontres, axées sur le développement informatique, et dont le but est d'installer la marque dans les consciences, bonnes ou mauvaises.

Annus horribilis

Mais en Tunisie, les choses ne sont pas si simples, et l'année a été particulièrement éprouvante pour Microsoft. 2011 a très mal démarré pour la firme de Redmond quand la fuite du contrat qui la liait au gouvernement tunisien a révélé que Microsoft avait formé la cyberpolice du ministère de l'Intérieur dès 2007 (paragraphes 1.1 et 1.3 du contrat), date à laquelle les abus et la terreur ont redoublé dans le web tunisien, et en particulier sur Facebook.

Une information venue d'un groupe de hackers publiée sur HackerNews viendra ajouter à cela la complicité entre le régime de Ben Ali et Microsoft concernant l'autorité de certification tunisienne. Cette dernière a été une pièce maîtresse dans le piratage de comptes Facebook, Gmail ou Live.com de nombreux tunisiens, et ses certificats de sécurité vérolés étaient discrètement installés et mis à jour sur tous les ordinateurs tunisiens tournant sous Windows (paragraphe 1.2 du contrat)... Pratique pour monter (et signer avec un faux certificat) de faux Facebook ou de faux Gmail destinés à dérober les mots de passe de la population.

Ajoutez à cela un acharnement particulier de Microsoft, qui a lutté sans merci pour exterminer les communautés Open Source en Tunisie, fait modifier la loi de finance afin que les appels d'offres du gouvernement imposent des solutions Microsoft et provisionnent d'office d'importantes sommes à verser à la firme de Redmond, et versé une généreuse donation à une œuvre caritative de Leila Ben Ali...

Cerise sur un gâteau décidément bien indigeste, Microsoft est l'une des rares entreprises du secteur IT à soutenir le traité ACTA (leak), et même si celui-ci ne concerne pas la Tunisie - qui ne l'a pas ratifié -, il reste la bête noire de tous ceux qui prônent la liberté sur internet. Peu de chance de voir débarquer ACTA en Tunisie ceci dit, les conséquences sur l'emploi seraient cataclysmiques - certains universitaires estimant à 60.000 le nombre d'emplois liés au piratage, énorme dans un pays qui compte à peine plus de 10 millions d'habitants.

Bref, l'année 2011 a été rude en révélations pour Microsoft en Tunisie, au point d'éclipser sa directrice générale, promue dans un placard, au moment même où Wikileaks remettait le couvert, faute d'être en mesure de mettre à nouveau le nez dehors. Mais cela n'aura pas suffit à faire lâcher l'emprise qu'a Microsoft sur le gouvernement tunisien, quand bien même celui-ci serait passé à la démocratie.

Business as usual

Il faut dire que même si le cas de la Tunisie représente à ce jour ce que Microsoft a fait de plus extrême en matière de collaboration avec une dictature, la firme de Redmond est habituée à ce genre de trafic d'influence. Partout sur terre, on retrouve des traces de ce genre de pratiques, révélées par Wikileaks, qui regorge d'informations sur les us et coutumes commerciales de Microsoft. Ces nombreux câbles sont d'autant plus instructifs qu'ils montrent qu'en temps normal, les autorités américaines voient les pratiques de Microsoft comme une simple stratégie commerciale agressive, et que la plupart du temps, les ambassadeurs américains n'y trouvent rien à redire.

La seule fois où l'on trouve, dans les câbles diplomatiques américains, la trace d'une critique négative vis-à-vis de Microsoft, est précisément sur ce qu'il s'est passé en Tunisie.

Hack the Techdays

Rien d'étonnant, dès lors, que les techdays de Microsoft aient donné lieu à une riposte de la communauté du Libre tunisienne. Cette riposte a pris la forme d'un site satirique, reprenant le design et l'ergonomie du site TechDaysTunisia.com, et dénonçant quelques unes des pratiques de Microsoft au pays du jasmin.

Mis en ligne le jour même des Techdays, le site a attiré pas mal d'attention et suscité de nombreuses retombées presse en Tunisie, mais ce qui a suivi est probablement plus instructif encore : ce site a fait l'objet d'une attaque informatique visant à le rendre hors service (sans succès, même si le site satirique a subi une interruption de quelques heures).

CounterStrike

Il est très difficile dans le contexte tunisien d'en tirer une conclusion péremptoire. Affirmer que Microsoft a transformé l'un des clubs informatiques qu'il sponsorise en cyberarmée privée serait aller bien vite en besogne, tout comme affirmer que ceux qui se sont livrés à cette attaque sont complices des exactions faites, il y a à peine plus d'un an, par le régime de Ben Ali.

Il est tout aussi vraisemblable qu'il ne s'agisse là que d'un jeu entre équipes de hackers rivales, et que l'ensemble reste très bon enfant. Le hacking est un sport national en Tunisie, et les candidats peuvent être très jeunes. Par ailleurs, pour avoir rencontré des jeunes issus de ces clubs sponsorisés par Microsoft, ils ne sont pas du tout au courant des exactions commises par leur généreux mécène envers le peuple tunisien, et ils ont tout aussi bien pu se laisser entraîner dans une attaque pensant avoir à faire à l'éternelle lutte entre les communautés prônant le logiciel libre et celles, plus pragmatiques et sans la moindre conscience politique, qui voient dans Microsoft - pas forcément à tort - un débouché professionnel.

Au final, on aura assisté à une petite passe d'arme qui aura certainement eu le mérite de sensibiliser, au sein de ceux qui travaillent sur des technologies Microsoft, au fait que leur maître a du sang sur les mains, un sang qui est aussi le leur.

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