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Dossier
par Rédaction

Qatar : Le Finger tendu bien haut d'Amesys

On croyait avoir tout vu avec Amesys et son centre d'écoute global en Libye. La société française avait installé un GLINT et sa solution EAGLE à Tripoli, avec l'aide de la Direction du renseignement militaire (DRM) et l'aval du gouvernement français, histoire de permettre à Mouammar Kadhafi de surveiller sa population, d'arrêter les opposants et accessoirement de les torturer ou les tuer. La Libye a très probablement servi de lieu de bêta testing.

On croyait avoir tout vu avec Amesys et son centre d'écoute global en Libye. La société française avait installé un GLINT et sa solution EAGLE à Tripoli, avec l'aide de la Direction du renseignement militaire (DRM) et l'aval du gouvernement français, histoire de permettre à Mouammar Kadhafi de surveiller sa population, d'arrêter les opposants et accessoirement de les torturer ou les tuer. La Libye a très probablement servi de lieu de bêta testing. EAGLE est un outil complexe qui ne fonctionne pas de manière optimale. Il reste de nombreux bugs et certains protocoles ne sont pas bien reconnus. Tester l'écoute à échelle d'un pays, avec aucune contrainte juridique était une aubaine.

Pour autant, il n'y a pas qu'un seul projet EAGLE. Il en existe un certain nombre. Et dans des pays un peu moins dictatoriaux, mais pas des démocraties exemplaires.

Disons qu'il y a des dictatures pures, comme la Libye et des états policiers.

Reflets a pu identifier avec certitude deux projets EAGLE en cours à l'étranger hors Libye.

 

Nous reviendrons sur tout cela au fil des jours à venir. Et à la fin de nos articles, nous nous poserons dans un canapé avec un gros paquet de pop corn et nous regarderons ce qui se passera.

Le projet qui mobilise actuellement les troupes d'Amesys est le Qatar. Ses ingénieurs étaient encore à Doha en septembre, octobre et novembre.

Avec son nom de code "Finger" (un gros "Doha" pointé vers les opposants qataris ?) , ce projet EAGLE pose quelques questions.

Le Qatar est connu pour être un émirat plutôt progressiste qui cultive les paradoxes. Créateur d'Al-Jazeera, la chaîne de télévision qui a bouleversé le paysage médiatique du monde arabe, il n'en reste pas moins le deuxième pays du monde à appliquer le wahhabisme (comme l'Arabie Saoudite). Le Qatar en dépit de son appui pour certaines nouvelles démocraties du monde arabe refuse catégoriquement toute ouverture démocratique chez ses voisins (le Bahreïn par exemple) ou dans sa propre société civile.

Pourquoi un émirat "progressiste" aurait-il un projet d'écoute de sa population, comme Mouammar Kadhafi ?

Ne nous leurrons pas, le pays reste un état policier, les partis politiques y sont interdits et les opposants y sont arrêtés. Or les petits défauts de démocratie de l'émirat sont volontiers passés sous silence par le reste du monde.

 

Un GI (gentil investisseur) bienvenu

En effet, le Qatar à travers le QIA (Qatar Investment authority) est un gentil investisseur qui vient à la rescousse de pas mal de monde comme EADS (actionnaire à hauteur de 6%), le London Stock Exchange (15%) ou de Volkswagen(17%). Plus près de nous, le Qatar est l'heureux propriétaires (à 70%) du club de football Paris Saint-Germain. Gooooooaaaaal !!!

Autant dire que nos politiques se frottent les mains en ces temps de crise. Ainsi, François Fillon, le premier ministre lui-même s'extasiait encore l'an dernier du "caractère exceptionnel" de la relation avec le Qatar :

François Fillon, lors de son discours d'ouverture du Ve Forum "Finances  et investissements au Qatar", s'est exprimé sur "le caractère  exceptionnel" de la relation entre les deux Etats. Il a cité plusieurs  projets en cours avec le Qatar : installation d’une antenne d’HEC  en collaboration avec la Fondation du Qatar, installation de l’Institut  Pasteur à Doha qui "permettra d’engager une coopération très fructueuse  en matière de recherche sur les maladies infectieuses et sur la santé  publique", ou encore ouverture, en lien avec l’université Paris II  Panthéon-Assas, d’une antenne de l’école Saint-Cyr au Qatar. "Je veux  vous remercier pour la confiance que vous accordez aux entreprises  françaises, qui souhaitent investir sur le long terme dans le secteur  énergétique de votre pays", a aussi déclaré François Fillon, formant le  vœu qu’elles "participent au projet emblématique de ville nouvelle de  Lusail, ce projet urbain de grande ampleur, qui vise à accueillir 200  000 habitants".

Ces relations sont-elles assez "exceptionnelles" pour que le gouvernement ait à nouveau donné son accord pour l'installation d'un projet EAGLE dans l'émirat, comme il l'avait fait pour la Libye ? A-t-il dépêché des membres de la DRM ?

La gauche française, qui a désormais la majorité au Sénat, a bien demandé une commission d'enquête parlementaire sur les agissements d'Amesys et posé une question au gouvernement. Mais son empressement à faire la lumière sur nos exportations de solutions d'écoute des opposants aux régimes dictatoriaux ou policiers est assez limitée.

Nous avons ouvertement expliqué que nous tenions le fruit de nos recherches et travaux à la disposition des politiques qui voudraient s'informer sur Amesys. Croyez-vous que quelqu'un ait pris contact avec Reflets ? Non. On se hâte lentement. Beaucoup plus lentement que le développement des projets EAGLE et les arrestations qui vont en résulter.

Ni la gauche, ni la droite, ni personne, ne semble s'émouvoir outre mesure des agissement de certaines de nos entreprises dans les pays arabo musulmans, en proie ou non à des mouvements assez marqués de contestations, souvent réprimés dans le sang. On exporte des droits de l'homme à un rythme un peu moins soutenu que nos systèmes de surveillance.

Comme nos politiques ne semblent pas pressés, et pas plus intéressés que ça par nos trouvailles, nous allons vous proposer un weekend informatif "pour qui n'en veut".

Stay tuned, car ça ne fait que commencer.

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