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par Yovan Menkevick

Ogm ou la science contre la démocratie (Jean-Pierre Berlan)

Jean-Pierre Berlan, ex-directeur de recherche à l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) analyse l'affaire des conclusions de la recherche de Gilles Seralini sur un OGM, le maïs NK603.

Jean-Pierre Berlan, ex-directeur de recherche à l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) analyse l'affaire des conclusions de la recherche de Gilles Seralini sur un OGM, le maïs NK603. Jean-Pierre Berlan ne tente pas de battre en brèche (ou non) le protocole de Mr Seralini, ce que la plupart des "experts" se sont empressés de faire, mais souligne les problématiques centrales que les OGM cultivés en plein champ, et voués à nourrir les êtres vivants posent : celles de la démocratie, de l'agriculture moderne des industries chimiques, du règne des experts, de l'addiction des populations aux pesticides.  

 

Ogm ou la science contre la démocratie :

Les contrefeux destinés à discréditer l’étude de Gilles-Eric Séralini et sa personne ne sont pas près de cesser : « rien de nouveau, manque d’information sur la composition de la ration alimentaire, protocole expérimental biaisé, échantillon statistique insuffisant, présence possible de mycotoxines, coup médiatique, etc. » Séralini témoignerait d’un biais anti-Ogm, accusent ses critiques - parabole de la paille et de la poutre. Mais la toxicologie est la seule discipline scientifique où ne rien trouver assure une carrière paisible.

Montrer des dangers des éthers de glycol, du nucléaire, du sel, des Ogm expose à des déboires sûrs plutôt qu’à des promotions. Le courage et le mérite de Séralini et de quelques rares scientifiques d’aller à contre-courant sont d’autant plus grands. Tout aussi délicat à manier est l’argument que Séralini utilise une souche de rats sensible aux tumeurs. C’est suggérer qu’il aurait dû utiliser une souche résistante pour ne gêner personne et, bien sûr, laisse soupçonner que cette toxicologie sous influence peut choisir, si nécessaire, la “bonne” souche pour obtenir les “bons” résultats.

Depuis le début de cette guerre de tranchées en 1997, les Ogm assurent la carrière, les contrats, les crédits, la consultance, les brevets, les “starts-up”, l’aggrandissement des laboratoires et le prestige scientifique à ceux qui les font. Ils ont un intérêt personnel à leur succès, ce qui n’a, disent-ils, pas d’influence sur la Vérité si bien protégée par La Méthode.

A ce complexe génético-industriel s’oppose une opinion publique dont le bon sens lui dit que si les scientifiques sont dans leur laboratoire, ce n’est pas parce qu’ils savent mais bien parce qu’ils ne savent pas et qu’il est dangereux de s’en remettre à des ignorants, même si, en bons dialecticiens (là aussi, qui s’ignorent), ils se font passer pour des “savants”. Particulièrement lorsque les connaissances et les représentations évoluent à tout vitesse, ce qui est le cas. Pendant des décennies, 95% ou plus de l’ADN était non-fonctionnel, mais il s’avère depuis quelques jours que cet ADN “poubelle” jouerait un rôle fondamental.

Les Ogm sont-ils scientifiquement dangereux pour la santé publique, pour l’environnement ? Peut-être ? Peut-être pas ? Peut-on juger leur dangerosité éventuelle pour les humains sur des rongeurs? C’est la pratique toxicologique barbare imposée, alors que des tests sur cultures de tissus humains permettraient de cribler rapidement les quelques 100 000 molécules de synthèse en circulation. Ces tests sont bon marché, rapides, et raisonnablement fiables : autant de raisons pour que les industriels les refusent.

Reste que notre intérêt est de soutenir ceux que les lobbies industriels et leurs mercenaires cherchent à faire taire. Qu’on se souvienne du rôle des médecins mercenaires dans le désastre de l’amiante. Mais plutôt que se laisser piéger par une expression qui implique que la modification génétique est le problème (ce qui conduit à le confier aux experts sous influence), il faut se tourner vers la réalité, la marchandise, que les Monsanto, DuPont, Syngenta, Dow, Bayer et autres fabricants d’agrotoxiques (car ce sont ces industriels qui contrôlent les semences dans le monde) vendent sous cette expression. Après tout, c’est nous qui l’ingurgitons. Autant savoir de quoi il s’agit.

Les lois et règlements exigent que les plantes semées soient “homogènes et stable”». Le premier adjectif signifie que les plantes doivent être identiques (aux défauts inévitables de fabrication près) et le second que la même plante soit offerte à la vente année après année. Le rôle semencier est donc de faire des copies d’un modèle de plante déposé auprès d’instances officielles. Le terme “clone” désigne, je pense de façon appropriée, la marchandise vendue, bien que les biologistes récusent ce terme qu’ils voudraient réserver à la reproduction végétative, la pomme de terre par exemple. Ils préfèrent donc continuer à utiliser le terme variété, « le caractère de ce qui est varié, contraire de l’uniformité » selon le dictionnaire. La variété chez les plantes est l’équivalent de la race chez les animaux (les Vilmorin utilisent indifféremment les deux mots dans leur livre de 1880, Les meilleurs blés) et renvoie à l’idée de caractères communs particulièrement visibles dissimulant des variations moins évidentes mais importantes.

Partout, mais particulièrement en science, les mots doivent désigner la réalité. Lorsque le terme usuel implique le contraire de ce que l’on voit, c’est qu’il faut la cacher. Le paysan produisait du blé, le système agro-industriel produit des profits en transformant les pesticides en pain Jacquet. Le capitalisme industriel a siphoné la substance des activités qui ont fait notre l’humanité mais il serait dangereux que nous nous en rendions compte. Il fait tout pour entretenir l’illusion.

Ces clones sont “pesticides”. Le président Sarkozy a condamné les “Ogm pesticides” lors de son discours de clôture du Grenelle de l’Environnement. Il a donc condamné 99,6% des “Ogm” commercialisés. Le pourcentage est le même cinq ans plus tard. Mais qui fabrique les Ogm-pesticides ?

Ces clones pesticides sont de deux types, ceux qui produisent une toxine insecticide, ceux qui absorbent un herbicide sans mourir. De plus en plus, ces deux traits se retrouvent simultanément. La toxine insecticide est produite par toutes les cellules de la plante. L’herbicide, lui, pour agir doit pénétrer dans la plante. La construction génétique introduite dans la plante neutralise son action. La plante survit et l’herbicide reste. C’est le cas du Round-up qui fait la fortune de Monsanto. Dans les deux cas, le pesticide entre dans l’alimentation.

Le but des fabricants d’agro-toxiques est, on le voit, de changer subrepticement le statut des pesticides : de produits toxiques à éliminer autant que possible de notre alimentation, ils sont en train d’en faire des constituants de notre alimentation. Le principe de l’équivalence en substance, scientifiquement ridicule mais qui fonde la “sécurité alimentaire” – tant qu’une fraise transgénique ne ressemble pas à une pomme de pin, elle est “substanciellement équivalente” à une fraise normale – permet de courtcircuiter les tests coûteux et longs qui grèvaient les profits des agrotoxiques chimiques.

Il n’y a pas de conséquences néfaste, nous affirment les fabricants d’agrotoxiques et leurs experts d’autant plus facilement qu’ils se gardent bien de faire les travaux approfondis qui permettraient (peut-être) de les découvrir. Ils se contentent de s’assurer “scientifiquement” que « dans l’état actuel des connaissances scientifiques », on ne peut pas “scientifiquement” démontrer une toxicité éventuelle. Ils font de l’absence de preuve la preuve de l’absence. Or l’état de ces connaissances est balbutiant. Les bactéries de notre tube digestif sont 100 fois plus nombreuse que les cellules de notre corps. On connaît 5 à 10% seulement de ce microbiote, qui joue un rôle physiologique important – et mal connu. Il en est de même pour les micro-organismes du sol – une poignée de terre fertile contient de 5 à 50 milliards de bactéries, pour ne rien dire des champignons, des actinomycètes, des algues etc. 80% de la biomasse se trouve dans les 30 premiers centimétres de la sol et nous détruisons cette pellicule moléculaire de Vie qui assure le fonctionnement des grands cycles biologiques du carbone, de l’azote, de l’eau etc.

On ne sait presque rien du développement de l’œuf fécondé à l’organisme final : l’oreille par exemple avec son pavillon, son conduit auditif, le tympan, l’enclume, l’étrier, les canaux, le limaçon et ses cellules ciliées qui transmettent le son au nerf auditif, tout ceci est délicatement et admirablement façonné spatialement, arrangé avec précision dans le temps et l’espace et se met exactement à sa place – à partir d’une seule cellule ! Tout plonger dans un bain de perturbateurs hormonaux et autres produits chimiques est d’autant imprudent que ces molécules peuvent entrer en synergie et être plus toxiques encore à des doses non mesurables. Pour résumer, l’Italie nous a offert un plat sublime de simplicité, la pasta al pesto. Les fabricants d’agrotoxiques veulent nous imposer désormais la pasta al pesticida. Ce n’est pas à leurs mercenaires de décider de notre appétit.

Enfin, ces clones pesticides sont brevetés. L’enjeu ? Les être vivants se reproduisent et se multiplient gratuitement. La loi de la vie s’oppose à la loi du profit. La vie a donc tort. Ce projet de société, l’expropriation de la vie, commence avec le capitalisme industriel. Dès la fin du 18ième siècle, les aristocrates anglais infatués de courses de chevaux créent un système administratif du contrôle du “sang” de leurs animaux. Il est l’image dans un miroir des règles aristocratique de transmission du pouvoir et de la richesse. Les papiers administratifs (le “pedigree”) et le contrôle des saillies assurent aux aristocrates éleveurs le monopole du “sang” de leurs animaux. Un animal qui a des “papiers” a de la valeur, un animal roturier ne vaut que sa roture.

Ce système est repris au début du 19ième siècle pour les animaux de ferme et perdure encore avec les livres des origines. Pour les plantes, il faut attendre bien que, dès la fin du 19ième siècle, les sélectionneurs se plaignent de l’injustice de la Nature. Elle prendra différentes formes. Biologique avec le fameux maïs “hybride” que les agriculteurs ne peuvent re-semer sans chute de rendement – une des plus belles escroqueries scientifiques du siècle passé et présent, ce monopole permettant de multiplier par 50 ou 100 le prix des semences - le non moins fameux Terminator de mars 1998 qui permet de faire des plantes dont la descendance est carrément stérile.

Monsanto s’est immédiatement jeté sur Terminator, ce produit de la collaboration de la recherche publique (!) et d’une entreprise privée, lui assurant ainsi une publicité mondiale. Cet Ogm “répugnant” révélait le secret le mieux gardé de la génétique agricole : séparer ce que la vie confond, séparer la production de la reproduction. Technologie et précipitation inopportunes, car les fabricants d’agrotoxiques étaient sur le point d’arriver discrètement à leurs fins avec la Directive 98/44 “de brevetabilité des inventions biotechnologiques”, péniblement transposée en droit français à l’unanimité (sauf le groupe communiste) à la fin 2004. Ce brevet - un monopole accordé à un cartel et le renforçant - favorise, prétend-t-on l’Innovation alors que la doxa économique enseigne depuis Adam Smith que la concurrence assure le Progrès. Quelle imposture !

Le Parti Socialiste a assorti son vote d’une demande de renégociation dont plus personne n’a entendu parler. En France, d’ailleurs, multiplier les obstacles règlementaires pour empêcher l’agriculteur de semer le grain récolté est une spécialité des ministres socialistes de l’agriculture, de Michel Rocard en 1995 à Jean Glavany (2001) en passant par Henry Nallet (1989). Mais Glavany a surclassé ses prédécesseurs avec sa “cotisation volontaire obligatoire”, une taxe sur les semences de ferme (non commerciales), pour secourir une interprofession sous la coupe du cartel.

Une société démocratique doit-elle se laisser dicter sa loi par les experts – ces « hommes compétents qui se trompent en suivant les règles » (Paul Valéry) - pour évaluer la dangerosité des clones pesticides brevetés (ou tout autre problème)? Pas besoin d’expert pour se rendre compte que nous courons au désastre. Des clones, alors que la diversité biologique cultivée est à l’agonie. Des clones pesticides qui permettent d’éviter les tests coûteux imposés aux agrotoxiques chimiques et nous enfoncent dans l’addiction à des poisons qui créent leur propre marché et l’élargissent constamment car les ravageurs et les pathogènes les contournent inévitablement. Des clones pesticides brevetés qui confient notre avenir biologique aux fabricants de produits en “cide”, aux fabricants de mort.

L’expression Ogm et les débats qu’elle impose, typiques de notre époque d’enfumage, révèlent l’état de notre démocratie. Appeler les choses par leur nom, ouvre un possible renouveau démocratique: démonter une législation semencière dépassée qui impose les clones et condamne des associations qui, comme Kokopelli, luttent pour sauvegarder la diversité. Lutter sérieusement contre l’addiction aux pesticides. En finir, enfin et surtout, avec le brevet du vivant. Le PS n’a–t-il pas dit qu’il en demanderait la renégociation ?

Bien entendu, les sycophantes détournent l’attention en annonçant l’avènement d’Ogm philanthropiques et verts. Les Ogm vont nourrir la planète et protéger l’environnement annonçait Axel Khan dans Les Echos en 1998. Mais nous n’avons toujours que des clones pesticides brevetés.

Comment ces Ogm philanthropiques et verts pourraient-ils être ceux d’une société où la maximisation du profit est la seule règle, où les experts scientifiques sous influence remplacent la démocratie, où les “empoisonneurs publics” (Roger Heim, Président de l’Académie des Sciences dans sa préface au livre de Rachel Carlson, “Un printemps silencieux” de 1964 – une autre époque) et marchands de Mort ont toute liberté pour confisquer la Vie. Les Ogm philanthropiques et verts sont ceux d’une société démocratique et libre, donc philanthropique et verte qui, pour ces raisons, n’en aura pas besoin.

Article rédigé sur le site de Kokopelli, le 25 septembre 2012 par :

Jean-Pierre Berlan
Jean-Pierre Berlan

Jean-Pierre Berlan ex-Directeur de Recherche Inra.jpe.berlan@gmail.com

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