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par bluetouff

Secret des correspondances : pour les avocats non plus, ça ne tombe pas du ciel

C'est la stupéfaction générale. Des avocats viennent de découvrir que la confidentialité toute particulière que revêtent leurs correspondances n'est qu'un principe de plus qui ne survit pas à la réalité technique d'une interception judiciaire. Merde... La Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires, cruelle ironie, création de Nicolas Sarkozy, n'est pas fichue de filtrer les communications de ce dernier avec son avocat ? C'est dingue ça non ?

C'est la stupéfaction générale. Des avocats viennent de découvrir que la confidentialité toute particulière que revêtent leurs correspondances n'est qu'un principe de plus qui ne survit pas à la réalité technique d'une interception judiciaire. Merde... La Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires, cruelle ironie, création de Nicolas Sarkozy, n'est pas fichue de filtrer les communications de ce dernier avec son avocat ? C'est dingue ça non ?

On récapitule

Un avocat a pour client un justiciable qui se retrouve, pour les besoins d'une enquête judiciaire, placé sur écoute. Et là, on parle du téléphone, mais Maître Herzog serait sûrement ébahi de découvrir que c'est aussi l'ensemble de ses emails avec son client justiciable comme tout le monde, ancien président ou pas, qui ont été interceptés.

C'est le clash, le dur retour à la réalité, la réalité technique, constante, implacable, mathématique... celle qui s'oppose aux beaux principes énoncés en quelques lignes dans la constitution, et les milliers de lois qui posent autant de limites aux quelques illusions de libertés susmentionnées.

Oui... la liberté, c'est très soluble. On n'en a probablement pas mis assez dans la constitution pour ne pas la voir diluée dans une LOPPSI ou dans une LPM. Avec quoi avons nous bien pu diluer le sacro-saint secret des correspondances des avocats pour qu'il se retrouve aujourd'hui à ce point malmené ? L'explication n'est pas que juridique, elle est avant tout technique.

La communication

Quand une ligne est interceptée, ce sont tous les appels qui sont interceptés. Et que dire des correspondances électroniques ? Maître Herzog, comme l'immense majorité des avocats, ne doit jamais avoir entendu parler de PGP ou d'OpenVPN, communique sur des canaux non chiffrés, en clair. L'immense majorité des avocats, on doit bien parler d'un minimum de 95% d'entre eux, correspondent par email avec leurs clients... en clair, sans aucun chiffrement... sans aucune mesure technique pouvant apporter le minimum de confidentialité nécessaire quand ils communiquent. L'immense majorité des cabinets d'avocats fonctionne sous Windows, la majorité des avocats utilise un iPhone, ils stockent leurs SMS "confidentiels" dans un cloud pas souverain, pas chiffré, pas confidentiel du tout.

Avant 2004, la vie était belle, dés qu'un avocat intervenait dans une communication, cette dernière n'était pas enregistrée ou retranscrite...mais une loi est venue modifier cette pratique. La réalité technique des outils d'interceptions administratives, qu'ils soient français ou de puissances étrangères, n'ont eux pas attendu la loi, ils se foutent de la loi, ils font de la pêche au gros, du stockage, du traitement, de l'exploitation. La réalité technique des interceptions judiciaires et administratives, où l'humain est relégué au troisième plan, est bête et méchante : elle aspire tout, elle stocke tout, avocats ou pas.

La confidentialité ?

Parlons confidentialité, la vraie confidentialité, celle qui n'est pas écrite dans les textes de loi, la seule qui vaille. La confidentialité n'est pas un dû, elle ne tombe pas du ciel, la confidentialité ce n'est pas l'immaculée conception. La confidentialité, elle se mérite, elle nécessite une démarche, elle n'est pas qu'un droit, elle est une chaîne de confiance qui  doit être maîtrisée, la confidentialité n'est pas offerte en fac, avec un Dalloz et un code pénal. Les manifestations des pleureuses outragées, les beaux courriers tout aussi légitimes soient-ils à la Présidence, c'est bien mignon... mais nous sommes en 2014, avec une belle LPM toute neuve qui consacre de nouveaux outils juridiques... mais surtout techniques.

Faire valoir ses droits en s’évertuant à fermer les yeux sur la technique, faire confiance à son iPhone, son iCloud, le logiciel du cabinet sous Windows et autres choses du même acabit, c'est au mieux de l'angélisme, mais plus certainement une forme d'inconscience, un manque de professionnalisme.

Pourquoi chiffrer ?

Parce qu'il n'est nul texte de loi qui est applicable à "l'intelligence d'une machine". Quand une ligne téléphonique ou Internet est placée sous interception, la machine ne s’embarrasse pas de demander à l’interlocuteur de l'intercepté sa carte professionnelle, qu'il soit avocat ou journaliste.

Beaucoup de journalistes, confrontés à la réalité du terrain commencent à utiliser des outils de chiffrement, de protection de la confidentialité des communications. Sauf que tout démontre que la "réalité" du terrain n'a aujourd'hui plus de frontière.

Que ce soit pour de bonnes raisons ou des raisons plus obscures, les interceptions ne sont pas que judiciaires et ciblées. Combien d'Edward Snowden ? Combien de Julian Assange ? Combien d'Amesys faudra t-il pour comprendre qu'il ne suffit pas d'une lettre du très respectable syndicat national de la magistrature à la Présidence ou de toute l'indignation du Bâtonnier de Paris, pour assurer la confidentialité des communications ?

Des données qui transitent en clair sur Internet sont des données forcément lues par des tiers. Aujourd'hui, tout porte à croire que plus de 90% des communications électroniques entre un justiciable et son avocat sont interceptées, une partie est stockée, une autre est, ou sera réutilisée.

Les avocats, comme les journalistes, comme tous les citoyens, ont à disposition des outils techniques de chiffrement et d'anonymisation. Seule l'utilisation de ces outils est garante de leur droit à la confidentialité. Si des conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat ont été interceptées par la justice (ainsi que par la NSA et le GCHQ très probablement), alors il est grand temps pour les avocats de revoir en profondeur leurs méthodes de travail. S'offusquer de ces interceptions est une chose, faire la démarche nécessaire pour que ceci ne se reproduise plus en est une autre.

Vous voulez exercer votre droit à la protection de vos communications avec vos clients ? Commencez par lire attentivement la loi de 2004 sur la Confiance dans l'Economie Numérique qui libéralise les outils de chiffrement.

Oui chers avocats, vous en avez le droit... et dans votre cas, ceci devrait même être une obligation morale vis à vis de vos clients... alors CHIFFREZ bordel !

Écoutons Benjamin Bayart parler de confidentialité (Merci à @Sibou56)

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