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par Yovan Menkevick

Syrie : le story-telling hollywoodien et la géostratégie

Analyse L'affaire syrienne est simple, vue d'ici : des émeutes populaires contre un despote, l'envoi par celui-ci de forces de police, militaires, pour mater l'insurrection, un bain de sang, une répression sanglante de la part du régime, des forces d'opposition qui tentent de renverser le dictateur, des Nations-Unies une fois de plus paralysées.

Analyse

L'affaire syrienne est simple, vue d'ici : des émeutes populaires contre un despote, l'envoi par celui-ci de forces de police, militaires, pour mater l'insurrection, un bain de sang, une répression sanglante de la part du régime, des forces d'opposition qui tentent de renverser le dictateur, des Nations-Unies une fois de plus paralysées.

Il est donc simple de se positionner, puisque le tableau dépeint, les objectifs de chaque partie sont aisés à comprendre, facilement assimilables par "l'opinion" : Bachar al-Assad est un Ben-Ali bis, le clone de Kadhafi, une sorte de réplique de Moubarak. Ou le mélange des trois, en pire. La population syrienne est en gros, vu d'ici, la même que celle d'Egypte, de Libye ou de Tunisie : des "arabes" qui en ont ras-le-bol d'être écrabouillés par le pouvoir politique en place et qui veulent se "libérer".

Nous n'allons quand même pas compliquer ce tableau avec de la politique internationale, des nuances géostratégiques, de l'histoire militaire, religieuse, des zones d'influence et un monde multilatéral en pleine mutation ? Non, ce serait ennuyer les spectateurs de ces révolutions arabes qui ne veulent qu'une chose : voir le méchant partir et les gentils citoyens gagner leur liberté. La suite n'intéresse pas grand monde, parce qu'après tout, une fois qu'"ils" ont acquis la "démocratie", "ils" font ce qu'ils veulent. Et puis dans un bon film hollywoodien, il faut qu'on sache parfaitement où est le mal et le bien, et que la fin soit moralement acceptable. Sinon, on a du mal à adhérer, c'est le bide assuré.

La géostratégie au secours du story-telling holywoodien

Si l'histoire racontée plus haut est tout à fait entendable, par de nombreux aspects, une partie non négligeable de celle-ci est biaisée. Raconter la guerre civile syrienne, (guérilla syrienne ?), avec le même filtre que la révolution tunisienne ou le coup d'Etat libyen est absurde. Chaque événement a son histoire politique, économique, stratégique qui lui est propre. Si le printemps tunisien a pris de cours les grandes puissances, croire qu'ensuite elles seraient toujours démunies et totalement impuissantes dans une région ultra sensible, aux enjeux stratégiques bien plus importants que la Tunisie, est de l'ordre de l'aveuglement. Ou d'une naïveté extraordinaire. Le story-telling syrien officiel, relayé par la quasi totalité des médias occidentaux, est bien pratique, et traiter de "gauchistes idéologues et aveugles" ceux qui refusent d'y voir une simple continuation des printemps arabes, tient plus de la volonté de faire taire toute analyse contradictoire doublé d'un refus d'accepter la complexité et les modifications géopolitiques en cours, qu'autre chose.

La Syrie est une pièce stratégique dans le grand jeu d'échec en cours dans le croissant chiite. La Russie n'a pas utilisé son droit de véto à l'ONU pour rien. L'envoi par Poutine de matériels militaires russes à Assad n'est pas simplement un "cadeau entre amis", d'un despote envers un autre. La Russie est implantée en Syrie pour des raisons stratégiques : elle possède deux grands centres d'écoute dans le pays, à la frontière turque et au sud de Damas.

MediArabe.info, en février dernier, indiquait la chose suivante :

Moscou devrait demander à Damas l’installation de nouvelles « bases radars » et des « centres d’écoute » russes sur le territoire syrien, afin de faire face au bouclier anti-missile américain en Turquie. Cette demande serait la contrepartie immédiate du veto russe au Conseil de sécurité.

La Russie, alliée de la Syrie est aussi l'alliée de l'Iran et tente de maintenir son influence dans la région. Les raisons sont multiples, particluièrement celles qui touchent à l'énergie,comme l'article de l'institut Thomas More l'exprime très bien. L'institut en question n'est pas connu pour être particulièrement composé de gauchistes idéologues emportés par leurs convictions anti impérialistes

La dernière partie de leur analyse établit un constat intéressant :

Depuis, les révoltes et séditions d’une partie du monde arabe - avec en toile de fond les rivalités entre Sunnites et Chiites -, ont mis en effervescence le Grand Moyen-Orient. Face à l’Iran, l’Occident et les monarchies du Golfe resserrent leurs liens. Plus largement, une grande alliance sunnite s’esquisse et la diplomatie russe est conduite à se replier sur les régimes iranien et syrien, ce qui met à mal ses positions dans l’ensemble de la région.

Sortir Assad (et les Russes) : pour quoi faire ?

Si le régime d'Assad tombe, c'est l'allié russe de l'Iran qui est dégagé de Syrie. Les conséquences militaires pour l'Iran seront importantes, voire dramatiques aux vues des velléités réaffirmées des USA de porter, à termes, une attaque contre Téhéran. Les médias iraniens ont dénoncé les influences étrangères, la lutte entre grandes puissances qui se déroule en Syrie, sans qu'aucun relai ne soit effectué en Occident :

Forte activité de la CIA et du MI-6 en territoire syrien... Les agents des services du MI-6 et de la CIA opèrent activement sur le sol syrien. Selon le Daily Star Sunday, le ministère britannique de la Défense vient de mettre sur la table des opérations de l'OTAN, l'instauration d'une zone d'exclusion au dessus de la Syrie. Les espions à la solde de la GrandeBretagne et des USA, seraient, en ce moment même, sur le terrain pour en évaluer la situation. Les forces spéciales britanniques seraient, quant à elles, en contact avec ces espions pour être prêtes à fournir, en temps voulu, les armes et les munitions nécessaires à l'Armée de libération de Syrie, espèce de « remake » de la force inféodée à l'OTAN, qui est intervenue en Libye. Le quotidien souligne toutefois les récents propos de Cameron, le Premier ministre britannique, lequel avait demandé que toute action contre la Syrie demande au préalable le mandat du Conseil de sécurité, là où les Occidentaux devront vaincre la résistance russo-chinoise. (La voix de la République islamique d'Iran, le 02-01-2012)

Bien entendu, ces types d'informations ne pourront être considérées comme fiables ou entendables : l'Iran est une nation hystérique, sous influence des mollahs, et les médias iraniens ne relayent que la seule la propagande d'Etat, il va sans dire…alors que l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme, officine des frères musulmans basée en Angleterre, a elle toute crédibilité pour donner de l'information fiable aux médias occidentaux qui la relaient chaque jour.

Si le régime d'Assad tombe, les forces aériennes américaines pourront "enfin" attaquer l'Iran : les matériels d'écoute russes permettant une protection anti-aérienne de Téhéran auront été désactivés. Et selon la pratique d'influence américaine déjà bien connue en Irak ou en Afghanistan, les possibilités de maintenir un statu-quo commercial et militaire dans la région, traiter avec des régimes sunnites, mêmes fondamentalistes restent entières.

L'avenir dira ce qu'il en est…ou pas…

Le problème de la Syrie aujourd'hui est plus celui de son avenir politique, social, économique, que celui de savoir si Assad va ou non partir. Il semble peu probable que le despote syrien puisse se maintenir encore très longtemps au pouvoir, sa chute semble imminente, très certainement négociée, comme celle du président Yéménite, Ali Abdallah Saleh. Pour autant, les attentats suicides qui ont tué des membres du gouvernement syrien aujourd'hui, dans un bâtiment officiel de Damas ne sont pas condamnés par les instances onusiennes : les méthodes les plus odieuses sont acceptables lorsqu'elles touchent les ennemis que l'on veut faire chuter. Il reste maintenant à savoir qui va s'emparer du pouvoir en Syrie, sous quelle influence. Mais il paraît absolument improbable que ce soit le choix du peuple syrien qui prime, et la suite des événements internationaux, plus particulièrement l'attaque militaire des USA et de leurs alliés à l'encontre de l'Iran démontreront si le story-telling, jusque là utilisé pour décrire la "révolution syrienne", en est bel et bien un ou non.

S'il se révèle être ce qu'il semble être, les  familles des milliers de morts innocents apprécieront alors la partie d'échec dont ils ont été l'enjeu.

A moins que la géostratégie et la géopolitique ne soient en aucune manière au cœur de la situation syrienne, que le peuple soit au final le grand gagnant de ces affrontements, qu'il ait tout bonnement lutté contre un régime odieux et gagné avec son sang, seul, le droit à la "démocratie" ?

Oui, c'est certainement cette dernière analyse qui est la bonne  : oubliez tout ce qui a été écrit au dessus, ce sont des élucubrations de gauchistes aveugles, idéologues, férus de conspirationnisme, qui ne supportent pas la nouvelle donne mondiale où les peuples se libèrent seuls contre la la tyrannie.

Et surtout : dormez tranquille. Le film est très bon : à la fin les méchants sont punis, et les gentils gagnent, ce qui est l'essentiel…

 

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