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Édito
par epimae

Sexe, amour et handicap

Depuis la nuit des temps, l’humain s’est évertué à créer des reproductions de lui-même, des images de son temps, des témoignages de son univers. De la grotte de Lascaux à l’holographie, en passant par Niepce, Michel Ange, Van Gogh ou encore Doisneau, l’image a été et sera toujours le témoin de notre temps.

Depuis la nuit des temps, l’humain s’est évertué à créer des reproductions de lui-même, des images de son temps, des témoignages de son univers. De la grotte de Lascaux à l’holographie, en passant par Niepce, Michel Ange, Van Gogh ou encore Doisneau, l’image a été et sera toujours le témoin de notre temps. Aujourd’hui, encore plus qu’hier, les images fixes ou animées, fidèles ou stylisées, à des fins commerciales ou juste pour le plaisir de nos yeux, occupent notre espace quotidien et au delà de l’aspect créatif, elles sont le révélateur de notre imagination parfois débridée. Voir de l’image est une chose mais apprendre à l’apprécier, à la comprendre en est une autre. De la conception à l’aboutissement, en passant parfois par le travail de trucage ou de photomontage, cette rubrique a pour ambition de permettre aux lecteurs de Reflets de découvrir de nouveaux univers, de décrypter certains langages imagiers et pourquoi pas d’avoir envie de pénétrer les salles obscures ou de suivre des chemins photographiques aussi divers qu’ils seront particuliers.

Quand la caméra filme l'handicap et l’amour

Pour commencer cette longue et passionnante découverte de l’image, le cinéma propose une diversité impressionnante d’œuvres de tout genre. Actuellement, De Rouille Et d’Os semble être la découverte du moment malgré l’indifférence que le jury cannois lui a montrée.Le réalisateur, fils du talentueux scénariste Michel Audiard aujourd’hui décédé, est d’ors et déjà pointé comme LE réalisateur français du moment. Scénariste à ses heures, réalisateur à d’autres, on retient de son travail malheureusement méconnu, un film tel "Un Prophète" qui a su relater à travers l’objectif impitoyable de la caméra, la violence fatale de la prison, les petites et grandes magouilles qui font qu’un prisonnier traverse cette épreuve plus ou moins bien et les conditions de détention en France dénoncées maintes fois.

Au travers du film “de rouille et d'os”, Audiard s’attaque au tabou de l’handicap et de la sexualité. Sujet difficile qui encore aujourd’hui, à l’heure de la sacro sainte liberté sexuelle, remue le milieu médico social et crée d’indicibles tensions au sein des institutions pour personnes handicapées. N’importe quel observateur attentif aura remarqué que les personnes handicapées ont droit à leur toilettes publiques à elles. Mais peu de personnes ont osé faire le constat que les personnes dites “ordinaires” ont le droit à des WC particuliers selon leur sexe alors que les personnes atteintes d’un handicap n’ont le droit qu’à… des toilettes unisexes. On pourrait rapidement en conclure que les personnes handicapées sont belles et bien asexuées en tout cas eu regard de la bienséance et la morale du Français moyen.

Mais revenons à notre film…

Quand les corps parlent d’eux mêmes

De rouille et d’os ne laissera pas indifférent. On reconnaîtra rapidement l’univers particulier de son réalisateur qui a su allier pudeur, violence et finesse au travers d’images sans concession mais à la patine belle et bien photographique. Audiard sait guider notre regard et le transporter tour à tour dans des univers poétiques puis sanglants, pour passer à un érotisme plein de réserve et pourtant si fort… C’est à travers un lien entre un boxeur apparemment dénué d’émotions et d’empathie et une belle cul de jatte, que le spectateur découvre une relation pleine de contradictions, parfois de violence mais surtout très humaine.

Mais les apparences ne sont jamais évidentes avec Audiard, et c’est au travers de dialogues finement ciselés et sans artifices qu’il nous embarque dans un univers sans concession et pourtant terriblement réaliste… C’est au travers de la magie des corps que le spectacle atteint son apothéose et c’est en passant de scènes de boxe à des scènes d’amour entre l’handicapée et son boxeur que le réalisateur nous pousse à accepter et à affronter les réalités de la vie les plus crues et les plus cachées.

Une technique cinématographique bien maîtrisée

A un niveau plus technique, Audiard a un cinéma bien construit fait de l’alliance d’une maîtrise cinématographique certaine et d’un véritable talent pour raconter des parcours de vie. Il manie sa caméra pour créer des univers accessibles et réalistes où rapidement le spectateur se sent accueilli et partie prenante. La simplicité des prises de vue ne cherche aucun embellissement. La vie réelle devient belle en un clin d’oeil. C’est là où le génie de ce réalisateur se distingue réellement de beaucoup d’autres de ses contemporains. A la fois cinéaste social, réaliste mais aussi psychodramatique, Audiard nous offre du grand art et deux heures de réel plaisir.

Les scènes intérieures reposent la plupart du temps sur de petits espaces confinés dont l’étroitesse est mise en valeur par une lumière tamisée et sans surexagération. Les plans sont alors souvent fixés sur une partie de la pièce où les protagonistes passent et repassent ce qui donne une impression d’être assis dans un canapé, là… au coin de la même pièce. Cette façon de tourner peut faire penser à des films anciens où les réalisateurs choisissaient de tourner avec des caméras uniques par souci de réalisme.

Mais là où le génie d’Audiard frappe, ce sont dans les prises de vue extérieures et particulièrement quelques scènes animales. Il a su capturer des grands espaces tout en nous restituant une certaine impression d’étouffement. Des orques énormes évoluent dans une piscine tout aussi gigantesque et pourtant on ne peut que se sentir proches d’eux et littéralement écrasés grâce à des gros plans époustouflants. Des scènes enneigées montrent de grands espaces où on peut percevoir le danger et encore une fois une sensation d’étouffement voire d’asphyxie. Le réalisateur sait parfaitement passer de plans rapprochés à des plans fort éloignés et ainsi susciter une indicible sensation de risque.

Quant aux scènes mettant en scène les corps, la lumière est à l’image du mouvement filmé : tamisée pour les scènes érotiques et brute pour les scènes de boxe. L’intensité lumineuse devient ainsi la narratrice de cette histoire corporelle hors norme.

Enfin, on ne peut pas oublier la performance technique et numérique qui a permis à la belle Marion Cotillard de perdre ses mollets et ses pieds pour le temps d’un film. En effet, l’actrice a dû accepter de tourner la totalité des scènes avec d’horribles chaussettes vertes qui permettaient par la suite de couper par informatique ses mollets et de simuler numériquement des moignons en dessous des genoux. Ce procédé, particulièrement prisé par le cinéma asiatique, est certes utilisé depuis longtemps pour animer des acteurs en lévitation ou dans des positions extraordinaires mais c’est la première fois qu’on crée une amputation corporelle sur la durée d’un film entier. L’actrice a dû modifier sa motricité pour que l’handicap gagne en crédibilité ce qui est une belle performance.

Alors même si on peut parfois reprocher le jeu maladroit du boxeur, les petits défauts de certains personnages du casting, De rouille et d’os est un film à voir et ses imperfections font que le spectateur est pris dans une belle histoire soutenue par des images subtilement narratives et une inspiration photographique d’un esthétisme indéniable.

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