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par Stanislas Jourdan

Grèce: pourquoi la restructuration de la dette est bloquée

Chaque jour qui passe, la presse économique relate qu'un accord de la Grèce avec ses créanciers sur la restructuration d'une partie de sa dette serait "imminent" , que seuls quelques "petits détails" resteraient à régler. Mais non seulement cet accord est loin d'être trouvé, mais son alternative, le défaut, est loin d'être une possibilité évidente pour le gouvernement grec.

Chaque jour qui passe, la presse économique relate qu'un accord de la Grèce avec ses créanciers sur la restructuration d'une partie de sa dette serait "imminent" , que seuls quelques "petits détails" resteraient à régler. Mais non seulement cet accord est loin d'être trouvé, mais son alternative, le défaut, est loin d'être une possibilité évidente pour le gouvernement grec.

Lundi encore, la Grèce s'est rendue au sommet des ministres des finances de l'eurozone en pensant avoir sous le bras un accord solide. Que nenni, les ministres européens ont renvoyé les différentes parties à leur copie, estimant que l'échange vers des obligations à 4% d'intérêt ne constituait pas une décote suffisante.

En fait, les négociations sont très compliquées simplement parce que l'accord est censé être "volontaire" et requiert donc le consensus des parties prenantes : le gouvernement grec d'un coté, ses créanciers de l'autre, représentés par Charles Dallara de l'Institute of International Finance (IIF). Mais en vérité, les deux parties sont, en leur sein, divisées.

Du coté des créanciers, nous avons :

  • Les banques grecques tout d'abord, qui ont la plus grande part de dette. Elles sont plutôt coopératives, car elles ont intérêt à ce que l'économie grecque retrouve le chemin de la croissance, quitte à essuyer des pertes sur le court terme (d'autant qu'elles ont accès aux liquidités illimitées de la Banque centrale grecque...)
  • Les banques allemandes , qui elles aussi détiennent un nombre important d'obligations, mais restent conciliantes car elles veulent éviter l'effet domino qu'aurait un défaut désordonné de la Grèce sur le reste de la zone euro.
  • Enfin, il y a aussi les investisseurs - et notamment des hedge funds - qui ont acheté des CDS les couvrant ainsi d'un éventuel défaut de paiement de la Grèce. Problème : dans le cadre d'un accord volontaire, une restructuration de la dette grecque n'activerait pas les CDS. Du coup, ces investisseurs cherchent au contraire à bloquer tout accord pour forcer le gouvernement grec à quitter a table des négociations et ainsi décréter un défaut unilatéral. De cette manière, ces créanciers seront remboursés par le déclenchement des CDS.

De l'autre coté, nous avons bien sûr le gouvernement grec, qui cherche à trouver l'accord le plus favorable, mais aussi la BCE et la commission européenne qui surveillent de près les négociations.

Une des grandes incertitudes concerne d'ailleurs justement la BCE, dont on ne sait pas vraiment si elle participera au plan. Celle-ci possède en effet dans ses comptes environ 40 milliards d'euros de dette grecque. Pour bloquer l'accord, il semblerait précisément que certains investisseurs exigent la participation de 100% des créanciers, BCE incluse. Problème : une participation de la BCE à l'échange de dette constituerait une entrave aux traités européens qui stipulent que la BCE n'a pas à faciliter directement ou indirectement le financement des institutions publiques de la zone euro... (vous me direz, on est plus à ça près ...)

Alors que les négociations s'éternisent, de nombreux observateurs ont fait valoir que malgré l'apparence "volontaire" de l'accord, le gouvernement grec aurait toujours la main mise sur les négociations. Sur le Wall Street Journal par exemple, Stephen Filder explique que le gouvernement grec peut parfaitement forcer la restructuration de sa dette si les négociations échouent. De fait, le gouvernement a d'ores et déjà menacé de quitter a zone euro d'ici mars si aucun accord n'était trouvé d'ici là, ouvrant alors la voie d'un défaut "forcé" pour ses créanciers.

Une décision d'ailleurs nécessaire et légitime, expliquais-je dans les colonnes de Reflets il y a quelques temps.

Mais hélas, encore une fois, les choses ne sont pas aussi faciles, car la Troikatastrophe a tout prévu ! En effet, dans l'accord conclu en mai 2010 entre la Grèce, la commission européenne, la BCE (pdf) il est stipulé, en page 13 :

 

Les prêteurs, peuvent, par notification écrite envoyée à l'emprunteur (servie par la commission agissant en son nom et en conformité avec les termes de l'accord), annuler la facilité de prêt et/ou déclarer le montant du prêt être immédiatement du et payable , avec un taux d'intérêt accru, si :

(...)

(g) L'emprunteur, d'une manière générale, ne rembourse pas sa dette alors que celle-ci arrive à échéance, déclare ou impose un moratoire sur le paiement de sa dette, ou de la dette assumée ou garantie par lui.

En clair, si la Grèce impose des pertes à ses créanciers privés, la Commission européenne peut légalement décider de punir la Grèce en lui demandant le remboursement immédiat des prêts bilatéraux versés jusque là, et avec une pénalité ! De quoi refroidir les ardeurs des dirigeants grecs, qui n'ont pas forcément envie de déclencher une crise diplomatique de plus...

Il ne s'agit bien sûr que d'une possibilité donnée à la Commission, mais tout de même, cela donne à réfléchir quant à la nature de l'accord signé il y a bientôt deux ans par les dirigeants grecs. D'aucuns s'étonneront d'ailleurs que de nombreux politiciens grecs ont aujourd'hui honte d'avoir signé cet accord...


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DimitraTzanos

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